Autorisé au Canada depuis 2001, aux Pays-Bas depuis 2003, on peut d’ores et déjà avoir recours au cannabis médical (ou cannabis thérapeutique) dans une quarantaine de pays, dont 22 européens.

En France, il aura fallu les pressions menées par de nombreuses personnalités, associations de patients et professionnels de santé (ils sont 9 sur 10 à le soutenir) pour que le vent tourne. En 2018, c’est la mise en place d’un comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) par l’Agence nationale du médicament (ANSM). En 2019, une première expérimentation est votée. Celle-ci doit enfin se concrétiser "au plus tard le 31 mars prochain pour une durée de 24 mois", annonçait dans un communiqué l'Agence des Produits de Santé et du Médicament (ANSM), le 4 mars 2021.

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Un dispositif qui représente un espoir pour beaucoup de patient.e.s. A fortiori pour celles et ceux qui s’approvisionnent discrètement à l’étranger, vivant dans la peur des poursuites judiciaires.

Qu'est-ce que le cannabis médical ? 

À ne pas le confondre avec le CBD, la molécule autorisée devenue star des marketeurs, ou pire, avec la marijuana et le haschich, deux versions "récréatives" interdites en France, le cannabis médical est un vrai médicament destiné à renforcer l’arsenal thérapeutique contre la douleur.

Premier moteur de cette "révolution du cannabis", les personnes en situation d’impasse thérapeutique défendent activement leur cause auprès des politiques. Ceux qui osent l’interdit témoignent tous d’une transformation de leur vie.

Depuis que j’utilise le cannabis thérapeutique, fini les nausées, les allers-retours aux toilettes. Je travaille de nouveau.

Depuis des années, Valérie souffre d’une syringomyélie (maladie de la moelle spinale). Les douleurs neuropathiques sévères qu’elle provoque sont invivables : "C’est comme si je sautais dans des champs d’orties, avec le sentiment qu’on m’arrache les membres et une sensation de brûlure." Pendant cinq ans, elle prend des antidouleurs à leurs doses maximales et de la morphine, aux pics des symptômes. "Je suis vite devenue dépendante, alors que les effets antalgiques s’estompaient. Et puis, on m’a fait essayer le cannabis. J’en avais une image négative et j'avais peur des effets secondaires", confie la quinquagénaire. En moins de quinze minutes, les douleurs s’estompent. Depuis, Valérie en consomme en décoction dans du lait, avec la bénédiction de son centre antidouleur.

Même soulagement pour Eric, qui en fume une ou deux fois le soir, en fonction de l’état de sa rectocolite hémorragique. "Avec les médicaments, les poussées ne se calmaient jamais totalement. Depuis que j’utilise le cannabis thérapeutique, fini les nausées, les allers-retours aux toilettes. Je travaille de nouveau. Je revis. J’ai quelques douleurs de temps en temps et de la fatigue, mais c’est très gérable", décrit cet homme qui n’apprécie pas d’être hors la loi mais estime ne pas avoir le choix. "Le spécialiste qui me suit est au courant et juge très dommageable qu’il ne puisse pas m’en prescrire."

Une expérimentation encadrée et réservée à des pathologies bien précises

Le recours au cannabis sur ordonnance est soutenu par les professionnels de santé, car il répond à une réalité médicale : "Les analgésiques officiels sont loin de soulager toutes les douleurs profondes, chroniques ou aiguës. Les patients qui prendront part à l’expérimentation appartiennent à cinq catégories cliniques face auxquelles nous n’avons pas d’alternative", explique le docteur Pascal Douek, membre du comité scientifique spécialisé temporaire.

Et de détailler : les douleurs neuropathiques chroniques rebelles ; les "spasticités" de la sclérose en plaques (des contractions permanentes ou paroxystiques des muscles, entravant la mobilité) ; les effets secondaires des chimiothérapies ; certaines formes d’épilepsie sévère et enfin, les situations palliatives.

"Seuls 3 000 patients testeront pendant deux ans un traitement adapté à leur pathologie. Je n’en fais malheureusement pas partie", regrette Marie-Hélène. La sexagénaire qui souffre d’une forme rare de sclérose en plaques enchaîne depuis quinze ans des traitements expérimentaux sans résultats. Pendant l’expérimentation, le cannabis médical restera interdit. Le patient qui intègrera l’aventure aura une ordonnance spéciale et des médicaments fournis par les pharmacies. 

Une prescription sous trois formes différentes 

Fort de son expertise en tant que médecin, mais aussi en tant que patient - il souffre d’une sclérose en plaques depuis 2012 - Pascal Douek est l’auteur de l'ouvrage, Le cannabis médical, une nouvelle chance (Editions Solar). Cet état des lieux complet et documenté, vise à aider les personnes potentiellement concernées à y voir plus clair.

Selon l’expert, le médicament sera prescrit sous trois formes que l’on pourra associer au cours d’une journée, en fonction des pathologies. Les fleurs séchées (la fameuse "herbe"), se prendront en vaporisation grâce à un petit appareil électrique, pour un soulagement en quelques minutes. La forme est idéale pour les douleurs aiguës ou qui augmentent brutalement. Par voie orale, la vitesse d’absorption est plus lente, ce qui en fait un mode d’administration prioritaire pour atténuer les douleurs chroniques.  Selon la vitesse d’action désirée, le médecin prescrira de l’huile à prendre en gouttes sous la langue ou des gélules. "Pour chacune de ces formes, il existera 4 à 5 concentrations différentes" détaille Pascal Douek.

La classe politique hésite. Ouvrir la porte à la légalisation du médicament pourrait envoyer un message contradictoire aux Français : celui de l’autorisation informelle du cannabis récréatif.

En jeu : les ratios entre le THC (composé psychoactif interdit) et le CBD (molécule déjà autorisée), deux cannabinoïdes majeurs de la plante. L’action du médicament change en fonction de ces proportions. S’il combine une forte teneur en THC et un dosage moindre en CBD, il aura un effet analgésique et anti-nauséeux. Le ratio inverse réduira les crises convulsives de l’épilepsie et apaisera les patients en soins palliatifs.

Dernier levier d’action d’une prescription médicale réfléchie : la posologie. "Il faudra augmenter progressivement les doses jusqu’à atteindre le meilleur seuil d’efficacité avec le minimum d’effets secondaires", souligne Pascal Douek. "Les acteurs de la santé, pour qui le cannabis a été jusque-là une drogue, ont besoin d’être informés sur ses bénéfices et son administration."

Les professionnels des centres antidouleur, des services de sclérose en plaques ou d’oncologie qui participeront à l’expérimentation viennent d’être formés. Restent tous les autres.

Un enjeu politique brûlant

Malgré les timides avancées, le débat demeure vif face au cannabis médical. "La classe politique hésite. Ouvrir la porte à la légalisation du médicament pourrait envoyer un message contradictoire aux Français : celui de l’autorisation informelle du cannabis récréatif", analyse Pascal Douek.  

Le débat fait d’autant plus rage qu’au ministère de l’Intérieur, on a durci le ton contre le cannabis. "Médical versus récréatif, nous sommes face à deux sujets totalement différents mais que l’on confond trop souvent, dans le grand public comme à un très haut niveau", déplore le médecin.

Des cadres d’études à revoir

Autre matière à controverse : les études réalisées sur le sujet ont obtenu jusqu’à présent des résultats très modestes qui ne reflètent pas ce que les patients expriment, et ce, pour plusieurs raisons.

"Exclue de notre pharmacopée en 1953, la plante est considérée depuis comme un stupéfiant. Il est difficile de faire des recherches sur des substances illicites", justifie Pascal Douek. Selon lui, la petite industrie du cannabis médical manque aussi de puissance financière. "Elle commence seulement à mener des études qualitatives en partenariat avec des universités", remarque-t-il.

Enfin, il est interdit en France de récolter la fleur de chanvre. Certains tests ont donc été effectués avec du THC de synthèse, développé par une poignée de laboratoires. "Dans ce cas, le médicament ne contient pas les autres composés de la plante ; soient 400 à 500 actifs supplémentaires qui en accroitraient l’efficacité", relève Pascal Douek. D’autres études ont utilisé un cannabis de piètre qualité, glané dans la rue, ou issu d’une mauvaise variété. "Il n’y a pas un mais des cannabis. Il faut lancer des études dans des conditions qui soient en phase avec ce que l’on sait aujourd’hui", suggère l'expert.

Le cannabis médical est une jeune science qui a encore besoin de trouver ses marques. Et ses filières.