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Animaux marins

Cette limace de mer est capable de s'auto-décapiter et de régénérer un corps entier

Des chercheuses japonaises ont découvert que certaines espèces de limaces de mer sont capables de s'auto-décapiter, en abandonnant coeur, système digestif et organes reproducteurs. Plus incroyable encore, les limaces peuvent régénérer un corps entier à partir de leur tête en moins d'un mois. 

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La tête et le corps d'une limace de mer (Elysia marginata), un jour après l'autotomie.

Certaines espèces de limaces de mer sont capables de s'auto-décapiter et de survivre plusieurs jours sans coeur, en attendant que le corps ne se reforme.

Sayaka Mitoh

Il est bien connu que les lézards sont capables d'abandonner leur queue pour échapper à des prédateurs ou que les abeilles se sacrifient souvent en abandonnant leur aiguillon, qui contient leurs intestins. Ce phénomène, appelé l'autotomie, fascine les scientifiques, d'autant que certaines espèces sont capables de faire repousser les membres les plus simples. Dans un article paru le 8 mars 2021 dans la revue Current Biology, des chercheuses japonaises dévoilent leur extraordinaire découverte : certaines espèces de limaces de mer, de l'ordre des sacoglosses, sont capables de s'auto-décapiter et de vivre plusieurs jours sans corps ni cœur. Et ce n'est pas tout : ces gastéropodes parviennent aussi à regénérer en quelques semaines un corps entier (organes complexes compris !) à la base de leur cou.

Un corps totalement régénéré en trois semaines

C’est une découverte "digne d’un film d’horreur", explique Sakaya Mitoh à Science. Cette biologiste, qui étudie les capacités photosynthétiques des limaces de mer, a un jour découvert la tête coupée d’un de ses spécimens en train de ramper au fond d'une cuve. "Nous avons d’abord cru qu’elle mourrait rapidement sans son cœur et les autres organes importants", explique cette chercheuse de l'université féminine de Nara, au Japon.

A la grande surprise de l'équipe de recherche, la limace n’est non seulement pas décédée, mais elle a été capable, en moins d'un mois, de régénérer entièrement son corps. Les chercheuses ont donc surveillé avec attention les 15 limaces de mer, de l'espèce Elysia marginata, présentes dans le laboratoire. Durant leurs observations, un tiers des limaces ont enclenché ce processus de décapitation. Les cinq spécimens ont ainsi abandonné leur corps, et se sont retrouvées sans cœur, sans organes reproducteurs et même sans système digestif ! Malgré l'absence de ce dernier, les trois limaces les plus jeunes ont commencé à consommer des algues.

Plus surprenant encore, la plaie au niveau de leur cou a cicatrisé en quelques heures, et en moins d'une semaine, un nouveau cœur avait été regénéré. En 20 jours, les limaces s'étaient dotées d'un corps flambant neuf, organes internes compris. L'une des limaces a même enclenché ce processus à deux reprises ! Les corps sans tête, eux, étaient capables de se déplacer et de réagir à des stimulus nerveux. Néanmoins, aucune tête ne s'est reformée sur les corps abandonnés : "La tête contient le cerveau, les dents, et la radula (langue recouverte de dents propre aux gastropodes, ndlr) qui peuvent être irremplaçables", explique Sakaya Mitoh au New Scientist. Durant une période variant d'une poignée de jours à plusieurs mois, les corps se sont progressivement recroquevillés et décomposés. Mais même aux premiers stades de la décomposition, les chercheuses ont pu observer que le cœur abandonné battait encore...

Une méthode radicale pour se débarrasser de ses parasites ?

Les scientifiques se sont donc demandé ce qui pouvait pousser les limaces à un acte si radical. Chez plusieurs espèces animales, comme les lézards, l’autotomie est un moyen d’échapper aux prédateurs en se séparant d'un membre non-vital. Afin d’éprouver cette hypothèse, les chercheuses ont simulé des attaques de prédateurs sur plusieurs limaces, en pinçant leur tête ou en sectionnant des membres périphériques : cela n'a pas provoqué d'auto-décapitation.

Les deux chercheuses ont donc prélevé dans la nature 82 spécimens d’une espèce proche (Elysia atroviridis) et les ont observés. Seules trois limaces se sont auto-décapitées ; deux spécimens ont réussi à régénérer complètement leurs corps, en environ une semaine. Mitoh et Yusa ont relevé que l'ensemble des limaces du groupe étaient parasitées par de petits crustacés, que l’on appelle des copépodes. Les chercheuses ont  ainsi remarqué que 39 limaces se sont amputées de plus petites partie de leur corps, comme leur queue, ce qui leur a permis de se débarrasser des parasites. Les chercheuses ont observé 64 autres limaces non parasitées : aucune ne s’est spontanément autotomisée.

"Nous pensons que cette espèce au moins de sacoglosses s'autotomise pour éliminer les parasites internes qui inhibent leur reproduction au cours de la vie, précise Mitoh au New Scientist. Mais c'est une hypothèse qui reste à tester, et d'autres raisons peuvent également être impliquées." Parmi elles, les chercheuses évoquent l'élimination de toxines présentes dans le corps des limaces ; cette autotomie si particulière pourrait également être un moyen de s’extraire quand une limace est emmêlée dans des algues.

Un processus périlleux, qui nécessite de survivre plusieurs jours sans cœur

Une autotomie extrême est néanmoins un processus risqué. Chez la première espèce de sacoglosses (Elysia marginata) observée par les chercheuses, deux limaces âgées de 16 et 17 mois s'étaient elles aussi autotomisées. Néanmoins, contrairement à leurs congénères plus jeunes, elles n'ont jamais commencé à se nourrir et sont décédées en une dizaine de jours. Selon Mitoh, "cela peut sembler être une décision idiote, mais les limaces âgées allaient de toute façon bientôt mourir. L'autotomie leur donnait une chance de survivre et de régénérer un corps exempt de parasites.".

Une question subsiste : comment les têtes de limaces sont-elles parvenues à survivre plusieurs jours sans cœur ? La réponse vient peut-être d’une pratique nommée la kleptoplastie : ce phénomène permet à certains organismes d'obtenir de l’énergie par photosynthèse. En effet, en consommant des algues, les limaces intégreraient à leur organisme les chloroplastes, des organites capables de capter la lumière à l'origine de la photosynthèse. Selon Mitoh, les glandes digestives des limaces pourraient être réparties sur l'ensemble de leurs corps, tête comprise : "Après s'être nourries d'algues, la tête des limaces devient verte à cause des chloroplastes", précise-t-elle. Ce mécanisme pourrait fournir aux limaces suffisamment d'énergie pour survivre et regénérer leur corps.

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