Pourquoi il est crucial de protéger les océans et leur extraordinaire biodiversité

Protéger assez d'espaces maritimes pour aider les populations de poissons en déclin à se rétablir, restaurer les habitats et lutter contre le changement climatique : pourquoi il est essentiel de protéger 30 % des océans d’ici 2030.

De Laura Parker
Publication 19 mars 2021, 11:34 CET, Mise à jour 12 mai 2021, 12:14 CEST
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Des Labres s’approchent de l’appareil photo lors d'une expédition pour le projet Pristine Seas au cœur des îles Desventuradas.

PHOTOGRAPHIE DE Enric Sala, National Geographic Pristine Seas

La campagne destinée à protéger 30 % des océans d’ici 2030, à laquelle ont adhéré plus de soixante-dix nations, est majoritairement connue pour ses ambitions démesurées et de moindre résultats à ce jour. À peine 7 % des océans sont protégés aujourd’hui et tout juste 2,7 % le sont fortement.

« Atteindre les 30 % de protection d’ici 2030, c’est très optimiste », déplore Patricia Majluf, scientifique péruvienne qui a œuvré à la création d'une aire marine protégée dans les eaux profondes du Pérou malgré la forte opposition de l’industrie de la pêche. Moins de 0,5 % des eaux côtières du Pérou est protégé. Au printemps, la proposition de la création d'une aire marine protégée pour la dorsale de Nazca, une chaîne de montagnes sous-marine qui s’étend dans Pacifique le long des côtes péruviennes, devrait voir le jour. Le taux d’eaux protégées au Pérou s’élèverait alors à 8 %.

Selon les pêcheurs, condamner près d'un tiers des océans est une mesure que les pays en développement ne peuvent se permettre. Cet argument, avancé contre le développement de nouvelles aires marines protégées (AMP), s’est répandu dans le monde entier. Le fossé entre les défenseurs de l’environnement et les acteurs du monde de la pêche se creuse à mesure que les réserves de poissons diminuent et que la consommation de fruits de mer augmente.

La réserve naturelle de Saint Joseph Atoll, classée comme aire marine protégée.

PHOTOGRAPHIE DE Thomas P. Peschak, Nat Geo Image Collection

Une étude publiée dans la revue Nature le 17 mars 2021 entend faire évoluer radicalement les opinions. L’étude révèle que la protection de 30 % des océans permettrait non seulement de rétablir la biodiversité marine mais également d’augmenter les prises annuelles de huit millions de tonnes, soit 10 % des prises actuelles. En outre, ces aires fourniraient une « solution économique et naturelle » pour lutter contre le changement climatique en réduisant le taux de carbone émis par les chalutiers.

« La seule solution pour remonter plus de nourriture des océans, c’est de le protéger davantage », explique Enric Sala, l’auteur principal de l’étude. Il est écologiste marin mais aussi explorateur pour la National Geographic Society, qui a financé une partie de cette étude. « Les prises sont en déclin depuis le milieu des années 1990, et une telle mesure leur confèrerait un avantage permanent. »

 

UNE PROTECTION CIBLÉE

Dans cette étude, une équipe de vingt-six scientifiques du monde entier a analysé les eaux non protégées des océans afin de déterminer lesquelles sont menacées par la surpêche, la destruction des habitats et les émissions de carbones. L’équipe, composée d’économistes et de spécialistes des sciences marines et climatiques, a cartographié les zones où la mise en place d'une protection serait la plus bénéfique pour les réserves de poissons, la biodiversité et le climat.

Selon les experts, les résultats ont permis de créer un schéma qui pourrait être utilisé par les gouvernements afin de relever ces trois défis, séparément ou conjointement, en fonction de leurs objectifs nationaux. Pour répondre pleinement à ces trois enjeux, au moins 30 % des océans devront être protégés. Toutefois, les nations pourraient tout de même assurer une protection efficace en se concentrant sur certaines zones clés. La coopération mondiale pour déterminer de manière stratégique l’emplacement de ces zones protégées pourrait s’avérer près de deux fois plus efficace que des efforts individuels.

 

LES ÉMISSIONS DE DIOXYDE CARBONE

Cette étude est la première à se pencher sur l'analyse des potentielles émissions de carbone dans l’océan à cause du chalutage profond et du dragage pour la pêche d’invertébrés tels que les coquilles Saint-Jacques. Les sédiments marins forment le « plus grand réservoir de carbone organique » sur Terre, élément-clé du stockage à long terme.e.

Ainsi, le carbone relâché dans l’océan lorsque les filets de pêche les plus imposants raclent les fonds marins et remuent les sédiments « pourrait induire une acidification de l’océan ». En outre, cette pratique pourrait être responsable d'une diminution d'absorption du CO2 atmosphérique, ce qui contribuerait à l’effet de serre, responsable du réchauffement climatique.

M. Sala et ses collègues ne savent pas quelle quantité de CO2 le chalutage profond produit. Toutefois, puisque la présence du chalutage profond est faible, la protection d’à peine 3,6 % des océans diminuerait de 90% les risques d’émissions carbone liés à cette pratique. Les zones les plus vulnérables aux émissions carboniques se trouvent le long des plateaux continentaux, on cite notamment la zone économique exclusive de la Chine, la côte Atlantique de l’Europe et la dorsale de Nazca au Pérou.

En prévision de la réunion de la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies qui se déroulera en octobre à Kunming en Chine, les scientifiques plaident en faveur d'une meilleure collaboration mondiale pour la protection des océans. Les Nations Unies espèrent que cent-quatre-vingt-dix nations signeront un accord sur la biodiversité, dont le principal objectif serait celui des « 30 % d’ici 2030 ».

« C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons mené ce projet », indique M. Sala, directeur du programme Pristine Seas de la National Geographic Society. « Nous devons nous assurer que les faits sont indéniables afin d’empêcher toute manœuvre politique qui voudrait négocier la proportion des océans que nous tentons de protéger. Actuellement, c'est la loi des rendements décroissants qui prime. L’océan ne peut pas absorber tous nos dommages. Il ne peut pas suivre ce rythme. On doit lui laisser davantage d’espace pour que l’on puisse continuer de s’y approvisionner et que le reste de la planète en tire profit. »

Selon les affirmations des scientifiques, la plupart de ces « zones prioritaires » se trouvent au sein des zones économiques exclusives des nations côtières, c’est-à-dire les régions océaniques qui s’étendent à environ 320 kilomètres du littoral. La création d’aires marines protégées en haute mer, là où le droit international s’applique, se résulterait très bénéfique pour le rétablissement des populations de poissons et des habitats. On peut citer notamment le plateau des Mascareignes dans l’océan Indien, la dorsale sud-ouest indienne située entre l’Afrique et l’Antarctique ainsi que plusieurs grandes chaînes de montagnes sous-marines telles que la dorsale médio-atlantique ou celle de Nazca au Pérou.

 

LES EAUX LES PLUS PROLIFIQUES DU MONDE

La protection de la dorsale de Nazca, une chaîne de montagnes sous-marine formée par l’activité volcanique, préserverait la biodiversité des eaux comptant parmi les plus prolifiques du monde. Elle constitue l’habitat de certains requins des profondeurs, fait office de pouponnière pour les espadons (Xiphias gladius) et les chinchards et fait partie des lieux de halte migratoire et de reproduction des baleines bleues (Balaenoptera musculus). Près de 40 % des espèces de poissons et d’invertébrés de cette région du globe sont endémiques. La zone délimitée pour constituer la nouvelle aire marine protégée abrite de nombreuses espèces menacées, en danger ou en voie de disparition. De plus, elle comporte des habitats fragiles, perturbés par la présence humaine et dont le rétablissement s’avère lent.

La potentielle AMP s'étend sur près de 70 000 km2 et représente 7,3 % des eaux péruviennes. Patricia Majluf, également vice-présidente d'Oceana, une l’association à but non lucratif pour la conservation de l’environnement, explique que la protection de cette zone permettrait d’éviter la dégradation de certains monts sous-marins grâce à la mise en place de palangres de fond pour la pêche de la légine australe (Dissostichus eleginoides), commercialisée sous le nom de bar chilien. De nos jours, environ 7 % des prises annuelles de légines australes sont effectuées au sein de la potentielle aire marine protégée.

La vice-présidente, qui n’a pas pris part à l’étude publiée dans Nature, assure également qu’avec la protection de la dorsale, la flotte chinoise qui pêche les calmars au large de l’Amérique du Sud serait repoussée.

Si la création de l’aire marine protégée de la dorsale de Nazca entre en vigueur, il suffira au Pérou de protéger encore 2 % de ses eaux pour atteindre son objectif de 10 % d’eaux protégées. Comme le dit Mme Majluf, « notre avenir repose sur [la création] d’AMP plus petites, plus proches du littoral et sur la lutte contre les autres activités anthropiques ».

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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