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Seconde Guerre mondiale : des fusillés bretons enfin identifiés, 75 ans après

Le 18 mai 1945, un charnier était découvert dans la citadelle de Port-Louis, dans le Morbihan. Sur 69 dépouilles de résistants, 63 avaient été identifiés à l'époque. Soixante-quinze ans après, trois fusillés inconnus retrouvent enfin leur identité grâce au travail d'une association locale et avec l'aide des familles. Une plaque va être posée en leur mémoire.

Les trois fusillés de la citadelle de Port-Louis enfin identifiés : Joseph Le Meste, Joseph Justum et Joseph Quéret.
Les trois fusillés de la citadelle de Port-Louis enfin identifiés : Joseph Le Meste, Joseph Justum et Joseph Quéret. © Studio Graphique France Médias Monde
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À l'entrée de la citadelle de Port-Louis, dans le Morbihan, le Mémorial des fusillés se dresse face à la rade de Lorient. Un drapeau tricolore domine les lieux. Quelques mots solennels ont été gravés sur une stèle : "Vous qui passez, arrêtez-vous, souvenez-vous que nous avons été soixante-neuf patriotes fusillés en juin 1944 par les nazis." Pierre, Henri, Alphonse, Jean, Léon… Tout autour, sur les murs, sont inscrits les noms de ces hommes dont les corps ont été retrouvés le 18 mai 1945, lors de la découverte d'un charnier dans ce fort transformé en prison allemande durant la guerre.

Sur les 69 résistants exécutés en ces lieux, 63 avaient pu être identifiés à l'époque. Pour les six autres, des tombes portant la mention "inconnu" avaient été érigées. Soixante-quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le voile est partiellement levé sur ce mystère. Trois de ces inconnus ont enfin été identifiés. Les noms de Joseph Justum, Joseph Le Meste et Joseph Quéret vont être ajoutés sur une plaque, samedi 10 octobre, au cours d'une cérémonie.

Les six dalles où reposent les six inconnus au Mémorial des fusillés de la citadelle de Port-Louis.
Les six dalles où reposent les six inconnus au Mémorial des fusillés de la citadelle de Port-Louis. © Stéphanie Trouillard/France24

Des familles dans l'ignorance

Renée Forner, la nièce de Joseph Quéret, sera présente pour cet événement. "Je tiens à être là", insiste-t-elle. Sa famille, originaire de Larmor-Plage, a payé un lourd tribut au cours de la guerre. Son père et trois de ses oncles, tous résistants, ont donné leur vie pour la France : "Mon père a été assassiné cinq jours après ma naissance." De cette fratrie, seul le sort de Joseph n'a jamais été connu. Arrêté en juin 1944 par des agents du SD (Sicherheitsdienst, le service de sécurité de la SS), puis interné à Quimperlé, ce membre des Francs-tireurs et partisans français (FTPF) a ensuite été déclaré disparu. "Des gens l'avaient vu monter dans un camion après avoir été torturé. Personne ne savait où il était passé après", raconte Renée Forner. "On a toujours baigné là-dedans. Ma grand-mère avait perdu tous ses enfants, donc forcément, elle nous en parlait, mais elle est morte sans savoir ce qu'était devenu son fils."

Bien des années plus tard, sa petite-fille reprend le flambeau. Renée Forner se démène pour découvrir où son oncle a bien pu être enterré. En 2008, après avoir sollicité l'ambassade de France, elle reçoit un document du Service international de recherches de Bad Arolsen, en Allemagne : une liste sur les "jugements et condamnations à la citadelle de Port-Louis en mai-juin 1944". Sur celle-ci figure le nom de Joseph Quéret. Il a bien été fusillé à la citadelle le 30 juin 1944, après avoir été condamné à mort deux jours plus tôt pour "activité de franc-tireur". "Ma grand-mère avait pourtant été à Port-Louis à la Libération. On la sollicitait à chaque fois qu'un charnier était découvert. Mais elle n'avait pas réussi à reconnaître son corps. Elle n'avait pas vu son fils depuis un bon moment, et que restait-il de ses vêtements ? Et pourtant il était bien là."

Le général Wilhelm  Fahrmbacher lors de l'exhumation du charnier de la citadelle de Port-Louis, le 19 mai 1945. Cet officier avait ordonné la création de deux tribunaux militaires spéciaux, le premier dans le fort de Penthièvre à Saint-Pierre Quiberon, le second dans l’enceinte de la citadelle de Port-Louis. Des résistants y ont été incarcérés, interrogés et torturés, fusillés après condamnation à mort, ou exécutés sans jugement. Pour ne pas laisser de trace, les Allemands décidèrent de cacher le charnier lors de l’été 1944 sous les décombres du stand de tir qu'ils avaient délibérément dynamité. Il ne fut découvert qu'en mai 1945, à peine une semaine après la libération de la poche de Lorient.
Le général Wilhelm Fahrmbacher lors de l'exhumation du charnier de la citadelle de Port-Louis, le 19 mai 1945. Cet officier avait ordonné la création de deux tribunaux militaires spéciaux, le premier dans le fort de Penthièvre à Saint-Pierre Quiberon, le second dans l’enceinte de la citadelle de Port-Louis. Des résistants y ont été incarcérés, interrogés et torturés, fusillés après condamnation à mort, ou exécutés sans jugement. Pour ne pas laisser de trace, les Allemands décidèrent de cacher le charnier lors de l’été 1944 sous les décombres du stand de tir qu'ils avaient délibérément dynamité. Il ne fut découvert qu'en mai 1945, à peine une semaine après la libération de la poche de Lorient. © Amis de la Résistance du Morbihan.

Dix ans plus tard, Renée Forner rencontre Nicole Borde, une bénévole du centre d'animation historique du pays du Port-Louis et lui fait part de l'existence de cette fameuse liste. Cette association locale est elle-même sur les traces de ces fusillés inconnus. "Lors des commémorations, il était très difficile de les évoquer. Ils avaient pourtant un nom, un prénom, une famille, un village, et tout cela était encore dans l'ignorance", explique Françoise Le Louër, présidente du centre. "Des familles les cherchaient peut-être encore, mais nous n'avions pas d'ouverture pour orienter nos recherches." Grâce à la liste des Archives Arolsen, tout bascule. Après Joseph Quéret, elle permet d'identifier un autre résistant : Joseph Le Meste. Son nom apparaît lui aussi sur ce document. "Nous avons redemandé ces archives allemandes que nous avons fait traduire. Nous avons également reçu les dossiers de ces fusillés qui étaient conservés au Service historique de la Défense à Caen. Nous avons aussi recoupé les informations avec différents ouvrages. Il n'y avait plus aucun doute", décrit Françoise Le Louër.

Une copie des archives allemandes d'Arolsen où apparaît le nom de Joseph Le Meste sur les "jugements et condamnations à la citadelle de Port-Louis en mai-juin 1944".
Une copie des archives allemandes d'Arolsen où apparaît le nom de Joseph Le Meste sur les "jugements et condamnations à la citadelle de Port-Louis en mai-juin 1944". © Centre d’animation historique du pays du Port-Louis

"La boucle est bouclée"

L'association contacte alors la famille de Joseph Le Meste. Au bout du fil, c'est un mélange de surprise et de soulagement. "Je me suis dit qu'on savait enfin qu'il n'était pas enterré au coin d'un talus comme une bête. On savait maintenant qu'il était là quelque part", raconte son neveu Daniel Le Meste. Lui aussi a toujours vécu avec le souvenir de cet oncle originaire du Faouët, arrêté en mai 1944 par des Feldgendarmes (des policiers militaires allemands), incarcéré à Quimperlé, puis porté disparu. "Mes grands-parents n'en parlaient pratiquement pas, mais quand j'allais chez eux, je voyais son portrait et ses médailles qui étaient accrochés au-dessus de l'armoire. Même si je ne l'ai pas connu, cela m'impressionnait." Tous les ans, sa grand-mère se rendait à Port-Louis pour assister aux cérémonies car un de ses neveux, Jean Le Meste, y avait bien été identifié comme faisant partie des fusillés. Pour ce qui est de son fils, elle n'avait aucune certitude : "Elle n'a jamais su ce qu'il était devenu. Il pouvait être n'importe où, et comme elle n'avait aucun lieu à se raccrocher, elle allait à la citadelle. Maintenant, il y a quelque chose de fini. On sait qu'il est à Port-Louis."

En reprenant depuis le départ l'enquête sur les fusillés anonymes, le centre d'animation historique se rend aussi compte d'un tragique oubli. À travers les documents se dessine l'histoire des frères Joseph et Roger Justum. Cultivateurs à Pluméliau, ces deux résistants sont arrêtés en juin 1944, puis portés disparus. Après la découverte du charnier, leur père se rend sur place pour tenter de reconnaître les dépouilles de ses enfants. "Nous avions entendu dire qu'il n'avait pu en identifier qu'un seul", décrit Françoise Le Louër.

Des fratries ont parfois été décimées à la citadelle de Port-Louis. Les deux frères Coget, Noël et Michel, originaires de Noyal Pontivy, y ont tous les deux été fusillés.
Des fratries ont parfois été décimées à la citadelle de Port-Louis. Les deux frères Coget, Noël et Michel, originaires de Noyal Pontivy, y ont tous les deux été fusillés. © Stéphanie Trouillard/France24

Sur le mur de la citadelle, seul le nom de Roger est en effet inscrit. Le contact est alors pris avec la famille pour en savoir plus. Leur nièce Laurette Heno confirme cette version. "Mon grand-père a refusé de reconnaître que ses deux fils avaient été fusillés et étaient morts. Il avait toujours espoir qu'il y en ait un qui s'en soit sorti. C'était trop dur pour lui. Il n'a pas voulu croire que l'autre était là", confie-t-elle. Chez les Justum, le traumatisme est immense, mais tout le monde sait bien que Joseph repose lui aussi à Port-Louis. Soixante-quinze ans plus tard, la douleur s'est apaisée. Le nom du second fils va enfin être ajouté. "Quand on va à la citadelle, on ne voit que le nom de Roger. Désormais, celui de Joseph sera aussi écrit. La boucle est bouclée et le devoir de mémoire va continuer", souligne sa nièce, qui sera présente à la cérémonie aux côtés de sa mère, la sœur de Roger et Joseph, âgée de 90 ans : "Elle a de la chance d'être encore là pour vivre cela."

À Port-Louis, Joseph Justum, Joseph Le Meste et Joseph Quéret vont enfin être honorés à la hauteur de leur engagement, mais le travail de recherche n'est pas pour autant terminé. Trois inconnus n'ont toujours pas de nom. Le centre d'animation historique a une piste pour au moins l'un d'entre eux, grâce à un témoignage d'internés à la citadelle retrouvé récemment aux Archives nationales. "Je ne perds pas l'espoir d'y arriver. Peu importe le nombre d'années que cela prendra. Il faut redonner un nom à ces jeunes hommes", résume avec détermination Françoise Le Louër. "Il ne faut pas les oublier, ni leur sacrifice pour la France et la Bretagne."

La plaque inaugurée le 10 octobre 2020 en hommage aux trois fusillés identifiés.
La plaque inaugurée le 10 octobre 2020 en hommage aux trois fusillés identifiés. © Françoise Le Louër

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