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Pourquoi Paris n’est pas (encore) reconfinée? La France s’interroge

La recrudescence des évacuations sanitaires de patients parisiens vers les hôpitaux de province démontre que la capitale française est sous haute tension face au covid. De quoi alimenter l’incompréhension des provinciaux

Paris sur les quais de la Seine, le 28 février dernier.  — © Kiran Ridley/Getty Image
Paris sur les quais de la Seine, le 28 février dernier.  — © Kiran Ridley/Getty Image

«Dieu a inventé les Parisiens pour que les étrangers ne puissent rien comprendre aux Français.» Cette citation d’Alexandre Dumas résume assez bien la question posée, en plein choc sanitaire, par la situation difficilement compréhensible qui prévaut dans la capitale et en Ile-de-France, la région qui l’entoure.

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D’un côté, une explosion avérée des contaminations et des hospitalisations, obligeant une multiplication des évacuations sanitaires de patients vers des hôpitaux de province. De l’autre, un refus des autorités françaises d’ordonner un reconfinement total ou partiel (le week-end) de la première ville du pays (2,1 millions d’habitants), où le couvre-feu de 18h à 6h du matin est en vigueur depuis la mi-janvier. «Une fois encore, Emmanuel Macron a, lors du Conseil de défense sanitaire du 10 mars, évacué l’hypothèse d’un reconfinement pour l’Ile-de-France (12 millions d’habitants) similaire à celui en vigueur dans le Pas-de-Calais ou la ville de Nice, à savoir une fermeture totale les samedi et dimanche», affirme Le Journal du Dimanche. Et le quotidien dominical d’indiquer que le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, médecin de profession, se plaint désormais d’une «flagrante injustice».

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La situation parisienne mérite en effet plus qu’une alerte. La déprogrammation inopinée d’opérations chirurgicales vu l’absence d’équipements, utilisés pour l’assistance respiratoire aux patients covid, commence à entraîner des plaintes en justice de malades parfois laissés plusieurs heures au bloc, sans information. Le service juridique de l’Assistance publique de Paris, qui gère 39 hôpitaux en région parisienne, a plusieurs fois mis en garde son directeur, Martin Hirsch. Motif: au rythme actuel, avec un taux d’occupation des lits de réanimation de 95,90% (1100 malades) et un taux d’incidence à 377 cas pour 100 000 habitants – 475 en Seine-Saint-Denis, le département le plus touché pour une moyenne nationale de 217 et un maximum de 250 fixé par le gouvernement –, les établissements hospitaliers ne pourront bientôt plus assurer les autres urgences dans de bonnes conditions. Avec, en plus, le risque de transmettre le virus dans les autres régions alors qu’avec le retour des beaux jours, les Parisiens prennent de plus en plus le chemin de la campagne le week-end…

Pas Dunkerque, ni Nice

Pour l’exécutif, cette réalité doit être contrastée. A la différence de la ville de Dunkerque ou même de Nice, Paris est le premier bassin hospitalier de France et le Ministère de la santé mise sur la coopération accrue avec les cliniques privées pour faire face à la vague pandémique, pour moitié composée de cas infectés par le variant anglais. La difficulté vient donc plutôt, selon l’administration, de la rigidité de l’Assistance publique, qui préfère transférer en province dans d’autres hôpitaux publics – à coups d’évacuations sanitaires en hélicoptère ou en avion pour l’heure et via des TGV équipés dès cette semaine – plutôt que de chercher de l’aide du côté du privé. Vrai?

La cellule de crise de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui se réunit chaque matin à 8h30, voit la situation autrement. L’envolée des courbes d’infection, prouvées par le reconfinement italien, démontre qu’une restriction des déplacements, conjuguée avec une forte augmentation de la vaccination, est la seule solution viable, comme l’a montré le Royaume-Uni, où Londres est sous confinement strict depuis le 5 janvier. «Il y a aussi la question d’exemplarité, juge un médecin de l’AP-HP joint au téléphone. Ne pas reconfiner Paris où se trouvent les ministères et le cœur du pays, c’est donner l’impression qu’en haut lieu, la pandémie n’est pas jugée si dramatique que cela.»

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Derrière cette réticence de l’exécutif se cache un duel politique. Emmanuel Macron, soucieux de ne pas asphyxier davantage l’économie, sait qu’une adversaire présidentielle potentielle se cache derrière la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, pour laquelle un reconfinement, ce printemps, serait «insupportable». L’élue parisienne ne nie pas l’importance de la vague de contaminations, mais elle exige que la vaccination monte en puissance. Idem pour Valérie Pécresse, la présidente de droite de la région Ile-de-France, pour laquelle le gouvernement a trop tardé dans l’imposition de «mesures justifiées et proportionnées».

Mais une autre réalité inquiète l’Elysée: la montée des violences urbaines et des règlements de comptes entre bandes de jeunes, illustrée ces dernières semaines par plusieurs cas très graves avec victimes. Les rapports de la police parisienne disent redouter une «explosion» si un reconfinement, avec limitation très stricte des déplacements et contrôles afférents, est mis en place. Sauf que pour les scientifiques, le verdict est clair: Paris reste une ville ouverte au virus, la gestion sanitaire sera encore plus compliquée dans les semaines à venir…