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Les ratés du confinement «troisième voie»

L’entrée en vigueur, vendredi à minuit, des nouvelles règles de confinement sur un tiers du territoire a donné lieu à une série d’erreurs. Ces mesures pourraient néanmoins être étendues cette semaine à d’autres départements

Philippe Labourel, libraire qui se fait surnommer «Le papa des nounours», à Paris, 3 mars 2021. — © AP Photo/Francois Mori
Philippe Labourel, libraire qui se fait surnommer «Le papa des nounours», à Paris, 3 mars 2021. — © AP Photo/Francois Mori

La «troisième voie»: tel est le terme supposé définir le nouveau mode de confinement entré en vigueur depuis vendredi minuit dans 16 départements français, soit environ un tiers du territoire, regroupant environ 21 millions d’habitants. Et ce, pour quatre semaines.

Problème: les mesures annoncées jeudi 18 mars par le premier ministre, Jean Castex, sont déjà remises en cause. Soit en raison de leur potentielle inefficacité, soit du fait des complications bureaucratiques qu’elles suscitent. Résumé d’une «troisième voie» qui interroge.

Confinés ou pas? Dans le labyrinthe des attestations…

Depuis vendredi minuit, tous les habitants des 16 départements français concernés par les nouvelles mesures de confinement (ceux des régions Ile-de-France et Hauts-de-France, plus la Seine-Maritime, l’Eure et les Alpes-Maritimes) sont soumis à un nouveau type de confinement.

Ils peuvent continuer d’aller et venir librement durant la journée, mais seulement dans un rayon de 10 kilomètres pour leurs loisirs (30 kilomètres pour faire des courses) et sans possibilité – sauf motif impérieux ou professionnel – de se rendre hors de ces zones classées «rouge écarlate» en raison de leur taux de contamination très élevé au coronavirus et de la saturation des lits de réanimation.

Sans être obligatoire, le télétravail est recommandé quatre jours sur cinq. Dans ces 16 départements, tous les commerces non essentiels sont fermés. Et ce, pour quatre semaines.

Trois accrocs dans le dispositif sont toutefois intervenus ce week-end. Le premier a été, vendredi, l’exode important des Parisiens vers la province, ce qui pourrait entraîner une propagation du virus et la fermeture prochaine d’autres départements. Deuxième problème: l’existence d’un réel risque sanitaire ailleurs, illustré par les images d’un carnaval non déclaré à Marseille ce dimanche. Troisième «bug» enfin: les attestations. L’attestation de circulation dans la journée a ainsi été rapidement abandonnée. Un simple justificatif de domicile suffira. L’attestation de déplacement n’est finalement requise en journée que pour les déplacements de plus de 10 kilomètres, et pour les trajets en violation du couvre-feu national de 19h à 6h.

Pour les voyageurs en provenance de l’étranger, dont la Suisse, les mesures sont inchangées: nécessité d’un test PCR de moins de 72 heures, justification du motif impérieux de voyager, déclaration de domicile à remplir en ligne pour pouvoir être localisé et quarantaine «volontaire» de sept jours si le déplacement est supérieur à 48 heures. Attention: une fois arrivés sur le territoire des 16 départements concernés, les visiteurs étrangers doivent se plier aux nouvelles règles en vigueur.

Commerces fermés ou pas? La polémique enfle

Les écoles restent ouvertes. Mais le fait d’avoir décrété la fermeture complète de 110 000 commerces non essentiels dans les 16 départements concernés à partir de vendredi minuit a immédiatement ouvert la polémique sur l’inégalité de traitement au niveau national.

La différenciation entre les régions est pourtant logique, vu les inégalités de taux de contamination et le souci des autorités françaises de «territorialiser» désormais l’approche. N’empêche: plusieurs associations de commerçants parisiens menacent déjà de porter plainte auprès du Conseil d’Etat, soit en raison de la discrimination entre activités (en plus des pharmacies et des commerces alimentaires, sont autorisés: les libraires, les disquaires, les vendeurs de journaux, les magasins de bricolage et quincailleries, les opticiens, les tabacs, les magasins de télécoms, les vendeurs de cigarettes électroniques, les magasins vendant de la nourriture pour les animaux de compagnie, les commerces de puériculture, les coiffeurs et les concessions automobiles), soit pour dénoncer la discrimination entre les zones où la densité de population est comparable (pourquoi boucler Paris et pas Lyon ou Marseille?).

Selon le Ministère de l’économie, le montant des aides que l’Etat devra débourser pour compenser ces cessations d’activité sera de 1,2 milliard d’euros. Actuellement, l’Etat français débourse 7,2 milliards d’euros par mois en mesures anti-covid.

Echec politique ou urgence sanitaire? Un peu des deux…

Fin janvier, alors qu’un reconfinement général était attendu, Emmanuel Macron avait opté pour l’instauration du couvre-feu et la «territorialisation» des mesures, ouvrant la voie aux verrouillages locaux d’abord expérimentés à Nice et à Dunkerque, deux foyers de contamination. La volonté politique l’avait alors emporté sur les recommandations des experts scientifiques. Depuis, la situation s’est dégradée avec, ce 21 mars, 4353 cas graves en réanimation dans le pays et 35 088 nouvelles contaminations en 24 heures. Les mesures annoncées jeudi 18 mars prouvent donc l’échec de ce pari. Un échec dû largement à l’insuffisante accélération du nombre de vaccinations (5 630 671 Français ont reçu une première dose, 2 297 100 ont reçu deux doses et 10 838 940 doses ont été reçues… contre 7 millions de personnes vaccinées en Allemagne et 24 millions au Royaume-Uni) et à la saturation des services hospitaliers à Paris et dans les Hauts-de-France.

La question des hôpitaux est cruciale. A la suite de la première vague épidémique, le nombre de lits de réanimation était passé, dans l’Hexagone, de 5000 à 10 000 lits… mais cette augmentation n’a été que temporaire. Ces lits provenaient par exemple de «lits de surveillance continue transformés en lits de réanimation» ou «d’unités d’hospitalisation et notamment des unités ambulatoires», selon une note de la Haute Autorité de santé (HAS).

En clair: les capacités d’urgence débloquées jusqu’en juin 2020 ont été démantelées… et doivent maintenant être réactivées. Avec une difficulté supplémentaire: l’impossibilité de déprogrammer des opérations déjà annulées en 2020. Autre difficulté: les besoins importants en personnel requis par les services de réanimation, que les hôpitaux publics ne peuvent plus assumer, en particulier en région Ile-de-France.

La «troisième voie» a donc avant tout pour but d’agir comme un palliatif: mettre les régions les plus touchées par le coronavirus en mode pause… en attendant les vaccins. Avec une autre interrogation assurée de faire débat: pourquoi ces mesures de reconfinement partiel s’interrompent-elles pour l’heure le 17 avril, pile le jour du début des vacances scolaires de Pâques en région parisienne, bonne raison pour un nouvel exode des habitants de la capitale?