Les Nymphéas de Monet : focus sur un chef-d’oeuvre

Les Nymphéas de Monet : focus sur un chef-d’oeuvre
Claude Monet, Les Nymphéas : les deux saules (détail), 1914-1918, 200 x 1700 cm, Paris, Musée de l'Orangerie ©Photo RMN-GP

Plongez dans le bassin des Nymphéas, grand œuvre de la vieillesse de Claude Monet qui fut l'une des sources de l’abstraction au XXe siècle.

La saga de Monet à Giverny est l’une des aventures les plus extraordinaires de l’art moderne. C’est l’histoire d’un peintre, un très grand peintre qui, arrivé au faîte de son art, de sa notoriété et de sa fortune, décide de créer un jardin, immense et merveilleux, pour y vivre et mieux se consacrer à son art, loin de l’agitation de la ville. Ce jardin, il le crée de toutes pièces, sur la propriété achetée en 1890 à Giverny, installant d’abord, avec une véritable passion botanique, un « jardin de fleurs » qui à la belle saison donne des floraisons extraordinaires ; puis faisant creuser un grand étang, alimenté par le ruisseau dont il fait dévier le cours et qui, bordé de grands saules, orné d’un pont « japonais » de couleur « vert grenouille », se pare rapidement « de nymphéas merveilleux et de féeriques iris du Japon » (Octave Mirbeau).

Claude Monet (1840-1926) Les Nymphéas : Reflets verts (détail) Vers 1915-1926 Huile sur toile, 200 x 850 cm Musée de l’Orangerie - Salle 1, mur est Photo © Musée de l’Orangerie, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy Boegly

Claude Monet (1840-1926) Les Nymphéas : Reflets verts (détail) Vers 1915-1926 Huile sur toile, 200 x 850 cm Musée de l’Orangerie – Salle 1, mur est Photo © Musée de l’Orangerie, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy Boegly

Giverny : un condensé de paysage

En fait, il s’est fabriqué un paysage à son propre usage, réunissant tous ses thèmes de prédilection, le jardin, les fleurs, le désordre végétal, les arbres, l’eau et le ciel, le fluide et l’aérien, le frissonnement des choses qui passent sous la caresse d’une lumière perpétuellement changeante, tout cela en un seul site. Giverny est un condensé de paysage, et comme une métaphore de la nature entière. Et ce « jardin d’eau » serti au cœur du jardin aimante le regard et la rêverie du peintre de l’eau qu’est Monet. L’étang aux nymphéas devient progressivement, après le tournant du siècle, le thème dominant de son œuvre puis, à partir de 1915, son thème quasi exclusif. « Ces paysages d’eau et de reflets sont devenus une obsession, écrit-il. C’est au-delà de mes forces de vieillard, et je veux cependant arriver à rendre ce que je ressens. » Il y travaillera jusqu’à son dernier souffle. Quelque 300 toiles, dont beaucoup de très grands formats, sont issues de cette inspiration – sans compter celles que le peintre a détruites.

Claude Monet (1840-1926) Les Nymphéas : Les Deux Saules (détail) Vers 1915-1926 Huile sur toile, 200 x 1700 cm Musée de l’Orangerie - Salle 2, mur est Photo © Musée de l’Orangerie, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy Boegly

Claude Monet (1840-1926) Les Nymphéas : Les Deux Saules (détail) Vers 1915-1926 Huile sur toile, 200 x 1700 cm Musée de l’Orangerie – Salle 2, mur est Photo © Musée de l’Orangerie, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy Boegly

Un projet de grand décor

Dès 1897, il avait eu le projet de « grandes décorations », selon son expression, faites de longs panneaux ne donnant à voir que de l’eau et formant une frise circulaire entourant le spectateur, comme le faisaient les panoramas de l’époque. Mais il ne donne pas suite à cette idée et se consacre à plusieurs séries, comme celle des Bassins aux nymphéas (autour de 1900), explorant les phénomènes optiques créés par la coexistence sur le même plan d’objets réels posés sur l’étendue (les nénuphars) et de reflets semblant plonger verticalement (les arbres) ou voguer dans le ciel (les nuages), alors que ces objets même sont, bien souvent, rejetés hors champ.
Et voilà que, en 1914, l’ancien projet resurgit : « Il s’agit de ce projet que j’avais eu, il y a longtemps déjà : de l’eau, des nymphéas, des plantes, mais sur une très grande surface ». Pour le mener à bien, il se fait construire un atelier spécial, vaste et haut de quinze mètres. Ces « grandes décorations » sont une suite de grands panneaux ajustés les uns aux autres et formant, dit-il, « un tout sans fin, une onde sans horizon et sans rivage ». Mais ce décor n’a aucune destination. À la fin de la guerre, Monet décide de donner deux de ces panneaux, puis la totalité, à la France, et son ami Clemenceau s’engage à leur trouver un lieu d’accueil. Ce sera au musée de l’Orangerie, dans deux salles spécialement aménagées, où elles furent installées en 1927, après la mort du peintre, qui les considérait comme incomplètes. Elles y sont toujours.

Les Nymphéas de Claude Monet, salle 1 Musée de l’Orangerie Photo © Musée de l’Orangerie, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy Boegly

Les Nymphéas de Claude Monet, salle 1 Musée de l’Orangerie Photo © Musée de l’Orangerie, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy Boegly

Abstraction méditative

Ce sont huit compositions différentes mais se « prolongeant », pour ainsi dire, l’une l’autre, toutes offrant le même point de vue plongeant sur l’eau, sans aucun bord, ni terre, ni horizon, ni rivage, ni ciel. Leurs titres, Matin, Les Nuages, Reflets verts, Reflets d’arbres…, illustrent bien le processus qui est à l’œuvre dans ces Nymphéas, de dilution du sujet et de tout motif clairement figuré, et l’avènement d’une réalité plus vaste, plus ouverte, plus abstraite aussi. La peinture s’efforce de saisir la nature dans sa totalité, infiniment variée et changeante, mais organiquement unie et continue. Et elle s’offre comme expérience sensitive et méditative au spectateur, qu’elle entoure et qu’elle « absorbe » en même temps qu’il s’absorbe en elle. C’est cette dimension d’illimité et d’expérience globalisante qui intéressa tant les peintres abstraits des années 1940-1950. Mais aussi, bien sûr, l’extraordinaire déchaînement de la touche picturale, qui désintègre les choses, les noie dans le grand flux de couleurs, de lumières et de rythmes qu’elle crée, à l’instar de la nature.

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