Crypto-art : une oeuvre de Banksy brûlée par un collectif de traders pour en faire un original numérique

Crypto-art : une oeuvre de Banksy brûlée par un collectif de traders pour en faire un original numérique
Une oeuvre authentique du Street Artiste Banksy brûlée en direct par le collectif Burnt Banksy. Capture d'écran via Youtube/BurntBanksy

Une société du nom d'Injective Protocol a transformé « Morons » du Street Artiste Banksy en une œuvre purement numérique sur la blockchain, grâce à la technologie des jetons non-fongibles (NFT en anglais). Un phénomène en plein essor qui ouvre de nouvelles perspectives dans le marché de l'art.

Six minutes. C’est donc le temps qu’il faut à une œuvre de Banksy pour partir en fumée. Le 4 mars dernier, un collectif du nom de Burnt Banksy a ainsi détruit en direct sur Twitter un tirage authentique d’une gravure du Street Artiste britannique d’une valeur de 95 000 dollars (80 000 €). Leur but ? Numériser l’œuvre et transposer son actif financier dans le monde digital. Sacrilège, iconoclaste ou révolutionnaire, cette action est avant tout une première dans le monde des arts et entérine l’importance grandissante des cryptomonnaies et de la technologie blockchain sur le marché de l’art.

Des passerelles entre les mondes

À l’origine de ce projet et du collectif Burnt Banksy, on retrouve la société de blockchain Injective Protocol, qui a acheté à la galerie Taglialatella ce tirage authentique de Morons, une gravure réalisée par Banksy en 2006 et éditée à 500 exemplaires. La destruction de l’œuvre (dans le monde physique) a donné lieu à la création (dans le monde numérique) d’un NFT (non-fungible token ou jeton numérique non-fongible), sorte de titre de propriété numérique infalsifiable qui peut être vendu sur la blockchain en échange de cryptomonnaies. Dans le domaine du crypto-art, ce type de jeton, qui peut représenter un objet aussi bien virtuel que réel, contient l’ensemble des métadonnées d’une œuvre telles que son titre, le nom de son auteur, sa description ou encore son historique de propriété.
Le NFT créé lors de la destruction de l’œuvre de Banksy a ainsi pu être mis aux enchères sur la plateforme d’échanges OpenSea et s’est vendu le weekend dernier à 228.69 ETH (pour Etherum, seconde cryptomonnaie la plus capitalisée après Bitcoin), soit environ 380 000$. Le texte de l’annonce comprenait un lien vers la vidéo du collectif et un scan du certificat d’authenticité délivré par l’organisme officiel Pest Control pour l’œuvre originale.

Mirza Uddin, président d’Injective Protocol, a précisé que le collectif n’avait pas encore choisi l’association caritative à laquelle il reverserait la somme réunie mais qu’elle serait impliquée dans la gestion de la pandémie et de ses conséquences. Il a également révélé au site d’actualité spécialisé Coindesk que le groupe préparait une nouvelle action en collaboration avec un artiste de premier plan. « Notre objectif, dit-il, est de créer une passerelle entre le monde traditionnel de l’art et celui des NFT. Nous continuerons d’œuvrer pour défendre cette philosophie. »

Banksy dans la bulle spéculative

Le choix d’une œuvre de Banksy pour cette opération n’est évidemment pas anodin. Figure emblématique de la critique anticapitaliste, le Street Artiste dénonce régulièrement les dérives spéculatives du marché de l’art, que ce soit en 2013 en vendant à la sauvette à New York ses pochoirs pour 60$ ou bien en programmant l’autodestruction de Girl With a Balloon lors de sa vente record chez Sotheby’s en 2018. Créé en 2006, Morons s’inscrit dans cette lignée d’oeuvres et d’actions contestataires puisqu’elle met en scène des enchérisseurs dans une salle de vente se disputant pour acquérir un tableau portant seulement l’inscription « Je n’arrive pas à croire que vous, bande de crétins, vous achetiez cette merde ». Créée il y a près de 20 ans, cette image pointait déjà du doigt la prééminence grandissante de la performance financière de l’œuvre d’art sur sa matérialité et stigmatisait un système dans lequel les créations d’un artiste coté deviennent avant tout des collectibles, des marchandises à collectionner et sur lesquelles spéculer.

Banksy, Morons, sérigraphie sur papier, daté 2006, numérotée 325/150, « tokenisée » par le collectif Burnt Banksy le 4 mars 202, via Twitter/@BurntBanksy

Banksy, Morons, sérigraphie sur papier, daté 2006, numérotée 325/150, « tokenisée » par le collectif Burnt Banksy le 4 mars 202, via Twitter/@BurntBanksy

Si l’autodafé, aux vertus quasi alchimiques, mené par le collectif de crypto investisseurs et crypto-collectionneurs Burnt Banksy libère, en un sens, l’œuvre du système traditionnel du marché de l’art (intermédiaires compris), il risque cependant de la propulser dans une nouvelle sphère purement spéculative, dévoyant ultimement le message initial de l’artiste. Selon un récent rapport de L’Atelier BNP Paribas, plus de 250 millions de dollars ont été échangés sur le marché des NFT pour la seule année 2020, soit une explosion de plus de 200% par rapport à l’année précédente. Une tendance d’ores et déjà nettement à la hausse pour 2021, comme l’indique un rapport publié par Dapp Industry, qui révèle qu’au mois de février le volume d’échanges sur les principales plateformes de NFT a déjà dépassé les 340 millions de dollars. Une nouvelle bulle spéculative en perspective ?
Le phénomène séduit en tout cas les maisons de ventes aux enchères, à l’image de Christie’s qui organise actuellement sa toute première vente d’envergure d’une œuvre numérique « tokenisée », un collage photographique de l’artiste Beeple (aka Mike Winkelmann) intitulé Everydays : the first 5000 days. À quelques heures de la fin de la vente, l’offre la plus élevée atteint plus de 14,7 millions de dollars. Le 26 février dernier, une œuvre numérique du même artiste s’est vendu plus de 6,6 millions de dollars, alors qu’elle avait été achetée cinq mois plus tôt pour seulement 67 000 dollars.

Les artistes reprennent le contrôle

Au-delà du spectre de la bulle spéculative, l’écosystème de la blockchain et l’avènement des NFT dans le marché de l’art offrent de nombreux avantages qui séduisent de plus en plus d’artistes : une signature numérique qui garantit la rareté de l’œuvre et son statut d’original, la suppression des intermédiaires, et donc une fluidification évidente de opérations de vente, l’accès à un public d’amateurs plus large, ou encore la possibilité de fractionner des droits sur une même œuvre. De plus le jeton non-fongible peut être associé aussi bien à une création virtuelle qu’à une œuvre physique, dont il peut garantir de manière immuable le droit de propriété. Les NFT permettent aux artistes de développer de nouveaux modèles de monétisation et de diffusion de leurs oeuvres, plus directs et simplifiés, et dont ils ont davantage le contrôle.

En définitive, le curieux rituel de crémation opéré par la collectif Banksy aura finalement eu le mérite de démontrer, image à l’appui, une porosité inédite entre l’ordre matériel et l’ordre virtuel qui ouvre un nouveau champ des possibles aux artistes et à l’ensemble des acteurs du marché de l’art. Il y a certes là-dedans quelque chose qui relève tout à la fois de la science-fiction, de l’iconoclasme et du cynisme. Quelque chose de radicalement nouveau et donc d’effrayant. Mais plutôt que d’y voir les gesticulations absurdes d’un monde virtualisé et décadent, pourquoi ne pas y chercher les promesses de nouvelles libertés à expérimenter ?

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