« La perte subie par la communauté, le Michoacán et le Mexique tout entier est irréparable », selon Nelly Sigaut, chercheuse au Colegio de Michoacan qui connaissait par cœur l’édifice de Nurio, une ville de 5000 habitants dans le Michoacán. L’église, que l’on surnommait la « chapelle Sixtine du plateau Purépecha » (du nom de la communauté indigène qui y vit), s’est embrasée le 7 mars dernier, en pleine messe, en causant des dommages irréparables. Si quelques objets mobiliers ont pu être sauvés, le riche décor polychrome du plafond à caissons, réalisé au XVIIe siècle, ainsi que les grands retables, le balcon sculpté du chœur et l’ensemble des peintures murales de style indigène ont été intégralement détruits. Le sanctuaire, dont il ne reste plus qu’un tas de cendres entouré de quatre murs de pierre rouge, n’est plus qu’une coquille vide. Les autorités mexicaines vont dépêcher prochainement un groupe d’experts sur le site afin d’enquêter sur l’origine du feu.
Un témoin de l’histoire Purépecha
Par ses décors et son style, le Templo de Santiago Apostol était unique et extrêmement précieux. Avec ses murs peints, son plafond très ouvragé, décoré d’anges et de motifs colorés, et son chœur à balcon sculpté, qui présente des influences gothiques, romanes et mauresques, l’église était un témoignage unique du style néo-hispanique Purépecha. Inspirée du style mudéjar et préfigurant la période baroque néo-hispanique, elle faisait originellement partie d’un ensemble de bâtiments imaginés par l’évêque Vasco de Quiroga (1470/78-1565), qui rêvait d’une communauté inspirée de l’Utopie de Thomas More.
Quiroga, qui fut, à partir de 1539, le premier évêque du Michoacán, a permis aux communautés Purépecha de développer une très grande maîtrise artisanale dans de nombreux domaines et occupe, à ce titre, une place importante dans l’histoire locale. Considéré comme un « protecteur des indigènes », il était très apprécié par les colonisés et s’est fermement opposé à leur mise en esclavage. L’église avait donc une importance toute particulière pour les communautés indigènes Purépecha, encore très présentes dans le Michoacán, qui avaient notamment contribué à son ornementation au fil des siècles. Pour Nelly Sigaut, qui n’hésite pas à comparer cet incendie à celui de Notre-Dame de Paris, ce sont ces communautés qui doivent aujourd’hui décider de l’avenir du monument délabré.
Un site à risque en attente de restauration
La tension était palpable lors de la rencontre entre les autorités locales et les représentants de l’Institut national d’Anthropologie et d’Histoire (INAH), rapporte le journal espagnol El Pais. Le maire de la Ville, José Manuel Caballero, a pointé du doigt les faibles budgets alloués à la préservation du patrimoine, et en particulier celui des indigènes. « [Les pompiers] ne pouvaient même pas diriger le jet d’eau contre les murs de pierre, car nous ne savions pas s’ils tiendraient », explique-t-il. L’INAH devait en effet commencer des restaurations d’ampleur en janvier dernier mais celles-ci ont été plusieurs fois retardées à cause de conflits institutionnels et du manque de moyens, aggravé par les coupes liées à la crise sanitaire. Des incendies de moindre importance étaient pourtant déjà survenus dans cette église, ainsi que dans plusieurs autres des environs. Le Fonds mondial pour les monuments, une institution internationale de préservation du patrimoine, l’avait d’ailleurs classée sur sa liste des sites à risque il y a plusieurs années. L’INAH est d’ores et déjà en discussions avec ses compagnies d’assurances pour débloquer des fonds et une équipe sera prochainement envoyée pour évaluer les dégâts, identifier les causes de l’accident et formuler des recommandations pour sa restauration.