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Irak : à Najaf, la «mer» ressuscitée

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Dans le centre du pays, un lac asséché pendant plus d’un siècle revit de l’abondance des eaux et se peuple d’oiseaux et de poissons.
par Hala Kodmani, envoyée spéciale à Najaf (Irak)
publié le 6 mars 2021 à 11h43

Dans la ville sainte de Najaf, théâtre de sa rencontre historique, ce samedi, avec l’ayatollah Sistani, la plus haute autorité chiite d’Irak, le pape François aurait pu marcher sur les eaux. Mais il n’a sans doute même pas vu «la mer de Najaf» en plein désert. Une mer ignorée du monde. Un miracle écologique récent et rare en ces temps de désastres environnementaux quotidiens, entre réchauffement climatique et disparition des espèces.

Au pied de la ville de 1 million d’habitants, et au bout d’une grande palmeraie aux dattiers élancés, comme on en voit beaucoup en Irak, se déploie une étendue bleue de 336 kilomètres carrés, plus de la moitié de la superficie du Léman. Des enfants s’approchent de l’eau en posant les pieds sur de grosses pierres en équilibre et se penchent pour regarder les poissons. Des nuées de mouettes la survolent. Sur le côté, une barque de pêcheur attend la tombée du jour pour repartir au travail. Les abords du lac ne sont que poussière de travaux et bruits de moteurs. Rien n’est aménagé pour le loisir autour du site. Ou du moins, pas encore. Car le retour à la vie ne fait que commencer pour cette mer qui s’est absentée pendant plus d’un siècle. Dans le passé, les pèlerins arrivaient par la mer à Najaf, selon les récits des voyageurs. Mais la mer avait été asséchée en 1887 sur décision du sultan ottoman, qui ordonna d’en bloquer l’alimentation. Tout comme l’aurait fait en son temps, une première fois, Alexandre le Grand.

Il y a quelques années à peine, la mer de Najaf n’était que de vastes marais à peine humides dans une dépression tectonique. Une réhydratation progressive a commencé autour de 2012, mais les eaux sont revenues en abondance ces deux dernières années, reconstituant un véritable lac. Les études sont en cours pour expliquer le phénomène. Des sources diverses ont été identifiées, à commencer par les pluies qui, après des années de sécheresse en Irak, ont fait remonter les eaux du Tigre et de l’Euphrate. Ce dernier passe à quelques kilomètres de Najaf. Les nappes phréatiques venues d’Arabie saoudite sont également remontées, s’ajoutant à d’autres sources des oasis du nord-ouest et des petites rivières regarnies grâce aux précipitations.

En attendant d’en savoir plus sur les raisons précises de cette résurrection, ses conséquences sur la renaissance de la faune et la flore sont bien visibles. Et prodigieuses. Dès 2017, 168 espèces différentes d’oiseaux, résidents ou migrateurs, ont été recensées. Une trentaine de sortes de plantes, adaptées au climat désertique mais aussi aquatique, ont été observées. Les poissons en abondance ont permis le retour d’une activité de pêche qui avait disparu. Et l’extraction de sel s’est développée.

Si ce renouveau se confirme avec de bonnes conditions météorologiques dans les prochaines années, «Najaf-sur-mer» pourrait devenir un jour une des destinations touristiques dans un Irak qui ne manque pas de sites antiques et naturels d’une grande richesse. A condition que l’eau continue de monter, et surtout que le pays soit pacifié.

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