Portrait : Elisa Rojas, itinéraire d’une militante inclassable

Avocate, militante anti-validisme, mais aussi autrice, Elisa Rojas, est devenue la première femme en fauteuil roulant à faire la Une d'un magazine féminin français. Retour sur le parcours de cette militante aux multiples casquettes.
Elisa Rojas itinraire dune militante inclassable
Elisa Rojas

C'est une première en France. Pour le mois de mars 2021, Elisa Rojas est devenue la première femme en fauteuil roulant à faire la Une d'un magazine féminin français, Marie Claire, qui pour un numéro spécial célèbre « 8 visages de l'espoir ». Aux côtés des actrices Aïssa Maïga et Leïla Bekthi ou bien des autrices Annie Ernaux et Grace Ly, l’avocate, romancière, et militante féministe anti-valisme – soit la lutte contre les discriminations envers les personnes en situation de handicap – a posé fièrement sur son fauteuil. « En voyant ce type de couverture, forcément, on ressent de la fierté, nous confie Elisa Rojas par écrans interposés. Je suis contente que les personnes concernées soient contentes, je peux imaginer ce qu’elles ressentent. C’est si rare ». Une rareté qui a été acclamée sur les réseaux sociaux comme dans la presse.

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Des centaines de personnes ont alors célébré cette couverture, mais surtout, célébré Elisa. « Je sais que cela n’a pas d’impact politique concret. Ce n’est pas une couverture qui modifie une structure sociale comme celle aussi excluante que la mode. Ce n’est pas une fin en soi, mais c’est un moyen de faire découvrir un contenu et des idées militantes. » Et pour cause, elle tient à faire connaître son discours de lutte contre l’handiphobie, discours politisé qu’elle tient depuis de nombreuses années.

Les prémices d'un militantisme

Bien avant de faire la couverture d'un magazine, cette avocate de 41 ans a forgé sa conscience politique dès son plus jeune âge. Née à Santiago au Chili, elle a 2 ans lorsque sa famille déménage dans le Finistère, pour ensuite s’installer à Paris, où elle peut bénéficier de soins adaptés. Car Elisa Rojas est atteinte d’ostéogenèse imparfaite, maladie génétique rare qui fragilise les os, provoque un blocage de la croissance, et lui impose de se déplacer en fauteuil roulant. Sur les conseils d’un médecin, elle est donc placée en institut scolaire spécialisé durant quelques temps, uniquement entourée d’enfants également en situation de handicap. Une expérience qui la marque à vie et qui fonde la détermination militante qu’elle affiche aujourd’hui.

Puis elle passe un bac littéraire et entame des études de droit, qu’elle adore. Elle devient avocate, et défend en priorité les salariés en difficulté face à leurs entreprises. Une première démarche politique en somme. « C’est tout l’intérêt de ce métier. Le droit c’est la mise en œuvre d’une politique. C’est génial d’avoir un métier où l’on peut militer à travers, en défendant des idées auxquelles on croit en exerçant, et en choisissant de défendre certaines personnes et pas d’autres », nous rapporte l'avocate. Elle se fait alors un petit nom dans le milieu, représentant les personnes les plus opprimées. Mais sa notoriété médiatique survient en 2004, lorsqu’elle publie une tribune qui s’insurge contre le Téléthon. Elle est alertée face à la posture dépolitisée de l’opération, qui selon elle, entretient l’idée que la relation entre une personne valide et une personne handicapée ne peut avoir qu’une dimension charitable. « C’était un constat fait devant ma télé, et ça a fini en constat politique. Il fallait créer cette parole, et pas seulement nous la laisser uniquement par le biais de témoignages racoleurs ».

Dès lors, elle enchaîne les apparitions médiatiques, elle devient le visage du discours politisé sur le droit des personnes handicapées. Mais cette notoriété l'effraie. « On commençait à me reconnaître dans la rue. Alors j’ai ralenti. J’avais l’impression de me disperser, et je me disais qu’il valait mieux que j’exerce le métier que j'avais envie de faire. » En parallèle, plusieurs partis politiques l’approchent, mais elle refuse toute proposition. « Cela ne m’intéresse pas d’être récupérée politiquement, je suis le jouet de personne. Et si des gens se fourvoient, je n’y suis pour rien. »

La parole politique dans l'âme

Alors qu’Élisa Rojas entame une pause médiatique, les réseaux sociaux, en particulier Twitter, permettent à certaines voix de prendre la parole, et de se la réapproprier. Ainsi, les années 2010 ont vu éclore de nombreuses personnalités militantes sur les réseaux sociaux, qui ont réussi à émettre des discours politiques peu entendus dans l’espace médiatique mainstream, que ce soit sur le féminisme, le racisme, ou encore, le handicap. La parole y est presque égale, tout le monde peut la prendre, Rojas aussi : « J’y ai rencontré d’autres personnes handicapées qui voulaient créer des choses sur le plan militant. Et j’avais plus de temps à consacrer à ça, avec plus d’idées précises sur ce dont on avait besoin. C'était le moment de m'y remettre pleinement »

Par ses tweets incisifs et drôles elle sensibilise sur l’handiphobie, et organise avec d’autres une prise de parole politique. Surtout, elle n’hésite jamais à interpeller sur la politique gouvernementale, qui fait « n’importe quoi » selon ses dires. Avec ses 19 000 abonnés à ce jour, Elisa Rojas est une des militantes à suivre sur le réseau social, ce qui lui a donné une certaine visibilité, et des contacts en plus. Elle co-crée avec plusieurs personnes concernées le CLHEE, Collectif Luttes et handicaps pour l'égalité et l'émancipation en 2016. Elle use de sa plume et pousse des coups de gueule sur son blog, Aux marches du palais. Elle touche à tout, ne se refuse rien. Jusqu’à publier son premier roman, Mister T et Moi (éditions Marabout), en librairies depuis le 4 novembre dernier.

La romance est politique

Mister T et moi revient sur l’histoire d'une jeune femme qui prend conscience de son handicap lorsqu'elle est tombe amoureuse d'un homme valide, devenu un ami proche, lors de ses études. Un récit presque autobiographique, inspiré d’un pan de la vie de l’autrice. Une romance donc, genre littéraire pourtant très peu exploité par les militants, plutôt cantonnés aux essais politiques, car considéré comme plus intellectuels.

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Alors pourquoi passer par le biais de l’histoire d’amour ? « Parce que je trouvais ça beaucoup plus drôle et plus intéressant de se servir d’un genre et d’un sujet qui paraissent légers. Je n’ai pas besoin de flatter mon égo en me disant "j’ai écrit un essai". On le considère plus noble que le roman, et encore plus, la romance. C'est ce qui m'a attiré dans ce genre. » Grâce à son récit, elle va insuffler, comme ailleurs, une énorme touche politique dans les mots employés. « Dans ce livre j'amène les gens sans qu’ils s’en rendent compte vers le plus important, c’est-à-dire le discours militant et politique », nous rapporte-t-elle. Car malgré son apparente légèreté, Mister T et moi bascule à un moment, et offre une réflexion sociétale et politique brûlante sur la vie amoureuse et sexuelle des personnes en situation de handicap, et notamment, celle des femmes handicapées. Une manière pour elle de ne pas opposer expérience et expertise.

Un roman qu’elle écrit en 2017, et qui est donc publié trois ans plus tard, rencontrant son succès en librairies. Elle ajoute alors une étiquette d’autrice à celle d’avocate, militante et même professeure de droit. Quatre métiers à part entière qui sont éreintants. « Je suis d'ailleurs en pleine réflexion. J’adore écrire, donc je réflechis à mettre un terme à certains côtés de ma vie pro comme ma carrière d’avocate, pour me consacrer à l'édition et le militantisme. » Mais si sa décision n'est pas encore tranchée, elle continue à défendre les plus opprimés. Dans tous les cas, elle n’a pas fini de briller.