
Football
Par Florence Chédotal
Publié le 17 mars 2021 à 08h00
•
Écouter l'article
Quels mécanismes ont permis au complotisme de s’épanouir à l’occasion de cette pandémie ?
En premier lieu, le caractère profondément anxiogène de cette séquence pandémique a fragilisé certaines personnes qui ont basculé dans la peur. Or, la peur est un mauvais pilote lorsque l’on cherche à s’informer. Par ailleurs, le confinement a poussé une part significative de la population à rester chez elle et à consommer naturellement plus d’informations en ligne et donc, statistiquement, à être plus exposée à des contenus de type complotiste.
Cette recherche légitime de réponses des Français est allée pour partie se nourrir via les réseaux sociaux. Or, cet écosystème a un travers qui lui est propre : ce sont plutôt les discours marginaux et militants extrémistes qui sont les plus actifs en ligne.
Vous trouverez par exemple sur Facebook des groupes anti-masques qui poussent du contenu, mais pas de groupe pro-masques. Il existe aussi un fort déséquilibre entre les discours anti-vaccins et les rares qui militent en faveur d’un discours scientifique sur les vaccins.
Existe-t-il un profil-type de complotiste ?
Il n’y en a pas a priori. On peut tous être victime d’une information tendancieuse, d’une fausse information.
Quand on est face à un tableau de données, on n’a pas forcément la capacité de dire s’il est crédible au sein du consensus scientifique. C’est complexe car des informations scientifiques qui circulent notamment sur les réseaux sociaux sont décontextualisées du consensus scientifique dans lequel elles s’expriment.
Il peut y avoir des scientifiques qui ne sont pas complotistes et qui vont remettre en cause tel ou tel aspect de ce qui est consensuel au sein du personnel scientifique. Seulement, si on n’entend que cette voix partagée par des groupes militants, on n’a pas la culture scientifique pour remettre en cause ce discours-là. On voit le titre de la personne, on pense sa parole légitime, elle l’est, mais si elle remet en cause le consensus scientifique, elle n’est pas crédible. Le niveau d’études peut impacter, mais cela reste une nuance marginale.
Cette vidéo peut vous intéresser
Feed digiteka
Le documentaire « Hold-up » n’aura-t-il été qu’une polémique ou va-t-il laisser des traces ?
Pour moi, Hold-up est plus le symptôme de quelque chose qu’un problème conjoncturel. Il a été un accélérateur de postures complotistes par rapport à l’expertise, à l’autorité médicale et au consensus scientifique, dont le principe même est attaqué dans ce documentaire.
Le problème avec Hold-up, c’est que l’offre a rencontré une demande. Cela nous enseigne qu’une population est prête et mûre pour y croire. Hold-up est donc le marqueur de la situation inquiétante dans laquelle on est.
Peut-il y avoir une traduction politique de ce phénomène ?
Bien sûr ! L’exemple le plus caricatural est Florian Philippot qui cherche clairement à capitaliser des voix sur la frustration de Français par rapport aux contraintes qui leur sont imposées pour raisons de santé. Derrière Hold-up, il y a une remise en cause du travail du gouvernement qui peut être critiquable soit dit en passant.
Ceux qui ont été sensibles au discours de Hold-up ont une tonalité idéologique assez forte, plutôt à l’extrême droite pour l’essentiel, mais aussi à l’extrême gauche et dans les milieux écologistes.
On voit ce qu’une posture complotiste menée au sommet de l’État a pu donner pendant quatre ans aux États-Unis. On a désormais un précédent vertigineux sur les conséquences géopolitiques et sociales avec des personnes qui ont basculé durablement.
Le taux de pénétration du phénomène Qanon est-il important en France ?
Non, il est marginal mais significatif. Il est plutôt inquiétant par sa façon d’irradier d’autres communautés (milieux du bien-être, du yoga…) avec un fantasme de pédosatanisme généralisé des élites.
Est-il juste de dire qu’une société a les complotistes qu’elle mérite ?
Je dirais plutôt que le complotisme est le symptôme d’une société qui va mal. La pandémie comme ses conséquences économiques attaquent les fondamentaux de la société, du vivre ensemble, de la confiance envers les politiques. Cela polarise les communautés les unes contre les autres. Le complotisme est une part visible de ces phénomènes destructurants.
On ne peut pas convaincre un complotiste avec des faits, ce qui rend ces théories impossibles à déconstruire. Donc on fait quoi ?
Il est important de combattre ces discours et d’opposer un discours basé sur les faits, ne serait-ce pour que, dans ce marché déréglé de l’information que sont les réseaux sociaux, il existe une contre-offre disponible. à destination de ceux qui n’ont pas encore basculé. D’où l’importance du travail fait par les médias pour qu’il y ait une pluralité en ligne.
Certaines familles ont pu se déchirer face à des discours complotismes. Comment réagir ?
Tout dépend du niveau de complotisme dans lequel la personne a basculé. La première chose, si on peut, est d’avoir un discours apaisé et d’éviter une trop forte conflictualité dans l’échange.
Il faut tenter d’être à l’écoute, essayer de ne pas briser le lien affectif qui nous lie, questionner ses sources et de lui faire questionner.
Je pense aussi que, dans certains cas, une bonne dose d’amour peut avoir un impact positif si notre inquiétude est sincère. Mais il n’y a aucune solution miracle et cela peut prendre beaucoup de temps selon le niveau d’infection, je dirais. C’est un cheminement interne complexe et propre à chacun.
Sur TikTok, Instagram… on voit monter une vague d’ésotérisme parmi les jeunes. Est-ce à distinguer du complotisme ?
Non. La complosphère a des terrains de déploiement plutôt inquiétants avec des discours qui s’épanouissent notamment dans l’univers des santés alternatives, du bien-être, de la spiritualité…
Les santés alternatives sont un lieu naturellement fertile parce qu’elles considèrent qu’il faut aller contre le mainstream scientifique et opposent au Big Pharma d’autres moyens comme des pierres ou des jus pour se soigner.
C’est très souvent une pente glissante et dangereuse car il existe un risque pour la santé des Français.
Propos recueillis par Florence Chédotal
Partager :
Les plus lus