Fukushima : Naoto Matsumura, l’homme qui est resté pour prendre soin des animaux

Détail de la couverture de « Naoto. Le gardien de Fukushima ».

Détail de la couverture de « Naoto. Le gardien de Fukushima ». STEINKIS

Critique  La bande dessinée touchante de Fabien Grolleau et Ewen Blain retrace l’histoire vraie de ce Japonais qui a refusé de quitter la zone interdite après la catastrophe de Fukushima et qui est devenu un fervent militant anti-nucléaire.

Avez-vous déjà entendu parler de Namazu ? Ce poisson-chat géant supporte tout le poids du Japon sur son dos. Seul Kashima, le dieu du tonnerre, peut le contenir, en maintenant une épée plantée dans sa tête. Mais parfois, Namazu parvient à s’échapper. Et quand il remue, c’est tout le pays qui subit ses secousses. Cette légende, c’est celle que Naoto Matsumura raconte à Koichi, son neveu, lorsque la terre sous sa maison de Tomioka, dans la préfecture de Fukushima, se met à trembler. La famille ne le sait pas encore, mais le séisme va conduire à un tsunami, qui va mettre hors service le système de refroidissement de la centrale nucléaire toute proche et provoquer la fusion de trois réacteurs. Pour l’heure, les Matsumura constatent l’ampleur des vagues qui débordent du front de mer. Cette fois, ce n’est pas Namazu, mais le dragon Ryujin, symbole de la puissance de l’océan, qui « s’est réveillé ».

Extrait de « Naoto. Le gardien de Fukushima ».

Extrait de « Naoto. Le gardien de Fukushima ». STEINKIS

En convoquant la mythologie japonaise traditionnelle, en aérant leur histoire de paysages bucoliques et en utilisant des couleurs pastels - on pense à la patte de Camille Jourdy - le scénariste Fabien Grolleau et le dessinateur Ewen Blain (qui signe sa première BD) abordent la tragédie de Fukushima, survenue il y a dix ans, avec une certaine douceur, et le combat de Naoto Matsumura avec une grande bienveillance. Nous sommes devant une fable plutôt qu’un manuel de résistance. Les auteurs n’ont pas pu rencontrer ni contacter le héros de leur album, qui vit toujours à Tomioka, mais se sont appuyés sur divers articles de presse (voir notamment le portfolio publié par Mediapart et le reportage vidéo de Vice).

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« Pour lui, plus rien ne serait comme autrefois »

Au courant du mois de mars 2011, les autorités japonaises font évacuer près de 110 000 personnes dans un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale de Daiichi. En attendant de prendre la route ou de monter à bord d’un bus de ramassage, les consignes sont claires : il faut se calfeutrer, éviter les légumes du jardin et l’eau du robinet. Effaré qu’on lui demande d’abandonner son chien, rejeté par le reste de sa famille qui craint la contamination, embarrassé par la logistique du départ (embouteillages, centres d’hébergement complets), Naoto Matsumura finit par décider de rester dans la zone interdite. Seul devant un paysage désolé, cet agriculteur se sent comme Urashima Tarō, pêcheur de conte de fées qui retourne chez lui après avoir épousé la fille de Ryujin uniquement pour constater que 300 ans se sont écoulés et que plus personne ne se rappelle de lui. « Urashima ne reconnaissait plus rien. Tout ce qu’il avait connu autrefois avait disparu dans les méandres du temps. Il comprit enfin, mais trop tard, l’avertissement de sa femme. [...] Pour lui, plus rien ne serait comme autrefois. »

En remarquant que les chats, chiens, cochons, vaches et autres autruches (!) ont été laissés à leur triste sort, sans nourriture, Naoto retrouve une nouvelle énergie. Pas question de laisser les services vétérinaires euthanasier en masse. « Qui peut encore avoir des idées pareilles par ces temps d’apocalypse ? Il n’y a pas eu assez de morts ? Combien vous en faut-il encore ? », leur rétorque-t-il. On pense à la scène déchirante d’extermination montrée dans la série « Chernobyl » il y a deux ans et inspirée de « la Supplication » de Svetlana Alexievitch. Dans son livre paru en 1997 en France, l’autrice rapportait un témoignage sur le même type de sinistre mission :

« [Les chiens] attendaient le retour des gens. Ils étaient heureux de nous voir. Ils couraient vers nous en entendant des voix humaines… Nous tirions sur eux dans les maisons, les remises, les potagers… Nous les traînions dans la rue et les jetions dans la benne à ordures. C’était désagréable. Ils ne comprenaient pas pourquoi nous les tuions. C’était facile de les avoir… Les animaux domestiques n’ont pas peur des armes. Ils n’ont pas peur de l’homme. »
Extrait de « Naoto. Le gardien de Fukushima ».

Extrait de « Naoto. Le gardien de Fukushima ». STEINKIS

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« Quand un accident nucléaire survient, la nature, c’est fini »

Gardien d’un cimetière animalier à ciel ouvert, Naoto se retrouve nez-à-nez avec quelques scènes de cauchemar : des étables fermées « comme un tombeau égyptien » laissant peu de chance à la survie, des poulaillers industriels réduits à « un sol craquant d’os et de plumes », des porcheries « où ne vivaient plus que des milliers d’araignées vertes sur les carcasses ». Hanté par les yokai, esprits qui habitent toutes choses au Japon, il se persuade que sa raison d’être sera de prendre soin des animaux restants, parmi lesquels son chouchou, l’autruche nommée Boss. Chaque matin, il commence par nourrir les chats (« parce que sont les plus pénibles »), puis les chiens (« parce que ce sont les plus jaloux »), les poules, les cochons, les poneys, les vaches, et enfin les veaux, au biberon. L’ermite vit sans eau et sans électricité, mais des panneaux solaires lui permettent de recharger son téléphone et son ordinateur : pendant un temps, il a même alimenté un blog.

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Extrait de « Naoto. Le gardien de Fukushima ».

Extrait de « Naoto. Le gardien de Fukushima ». STEINKIS

L’expérience a fait de lui un fervent militant anti-nucléaire. Il lui est arrivé de quitter son arche pour donner des conférences sur le sujet à travers le monde. Il a aussi pris part à des manifestations, notamment pour la fermeture de la centrale de Fessenheim en Alsace.

« Regardez le monde autour de vous, la vie que vous aimez tant... Quand un accident nucléaire survient, c’est fini. Les fleurs, les champignons, les insectes, c’est fini. Les prairies, les forêts, les rivières, les montagnes... Tout est fini. La nature, c’est fini. Pour toujours », explique-t-il à qui veut l’entendre.

Aujourd’hui âgé de 61 ans, Naoto est considéré comme « l’homme le plus irradié du monde » par les médecins. Il refuse de s’en soucier. Depuis la catastrophe nucléaire, il a trouvé l’amour en la personne d’Akiko, son interprète du japonais à l’anglais, et a eu un fils. La mère et l’enfant vivent dans la banlieue de Tokyo. Naoto parcourt 600 km tous les mois pour leur rendre visite. Car toujours, il revient à Tomioka.

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Naoto. Le gardien de Fukushima, par Fabien Grolleau et Ewen Blain, Steinkis, 144 p., 19 euros.

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