Les seins des femmes sont partout, mais cette omniprésence traduirait-elle cette objectivation du corps des femmes qui trouverait dans les seins son paroxysme ? Doit-on en finir avec la beauté des seins pour sortir de cette objectivation ? Comment penser la libération du corps féminin ?
- Camille Froidevaux-Metterie Philosophe, professeure de Sciences Politiques et romancière
Une émission présentée par Géraldine Mosna-Savoye
Si le clitoris a longtemps été impensé, l'utérus caché, la chevelure voilée, les seins, eux, ont été montrés, dénudés, affichés, jugés, évalués.
Sexuels ou maternels, esthétiques ou érotiques... Mais bizarrement (ou pas), ceux qui les montrent, les affichent, les jugent, les évaluent ou les dénudent, ne sont pas forcément ceux qui en ont...
Comment réinvestir la question du corps ?
L'invitée du jour :
Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe, professeure de science politique et chargée de mission égalité-diversité à l’Université de Reims Champagne-Ardenne
Le documentaire Les Mâles du siècle, de Laurent Metterie et Camille Froidevaux-Metterie (conseillère scientifique) est à voir dès le lundi 8 mars sur le site : https://www.lesmalesdusiecle.com/
Les seins, condensé de la condition objectivée des femmes
Le fait que les femmes sont leurs corps et n’ont été très longtemps que des corps est bien connu puisque depuis l’Antiquité grecque, les femmes sont définies par leurs fonctions sexuelles et maternelles, enfermées dans leurs corps, identifiés au travers de ces deux fonctions. Mais cette objectivation se concentre de façon singulière dans cet organe, que sont les seins, on y trouve le tout de cette objectivation à savoir la dimension sexuelle, la dimension de l’apparence, la dimension maternelle, c’est pour ça que je parle des seins comme « organes phénoménologiques » par excellence, à eux seuls l’exemplification ou la présence même de cette objectivation corporelle qui définit l’existence des femmes.
Camille Froidevaux-Metterie
Le féminin comme un rapport incarné
Il y a trois injonctions principales qui relèvent de la féminité : la disponibilité sexuelle, le dévouement maternel, et une forme de minoration sociale. Ces représentations sont inscrites dans le terreau du système patriarcal, et elles ne recouvrent pas ce que j’appelle le féminin, qui, certes, renvoie à des caractéristiques incarnées, mais qui, par exemple, n’impliquent pas le fait d’avoir un utérus ou des seins. Je définis le féminin comme un rapport à soi, aux autres et au monde, qui est nécessairement incarné, et qui, de ce fait, est déterminé par le corps. Les caractéristiques du corps masculin ne changent rien à leur place dans le monde et surtout au fait qu’ils possèdent des privilèges du fait de leur situation dominante. Il n’y aucune comparaison possible entre ce que subissent les femmes du fait même d’avoir un corps féminin en termes de discriminations et de violences, et ce que subissent les hommes par le fait d’avoir un corps sexué masculin.
Camille Froidevaux-Metterie
Penser le corps féminin en féministe
Ce qui m’importe dans cette démarche phénoménologique c’est d’essayer de penser en féministe le corps féminin sans tomber dans le piège de l’essentialisme, c’est un danger que, je crois, on peut contourner à partir du moment où l’on dit précisément, par exemple, que la maternité ne définit plus la condition féminine contemporaine. À partir de là, on peut refaire un retour au corps féminin puisqu’il est d’une certaine façon affranchi de ce destin maternel auquel il avait été condamné pendant des siècles.
Camille Froidevaux-Metterie
Textes lus par Elsa Lepoivre :
- Extrait du Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, 1949, Formation, Chapitre 1 : Enfance, aux éditions Gallimard Folio essais
- Extrait de Breasted experience, de Iris Marion Young, dans On female experience : “Throwing like a girl” and others essays, 1990, Oxford University Press (suivie de la chanson de Nicolas Rémon, La litanie des seins)
- Extrait du Docteur Pascal, d'Emile Zola, 1883 (avec une musique de Gabriel Fauré, Berceuse pour piano, de l'album : For children, interprète : Rev Livia)
Sons diffusés :
- Mix de début d'émission par Laurence Malonda, avec des extraits des films : OSS 117, Le Caire nid d'espion, de Michel Hazanavicius, Tirez sur le pianiste, de François Truffaut, Mes meilleurs copains, de Jean-Marie Poiré, L'homme qui aimait les femmes, de François Truffaut, Camping, de Fabien Onteniente ; et une musique de Georges Delerue, extraite de la bande-originale du film Tirez sur le pianiste, de François Truffaut
- Chanson de The Fugs, Boobs a lot
- Extrait du film Domicile conjugal, de François Truffaut, 1970
- Archive d'Elisabeth Badinter, dans L’invité d’Inter, France Inter, le 11/02/2010
- Chanson de fin : Clara Luciani, La grenade
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