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Billet de blog 8 mars 2021

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La Tunisienne Rania Amdouni est en prison parce qu’elle est queer

Le 4 mars 2021, Rania Amdouni, Tunisienne, 26 ans, comédienne, queer et militante LGBTQ a été condamnée à six mois de prison ferme avec incarcération immédiate pour atteinte publique aux mœurs et outrage à un agent public. Elle a été arrêtée au commissariat où elle allait déposer une plainte pour harcèlement par des policiers.

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Illustration 1
Rania Amdouni

Elles paraissent bien loin les promesses de la révolution : la dignité, la justice, la liberté, la démocratie. Ces rêves nous ont à peine émerveillés que déjà les islamistes, les conservateurs les ont détournés pour orienter les enjeux sociaux vers le sacré, le profane, l’identité, les valeurs, le haram (illicite), le halal (licite), la religion. Les accusations pour atteinte aux mœurs, au sacré, deviennent récurrentes en Tunisie. La condamnation de Rania Amdouni est honteuse et arbitraire. Un jugement fourre-tout pour châtier une jeune-fille queer et lui signifier qu’elle est une citoyenne de seconde zone, coupable de ne pas obéir au patriarcat hétéronormatif. L'article 230 du Code pénal condamne l’homosexualité jusqu’à trois ans de prison et les personnes suspectes de sodomie doivent subir un test anal.

Rania Amdouni est victime d’harcèlement incessant, d’une violence sans nom. Elle dit qu’elle « n’en peut plus, qu’elle est à bout ». Des menaces de mort, de viol, des caricatures sur son physique, ses photos avec des commentaires ignobles, diffusion de ses données personnelles, des insultes homophobes par des internautes, par des policiers, par des personnes politiques islamistes, salafistes, d’extrême-droite. Des agents qui gardent l’ambassade de France lui ont demandé ses papiers et l'ont interrogée : « Tu es une fille, un garçon ou entre les deux ? ». Ces policiers ont incité les passants à insulter et à frapper Rania et ses ami.es.

Rania Amdouni serait donc une menace aux bonnes mœurs tunisiennes, un danger pour l’identité arabe et musulmane ? Mais quelle est cette morale vertueuse qu’ils défendent à coups d’insultes sordides, de menaces de crime, dans un langage ordurier ? « Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. », disait Paul Valéry dans La crise de l’esprit. Ce serait donc cela, leur religion ? Un entre-soi acrimonieux qui exclut les autres humain.es, les queers, les homosexuel.les, les minorités raciales. 
En 1930, Abou-El-Kacem Chebbi écrivait déjà :
Le prophète inconnu (1)
Ô mon peuple!  Si seulement j’étais bûcheron
Pour arracher les souches de la terre
Si seulement j’étais torrent
Pour dévaster les cimetières
Ton âme idiote déteste la lumière
Elle préfère perdre son temps
Dans les ténèbres éternellement 

Illustration 2
Rania Amdouni

La Tunisie est au bord de la faillite économique, l’État est défaillant, la classe politique est corrompue jusqu’à la moelle et affamée de pouvoir. L' application des avancées juridiques est empêchée par les régressions sociales. La société est tellement divisée qu’elle n’arrive pas à se doter d’une Cour constitutionnelle pour garantir les droits et libertés inscrits dans la constitution. La police recommence à réprimer en toute impunité. Des arrestations à tour de bras, arbitraires, violentes jusqu’à causer la mort. Le 2 février, trois jeunes Tunisiens ont été condamnés à trente (30) années de prison ferme pour avoir fumé du cannabis dans un stade à ciel ouvert. 

La révolution a dix ans; la transition démocratique est longue et douloureuse. Mais ces dangers qui frappent le peuple de plein fouet sont presque un accélérateur de l’histoire. Des milliers de jeunes en colère, sont vent debout contre ces politiques obscures. La génération de Rania, ces enfants de la révolution ont repris le combat pour une Tunisie nouvelle. Elles/ils bravent la police tous les jours avec le puissant désir de liberté, de justice. #SayebRania (Libérez Rania), #SayebTounés (libérez la Tunisie). Soutenue par des organisations militantes, féministes, cette jeunesse merveilleuse est mobilisée pour la libération de leurs camarades et de Rania qui est défendue par un collectif de 18 avocat.es. Et comme chante Nabiha Karaouli :

لو تسكنوها آه في ڨصور
 حديد عندنا سلوم و نجيبوها  
نحلف بيمين  الغا ليا نجيبوها
يمّا وجّعتوها ما تضربوش البنت وجّعتوها

Même si vous l’enfermez dans vos palais de fer
Nous, nous avons une échelle et nous viendrons la chercher
Nous jurons que nous viendrons chercher notre bien-aimée
Par Allah ne battez pas la petite-fille 
Vous lui faites mal

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1-La traduction du poème d’Abou-El-Kacem Chebbi est par Ines Horchani.

Illustration 3
La merveilleuse nouvelle génération militante en Tunisie

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