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Touria Chaoui, première aviatrice civile dans le monde arabe

Courageuse, tenace et déterminée, Touria Chaoui a construit elle-même sa carrière pendant les années 1950, dans un monde jusque-là réservé aux hommes : l’aviation. Depuis, elle devint un modèle pour toutes les femmes du monde arabe qui ont franchi le pas en devenant pilotes.

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Touria Chaoui au milieu d’une délégation / Ph. DR.
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Touria Chaoui est la première femme aviatrice de l’histoire du Maroc et du monde arabe. Fille d’un intellectuel avant-gardiste, elle perça tôt dans un domaine professionnel qui n’était alors réservé qu’à ses congénères. Ainsi, elle devint rapidement une héroïne pour nombre de ses concitoyennes, au même moment où le pays menait sa bataille pour l’indépendance.

Cependant, la brillante carrière de Touria Chaoui et sa success-story virèrent à la tragédie. A peine âgée de 19 ans, elle fut assassinée dans des conditions mystérieuses. Elle fut inhumée au cimetière Ahl Fès, situé dans le centre-ville historique de Casablanca, où sa dépouille rejoignit celle de son père.

L’éclosion

Née le 14 décembre 1936, la pilote fut la fille aînée d’Abdelouahed et de Zina Chaoui. Journaliste francophone et metteur en scène, ce dernier était engagé auprès de la résistance contre le Protectorat. Ainsi, il veilla à l’instruction de sa fille en la poussant à s’émanciper. Il lui transmit notamment tout son amour pour le cinéma et pour le théâtre, à tel point qu’il la mit en scène à plusieurs reprises, lors de ses tournées artistiques.

Dès son enfance, Touria incarna alors des petits rôles et fit quelques apparitions avec son père dans l’un des films où il joua. En effet, Abdelouahed Chaoui eut un rôle dans un film du réalisateur français André Zwobaba. Le site Narratively, dédié aux personnalités historiques revient sur la préparation de l’opus :

«Ce film représentait une réelle opportunité professionnelle pour Abdelouahed (…) Dans ce sens, un rôle important fut incarné par Touria Chaoui, une enfant marocaine de moins de dix ans, qui eut déjà des expériences artistiques sur la scène du théâtre local.»

Une nouvelle vie à Casablanca

Déménager à Casablanca marqua un tournant dans la vie de la jeune fille. La famille Chaoui quitta Fès pour s’installer dans la ville blanche en 1948. Sur place, Touria et son frère cadet, Salah Eddine, côtoyèrent «les grands noms du nationalisme marocain, Allal El Fassi et Ahmed Balafrej notamment», rappela en 2012 la magazine Zamane, expliquant les liens forts de leur père avec l’Istiqlal.

C’est au cœur de ces rencontres aussi militantes qu’intellectuelles que Touria Chaoui se forgea un esprit libre et émancipé, devenant précocement autonome. Enfant, elle rêvait déjà de prendre les airs, d’être pilote. Son père fut à ses côtés et l’encouragea pour réaliser ses projets.

Après de longues démarches, il l’inscrivit enfin à l’école de Tit Mellil, «jusqu’alors réservée aux Français», rappela encore Zamane. Après quoi, elle obtint son brevet en 1951 et fit la Une de la presse marocaine et internationale.

Première pilote civile au Maroc

A l’âge de 15 ans, Touria Chaoui devint la première femme pilote du monde arabe. Elle fut «également la première pilote civile marocaine, hommes et femmes confondus», précisait Zamane. La jeune fille prodige devint une fierté nationale.

En assoyant sa notoriété dans un monde encore très masculin, Touria Chaoui devint également le porte-voix de la cause des femmes. Ainsi, Zamane rappelait encore que la pilote était «ambassadrice de la cause féminine au sein de l’Institution Lalla Amina (du nom de la plus jeune fille de Mohammed Ben Youssef née en exil à Madagascar) consacrée à l’aide aux jeunes filles et à la défense de l’émancipation des femmes».

Un destin tragique

Aussi rapidement qu’elle réalisât ses rêves d’enfant, Touria Chaoui quitta ce monde bien très tôt. A mi-chemin d’une véritable gloire historique qu’elle écrivait quotidiennement au féminin et au tout début d’un parcours prometteur, la jeune pilote fut assassinée avant de pouvoir accomplir les ambitions qu’elle portait pour les femmes de son pays.

Le 1e mars 1956, à la veille de la signature du traité de l’indépendance, Touria Chaoui fut assassinée à bout portant, au bord de la voiture où elle était assise à côté de son frère. Des sources historiques tiennent Ahmed Touil comme responsable.

En effet, l’homme était connu dans les milieux de la résistance pour avoir un passé trouble. L’écrit paru dans Zamane, signé par l’historien Abdelahad Sebti, indique que la pilote aurait été victime d’un règlement de compte entre nationalistes, d’autant plus que peu avant les fait, Allal El Fassi avait conseillé à la famille Chaoui de s’installer à l’étranger pendant quelque temps.

Par ailleurs, des rumeurs suggéraient qu’Ahmed Touil aurait tué Touria «par jalousie», après en avoir été amoureux. Mais en dehors des soupçons, des hypothèses historiques d’un côté et des ouï-dire de l’autre, cet assassinat demeura un grand mystère. Touil fut assassiné peu de temps après et l’affaire resta sans suite, laissant la famille de la martyr dans un deuil éternel.

Un meurtre non-élucidé

Salah Eddine, témoin de l’assassinat, fut traumatisé à jamais en voyant mourir sa sœur ainée. Sa famille déménagea et plus tard, le frère choisit de quitter le Maroc pour s’installer en France.

Ce 8 mars, journée internationale de la lutte pour les droits des femmes, son parcours mérite d’être rappelé. Lui rendant ainsi hommage afin de sortir de l’oubli son vécu héroïque et malheureusement peu documenté, Abdelahad Sebti écrivait en 2012 :

«L’Histoire se montre néanmoins oublieuse et injuste avec le souvenir de Touria Chaoui, qui est notre meilleure preuve de ce qu’une femme a pu être à ce point en avance sur son temps… peut-être notre Jeanne d’Arc à nous.»

De son côté, Osire Glacie, chercheuse et enseignante à l’Université Bishop au Canada, évoquait cette amnésie où le vécu de Touria Chaoui fut gardé en otage :

«Jusqu’à présent, aucune biographie ni étude historique ne retracent sa vie. Qui était-elle ? (…) Etait-elle active dans les luttes nationalistes ? Comment était-elle devenue pilote ? Etait-elle en contact avec la femme pilote française Jacqueline Auriol comme on le prétend ? Pourquoi avait-elle été assassinée ? (…) Etant donné l’importance historique de Chaoui, ces questions mériteraient une réponse.»

Ainsi, la chercheuse indiqua dans son ouvrage Femmes politiques au Maroc d’hier à aujourd’hui que Touria Chaoui était «victime d’un double assassinat, à savoir un assassinat politique qui lui a coûté la vie» et «un assassinat médiatique, qui, depuis, l’enterre dans l’oubli».

Afin d’honorer sa mémoire, Salah Eddine Chaoui a sorti récemment un livre retraçant le vécu de sa sœur, intitulé «Ma sœur Touria, première aviatrice du monde arabe» (éd. L’Harmattan et La Croisée des Chemins). Pour Salah Eddine, «une ‘main’ marocaine voulait effacer le symbole que représentait [Touria]». Son parcours de combattante fait désormais l’objet d’un témoignage intimiste, afin qu’il soit «enseigné à la jeunesse», explique l’auteur.

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