Abdullah Sabra en 2014, peu avant son arrivée en France | Crédit : Abdullah Sabra
Abdullah Sabra en 2014, peu avant son arrivée en France | Crédit : Abdullah Sabra

Originaire de Syrie et marin de formation, Abdallah Sabra effectuait une escale en France en 2015 à bord d'un navire commercial quand il décida de ne plus quitter l'Europe. Aujourd'hui réfugié en Allemagne, il a effectué une première mission pour Sea Watch, l'ONG allemande qui vient en aide aux migrants perdus en mer Méditerranée.

Abdullah Sabra n’a que 14 ans lorsque son père décidé de l’envoyer travailler en mer. "J’étais totalement surpris. J’ai regardé ma mère pour lui demander si c’était vrai", raconte ce Syrien dans un parfait anglais, appris en fréquentant des équipages de toutes les nationalités.

"Mon père avait décidé que je ferai un bon marin, dit-il avec un rire pincé.

Jeune, à peine âgé de 15 ans, Abdullah est donc envoyé au Liban. Il y trouve un armateur et suit des cours dans une école de la marine marchande. Ce début de carrière a gâché une partie de son enfance et de son adolescence. Surtout que les premières années sont dures, confesse-t-il. Abdullah se rappelle d'une ambiance "toxique, malsaine" sur les navires qu’il décrit comme des "des sortes des prisons en mouvement".

La mer dans les veines

Selon lui, "après quelques mois, les gens sont trop enfermés, seuls dans leurs têtes et deviennent un peu fou. J’ai vécu cela moi-même quand je suis revenu passer du temps avec ma famille après une mission de neuf mois en mer."

Au sortir de l'adolescence, la marine marchande a déjà pris une place considérable dans sa vie. Jusqu’en 2015, Abdullah, qui a une vingtaine d'années, opère en tant que second capitaine sur des navires du monde entier.


Si de fortes amitiés naissent à bord, Abdullah note aussi que les situations deviennent rapidement "toxiques" après des mois passés en mer  | Photo : Avec l’aimable autorisation d’Abdullah Sabra
Si de fortes amitiés naissent à bord, Abdullah note aussi que les situations deviennent rapidement "toxiques" après des mois passés en mer | Photo : Avec l’aimable autorisation d’Abdullah Sabra


Cette année-là, Abdullah se retrouve à bord d’un navire parti d’Iran pour rejoindre la France. Ce voyage est marqué par de nombreux différends avec ses supérieurs qui veulent le faire débarquer dans le Canal de Suez.

Il arrive à La Rochelle, dans l'ouest de la France, pour une escale et décide de ne plus remonter à bord. Il y dénonce son employeur. "J’ai appelé toutes les organisations de défense des droits des marins et de droit humains pour leur parler d'abus, d'infractions commises sur le navire. J’ai même raconté comment ils jetaient leur ordures dans la mer."


Abdullah Sabra en 2011 "quelque part" dans le Pacifique
 | Photo : Avec l’aimable autorisation d’Abdullah Sabra
Abdullah Sabra en 2011 "quelque part" dans le Pacifique
| Photo : Avec l’aimable autorisation d’Abdullah Sabra


A La Rochelle, il contacte un touriste français rencontré "avant la guerre" en Syrie. Abdullah obtient un visa de transit de deux jours et prend la route pour rejoindre son ami. "Nous avons bu tout en débattant d’où je devrais aller", se souvient-il, amusé.

Destination Karlsruhe

"J’étais censé aller en Turquie après ces deux jours de visa, mais ce plan ne me convenait pas", explique le Syrien. Son ami tente alors de le convaincre de rejoindre un pays scandinave pour y demander l’asile.

"Je ne savais pas quoi faire, alors après une nuit blanche, toujours ivre, je me suis rendu à une gare et j’ai vu un train. Il était blanc et dessus était écrit ICE. A cette époque je ne savais pas ce que cela voulait dire." L’ICE est l’Inter City Express, le train à grande vitesse allemande qui se rend à Karlsruhe. Abdullah se renseigne au guichet. On lui explique que Karlsruhe se trouve en Allemagne. "J'ai répondu que ça sonnait bien".

Abdullah achète un ticket et se retrouve quelques heures plus tard dans le sud-ouest de l’Allemagne. Là-bas, il fait une demande d’asile et passe ses premiers mois dans des centres d’accueil où il rencontre d’autres Syriens ayant fui la guerre.

Il explique qu’il fait partie des jeunes que l’armée syrienne veut enrôler pour défendre le régime de Bachar Al-Assad. Cette raison lui permettra d’obtenir son statut de réfugié en Allemagne en 2015.


Abdullah Sabra dans son centre d’accueil en mars 2015 | Photo : Avec l’aimable autorisation d’Abdullah Sabra
Abdullah Sabra dans son centre d’accueil en mars 2015 | Photo : Avec l’aimable autorisation d’Abdullah Sabra


Après quelques mois, Abdullah s’établit à Tübingen, à une trentaine de kilomètres de Stuttgart, la capitale régionale du Bade-Württemberg. 

Rapidement, il passe d’un emploi à un autre et se fait des amis dans cette petit ville universitaire. Mais son besoin constant de rester en mouvement le pousse à partir à Berlin en 2019. "Je pense avoir eu de la chance pour apprendre à connaître les gens. Les choses étaient peut-être difficiles, mais pas autant que pour beaucoup d’autres personnes, notamment parce que je parle anglais."


Abdullah a pu se faire de nombreux amis à Tübingen. Le fait de parler l’anglais a grandement facilité son intégration  | Photo : Avec l’aimable autorisation d’Abdullah Sabra
Abdullah a pu se faire de nombreux amis à Tübingen. Le fait de parler l’anglais a grandement facilité son intégration | Photo : Avec l’aimable autorisation d’Abdullah Sabra


Sea-Watch

Une fois à Berlin, il rencontre un journaliste qui lui parle de la mission de sauvetage en mer Sea-Watch. "J’ai immédiatement aimé l’idée, de me dire qu’il y a vraiment des gens dans le monde qui font cela. Ce sont des anges ! Ils ne font pas que parler mais mettent leur paroles en actes. J’ai beaucoup de respect pour cela."

Il postule pour tenter de trouver un emploi au sein de l’organisation, d’abord pour un poste dans le département logistique, espérant que Sea-Watch finira par noter son expérience en mer pour l’intégrer à l’équipage.

"Quelques jours plus tard, j’ai reçu un appel. Ils m’ont demandé si je pouvais d’abord travailler bénévolement pendant quelques semaines pendant que le bateau se trouvait dans un port en Espagne."

De novembre à décembre 2020 il se retrouve pendant 40 jours à travailler avec l’équipe de Sea-Watch, à faire essentiellement de la maintenance et des réparations. 

Il espère pouvoir retourner très rapidement en mission pour l’ONG et décrocher un emploi permanent. Si Sea-Watch le réengage, il lui faudra cependant renouveler tous ses certificats de la marine désormais expirés. "Avec eux, je peux utiliser mes compétences autrement. Je peux surmonter les environnements toxiques des navires marchands. Ici je suis entouré de personnes ouvertes d’esprit et qui savent communiquer." 

Quand on lui demande de quoi sera fait le futur en Syrie, il prend une longue pause pour répondre. Il ne voit pas d’issue à court terme. Le Syrien appelle tous les gouvernements de ce monde "à arrêter d’investir leur argent dans l’industrie militaire pour injecter ces sommes dans la réelle résolution des problèmes de ce monde, que sont la pauvreté, l’éducation et la santé."

Quant à son propre avenir, malgré l’enthousiasme qui l’a porté jusque là en Allemagne, il manque encore de réponses. "Pour être honnête, je ne sais pas, je suis perdu à tellement de niveaux. Je sais que j’aime apprendre, mais des vraies études semblent sans issue". Dans l’immédiat, l’appel de la mer le rassure, avec l'objectif de vouloir reprendre le large avec Sea-Watch. 


Traduction et adaptation : Marco Wolter

 

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