La Croix : Qu’est-ce qui vous a frappé dans la liste rouge des espèces en France, publiée en mars 2021 et qui évalue l’état de près de 14 000 espèces de faune et de flore en métropole et outre-mer (2) ?

Bruno David : Sur les 14 000 espèces évaluées depuis 2008, cette évaluation nous dit que 187 espèces ont disparu, mais surtout que 2 430 sont menacées, en particulier parmi les oiseaux, les amphibiens, les crustacés d’eau douce, etc. L’extinction complète d’une espèce est évidemment dommageable, mais je m’inquiète davantage des données sur le déclin, notamment des espèces ordinaires. Car ce sont elles qui révèlent l’ampleur de la crise.

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Les espèces qui disparaissent sont souvent endémiques, en petit nombre au départ. Mais une espèce relativement banale, bien répartie sur le territoire qui, sans s’éteindre, voit ses effectifs s’effondrer, là, c’est alarmant. En France, en 13 ans seulement, la situation des oiseaux nicheurs s’est encore dégradée. En 2008, un quart était menacé, aujourd’hui c’est un tiers. Le rythme du déclin est très rapide, même s’il se fait à bas bruit.

Comment expliquer une telle érosion de la biodiversité ordinaire ?

B. D: Les pressions sont de toutes sortes. L’épandage d’insecticides dans l’agriculture tue non seulement les insectes mais bouleverse la chaîne alimentaire d’autres espèces, comme les oiseaux, les petits mammifères. Parallèlement, les habitats sont détruits : suppression des haies, assèchement des zones humides, etc. C’est délétère pour les amphibiens par exemple, très dépendants de certains milieux. En urbanisant, nous mitons aussi le territoire, nous ruinons les continuités écologiques. À ces facteurs s’ajoutent, enfin, les effets du dérèglement climatique. L’érosion est multifactorielle mais elle est incontestablement liée à l’activité humaine.

La convention citoyenne, qui s’est souciée de ces enjeux et les initiatives internationales sur la biodiversité, comme le « One planet summit », vous donnent-elles de l’espoir ?

B. D : Cela démontre une prise de conscience, c’est une première étape. Il y a quelques années, les initiatives étaient 100 % climat, on ne parlait pas de l’érosion de la biodiversité. Mais on reste dans les incantations, les discours, il faut des actes. Des actions politiques bien sûr, mais pas uniquement : la sauvegarde des écosystèmes passe aussi par l’implication de chacun d’entre nous.

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J’ai été frappé qu’à l’issue du premier confinement, le premier réflexe de beaucoup de gens ait été de consommer à nouveau. Sans comprendre que ça participe du problème – nous surconsommons, au prix de pollutions, d’emprise sur les sols, sans parler des impacts du transport. Un jean ou un téléphone font plusieurs fois le tour de la planète avant d’arriver en magasin…

Quelles sont, d’après vous, les trois mesures prioritaires à adopter en France ?

B. D : Il faut d’abord stopper l’artificialisation des sols. Ensuite, mettre en application l’engagement de 30 % d’aires marines et terrestres protégées, pris par Emmanuel Macron dans la perspective de la COP15 (la Conférence de l’ONU sur la biodiversité prévue fin 2021 en Chine, NDLR). C’est indispensable de préserver certains territoires, compte tenu de l’urgence de la situation, mais cela ne suffira pas : en dehors de ces aires, nous devons aussi favoriser un équilibre entre la vie humaine et le reste du vivant. Enfin, nous devons modifier en profondeur nos pratiques agricoles et en finir – en accompagnant les filières – avec l’usage de produits comme le glyphosate ou les néonicotinoïdes.

(1) Dernier ouvrage paru : A l’aube de la 6e extinction, comment habiter la terre, Grasset, 2021, 256 p., 19,50 €

(2) Les trois organismes référents de la liste rouge nationale des espèces menacées en France sont le Comité français de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et l’Office français de la biodiversité (OFB).