Faire bouger les lignes : et si c’était avant tout cela le leadership ?

 
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Nul ne saurait dire, a priori, si les femmes sont ou seraient de meilleures leaders que les hommes et inversement. Cependant, il est certain que la question du leadership doit inévitablement se poser dans le contexte des rapports différenciés de genre entre femmes et hommes, et des stéréotypes qui pèsent directement sur la question du leadership.

Leadership et pouvoir, deux notions associées depuis l’antiquité au masculin

Directement liée à la notion de leadership, celle de pouvoir est associée depuis l’antiquité aux hommes, à l’essence même de la virilité et du masculin. Cette analyse genrée est faite par l’historienne de l’antiquité, Mary Beard, dans son excellent manifeste, les femmes et le pouvoir.  Dès les premiers mythes antiques, toute prise de parole publique est l'apanage des hommes et les femmes ne peuvent y accéder qu’au risque d’être tournées en ridicule ou assimilées à un monstre terrifiant. L'autrice nous montre comment des femmes leaders de tout premier plan (Angela Merkel, Hillary Clinton ou Dilma Rousseff) ont été caricaturées en tête tranchée de Méduse du Caravage, affublée de mèches de cheveux en forme de serpent. Cela signifie que les femmes de pouvoir sont contre-nature. Cette décapitation demeure encore selon Beard un puissant symbole d’opposition au pouvoir des femmes.


Le pouvoir, une notion toujours inaccessible à la vaste majorité des femmes

Le pouvoir, tel que défini selon un unique modèle dominant, demeure inaccessible à la vaste majorité des femmes qui ont encore un long chemin pour y accéder. Les femmes sont globalement tenues à l'écart d'un niveau élevé de pouvoir par rapport aux hommes. Elles doivent souvent, et injustement, faire face au défi de prouver leur capacité et leurs performances en leadership en comparaison de leurs homologues masculins. L'exigence de ce double standard pour afficher une compétence supplémentaire est particulièrement difficile pour les femmes afin de faire reconnaître leur capacité élevée et leurs réalisations. Quelques chiffres illustrent la lenteur des progrès : les femmes exercent les fonctions de chef.fe.s d’État ou de gouvernement dans seulement 22 pays. 119 pays n’ont jamais été dirigés par une femme [1]. Seulement 10 pays ont une femme comme cheffe d’État, et seulement 13 pays comme cheffe de gouvernement [3]. Moins de 5 % des compagnies internationales ont une femme PDG. La nature du pouvoir est encore, en réalité, un objet de possession que très peu d’individus - en majorité des hommes - peuvent détenir. (1)


Une société enfermée dans des codes et systèmes patriarcaux

Leaning Out, une étude dirigée par l’Université d’Harvard, montre que la disparité au niveau des dirigeant.e.s commence très tôt. Beaucoup de filles et de garçons ont tendance à ne pas aimer voir des filles devenir des leaders dans les professions puissantes. On ne leur apprend pas à être des meneuses. L’audace et la capacité à prendre des risques sont des qualités que l’on cultive essentiellement chez les garçons. Ce qui explique pourquoi les femmes ont beaucoup de difficultés à obtenir des postes à responsabilité. Les femmes sont coincées dans un paradoxe terrible : les qualités que l’on recherche chez une petite fille ne sont pas les mêmes que celles recherchées dans le monde professionnel. (2)

Un des freins majeurs au leadership au féminin dans la société au sens large : les femmes, même expertes, continuent d’être largement sous-représentées dans les médias. Il est encore extrêmement fréquent d'avoir des débats télévisés entièrement masculins à l’exception de la journaliste ‘caution’ d’une ambition de mixité. Le leadership des femmes est alors invisibilisé.  

Mais l’essence même des théories féministes repose sur une remise en cause en profondeur des codes et systèmes patriarcaux, qui par nature sont non-inclusifs, dominants, et contraires aux valeurs démocratiques et horizontales du féminisme.  Vu la lenteur des progrès en matière de parité dans les plus hautes sphères décisionnelles, n’est-il pas temps également de réfléchir à la nature du pouvoir ?  Que pourrait donc être une approche féministe du leadership ?


Le féminisme, une voie majeure pour dessiner les contours d’une société durable

Dans son récent ouvrage (3), Marie-Cécile Naves présente le féminisme comme une voie majeure pour dessiner les contours d’un nouveau projet politique d’une société durable. L’écoféminisme, par exemple, a joué un rôle majeur dans la mise au jour des destructions de la nature et de la biodiversité et du rôle essentiel des femmes dans la protection des écosystèmes. 

Une vision féministe du leadership permet l’affirmation d’une liberté individuelle et d’une capacité collective de réinventer le pouvoir au service de toutes et de tous, de recréer du débat et du lien. Cette réinvention passe par un récit et un agenda constructifs, une gouvernance et un leadership inclusifs et coopératifs. C’est un style, une manière de gouverner qui gagnent du terrain, qui ne sont pas dominateurs, descendants. C’est un leadership combatif, exigeant, mais aussi respectueux des adversaires, bienveillant, participatif et ouvert, comme celui que revendique la première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, récemment réélue et dont la gestion de la Covid-19 est plébiscitée. (4)

Une approche féministe du leadership est une approche fondée sur les droits et transformationnelle. Le leadership au féminin ne serait-il pas l’aptitude à être efficace, à pouvoir changer le monde, et le droit d’être prise au sérieux, ensemble aussi bien qu’individuellement ? (5)


Fanny Benedetti, Directrice exécutive, ONU Femmes France


(1) Mary Beard, les femmes et le pouvoir, un manifeste. 

(2) Aurélie Salvaire, Balance the world.

(3) Marie-Christine Naves, La démocratie féministe, réinventer le pouvoir.

(4)  ibid

(5) Mary Beard, les femmes et le pouvoir, un manifeste.