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TOUT COMPRENDRE - Pourquoi certains pays suspendent le vaccin AstraZeneca

Image d'illustration de doses du vaccin AstraZeneca

Image d'illustration de doses du vaccin AstraZeneca - JOEL SAGET / AFP

Après trente cas de coagulation sanguine, sur cinq millions de vaccinations avec des doses d'AstraZeneca, plusieurs pays ont décidé d'exercer leur principe de précaution, et de limiter l'usage de ce produit. La France n'en fait pas partie.

Alors que le vaccin Johnson & Johnson vient d'être validé par l'Agence européenne des Médicaments (EMA), le vaccin d'AstraZeneca/Oxford contre le Covid-19 sème le doute. Le Danemark, l'Islande et la Norvège ont annoncé jeudi la suspension de la distribution des doses de ce produit, après plusieurs cas de coagulation sanguine rapportés, et ce dans l'attente de plus d'informations à ce sujet.

"Si la situation devait évoluer, nous prendrions des décisions, mais à ce stade, il n'y a pas lieu de suspendre la vaccination" d'AstraZeneca en France, a jugé jeudi soir le ministre de la Santé français Olivier Véran, "le bénéfice apporté par la vaccination est jugé supérieur au risque à ce stade", a-t-il affirmé, expliquant que des "investigations sont en cours en France et à l'étranger" pour étudier ces réactions.

En réaction aux suspensions prises par plusieurs pays, le laboratoire suédo-britannique a réagi ce vendredi pour affirmer qu'il n'y avait "aucune preuve de risque aggravé" de caillot sanguin lié à son vaccin anti-Covid. "En fait, les chiffres sur ce type (de problème médical) sont beaucoup plus faibles chez ceux qui sont vaccinés comparé à ce qui serait attendu dans la population dans son ensemble", a ajouté le groupe dans un communiqué.

· Quels pays ont interdit le vaccin?

En début de semaine, l'Autriche avait annoncé avoir cessé d'administrer un lot de ces vaccins après le décès d'une infirmière de 49 ans à la suite de "graves troubles de la coagulation" quelques jours après avoir été vaccinée. Le pays avait été suivi dans sa démarche par l'Estonie, la Lituanie, la Lettonie et le Luxembourg.

Le Danemark, l'Islande et la Norvège ont déclaré jeudi avoir, de leur côté, complètement suspendu les injections de ce vaccin dans leur pays, en attendant qu'une enquête de pharmacovigilance soit menée, car "à l'heure actuelle, on ne peut pas conclure à l'existence d'un lien entre le vaccin et les caillots sanguins", indique ainsi l'autorité sanitaire danoise.

Carte des pays d'Europe limitant l'usage du vaccin AstraZeneca
Carte des pays d'Europe limitant l'usage du vaccin AstraZeneca © BFMTV
Dans la foulée, l'Italie a décidé jeudi interdire à titre de précaution l'utilisation d'un lot de vaccins AstraZeneca: "Suite aux informations sur certaines réactions indésirables graves (...), l'AIFA [Agence italienne du médicament] a décidé à titre de précaution d'interdire l'utilisation de ce lot dans tout le pays", explique l'agence dans un communiqué.

Ce vendredi, la Thaïlande a annoncé avoir décidé de retarder le lancement de sa campagne de vaccination avec l'AstraZeneca, en attendant que des enquêtes de pharmacovigilance soient menées, tandis que la Bulgarie a suspendu elle aussi les injections avec ce sérum.

En revanche, comme l'exécutif français, le gouvernement britannique, a qualifié de "sûr et efficace" ce vaccin, assurant qu'il continuerait à l'utiliser.

· Combien de personnes concernées?

L'Agence nationale de la Santé danoise parle "de rapports de cas graves de formation de caillots sanguins chez des personnes qui ont été vaccinées avec le vaccin Covid-19 d'AstraZeneca". Le Danemark a par ailleurs enregistré un cas de décès par thrombose d'une personne ayant reçu le vaccin AstraZeneca.

La thrombose est la formation d'un caillot sanguin dans une veine, "bloquant partiellement ou complètement le passage du sang", explique le site d'informations médicales Vidal. "Lorsqu’elle concerne une veine profonde (de gros diamètre), cette maladie est grave par ses complications, en particulier l’embolie pulmonaire qui peut entraîner la mort".

"Au 10 mars 2021, 30 cas d'événements thromboemboliques avaient été signalés parmi près de 5 millions de personnes vaccinées avec le vaccin Covid-19 AstraZeneca dans l'Espace économique européen", explique l'EMA, dans un communiqué publié jeudi, qui précise que "le nombre d'événements thromboemboliques chez les personnes vaccinées n'est pas supérieur au nombre observé dans la population générale".

"Le problème des caillots qui se forment dans le sang, la phlébite et l'embolie pulmonaire... C'est notre quotidien aux urgences, c'est une pathologie relativement fréquente", explique ce vendredi sur BFMTV Christophe Prudhomme, porte-parole de l'association des médecins urgentistes de France.

· Des cas en France?

Dans son dernier point de situation, l'Agence nationale du médicament (ANSM) déclare avoir enregistré "1994 cas d’effets indésirables" avec le vaccin AstraZeneca. "La grande majorité de ces cas concerne des syndromes pseudo-grippaux, souvent de forte intensité (fièvre élevée, courbatures, céphalées). L’analyse montre également plusieurs déclarations d’exacerbations de dyspnée et d’asthme qui seront surveillées attentivement". Elle note également un cas de thrombose.

"On a un cas qui est expertisé, et pour lequel on a des pistes sur une étiologie qui n'a rien à voir avec le vaccin", précise sur notre antenne Louis Létinier, médecin en santé publique et pharmacologue. "Chaque dossier est analysé" pour déterminer s'il existe "un lien de causalité avec la vaccination", a assuré Olivier Véran jeudi soir.

"On est dans le même ordre de grandeur que le risque de tous types de vaccins, que ce soit pour la polyo, le tétanos ou autres", déclare sur notre antenne Mylène Ogliastro, virologue et chercheuse à l'Inrae de Montpellier. "Ce sont vraiment des risques fâcheux, et il faut chercher à comprendre s'il y a vraiment un lien de causalité, mais pour l'instant je pense qu'il faut raison garder et que le vaccin apporte plus de bénéfices que de risques".

· Quel est le rapport bénéfice/risque?

"Pour l'instant il n'y a pas de risque authentifié, absolument aucun, par contre il y a un bénéfice très clair à l'utilisation de ce vaccin", déclare ce vendredi sur BFMTV Jean-Daniel Lelièvre, chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital Henri-Mondor (Créteil).

Jusque-là, "il n'y a pas d'association entre la thrombose et la vaccination, c'est une supputation", martèle-t-il, arguant que les pays ayant interrompu la vaccination sont "dans un excès de principe de précaution", étant donné la situation épidémique actuelle.
"Avec le paracétamol, on a quelques cas d'atteintes du foie gravissimes qui aboutissent à une greffe de foie, ce n'est pas pour cela que l'on va interdire le paracétamol", abonde Christophe Prudhomme. "Si aujourd'hui, on a un refus de se faire vacciner par le AstraZeneca d'une majorité de la population on va avoir des morts, des gens qui vont arriver en réanimation, et des morts" dus au Covid-19.

"Il n'y a actuellement aucune indication que la vaccination ait causé ces situations, qui ne sont pas répertoriées comme effets secondaires avec ce vaccin", écrit l'EMA. Sa position est que "les avantages du vaccin continuent de l'emporter sur les risques" qu'il peut entraîner, et que les doses peuvent continuer à être injectées pendant que les enquêtes de pharmacovigilance sont en cours.

L'Organisation Mondiale de la Santé a également déclaré vendredi qu'il "n'y a pas de raison de ne pas utiliser" le vaccin anti-Covid d'AstraZeneca, "nous devrions continuer à l'utiliser".

· À quoi vont servir les enquêtes?

Les enquêtes menées actuellement visent à établir s'il y a un lien réel entre l'injection de doses d'AstraZeneca, et l'apparition de thrombose chez une personne, ou si cet événement n'est pas du tout lié au vaccin, car de nombreux facteurs peuvent déclencher des thromboses.

"Vous pouvez avoir des terrains privilégiés, il y a des terrains génétiques dont on sait que la coagulation est moins bonne", explique par exemple le docteur Alain Ducardonnet, spécialiste santé de BFMTV. Et "est-ce qu'il y a des associations de médicaments? Est-ce qu'il y a des antécédents?". "On vaccine plus particulièrement les personnes âgées, qui font plus facilement ce type d'événements", note de son côté Christophe Prudhomme.

Cet épisode risque toutefois de ternir un peu plus la réputation de ce vaccin. Son efficacité chez les personnes de plus de 65 ans a d'abord été mise en doute en Europe, car il n'avait pas été testé sur les personnes âgées. Plusieurs études récentes se sont montrées rassurantes à ce sujet. Ensuite, ses effets secondaires plus importants que les autres vaccins, proches des symptômes de la grippe, avaient été pointés du doigt.

Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV