Détresse, hospitalisations... un médecin toulousain s'alarme des conséquences psychiatriques de la crise sur les enfants
En Haute-Garonne les hospitalisations chez les moins de 18 ans pour motifs psychiatriques sont quatre fois plus nombreuses qu’avant l’épidémie de Covid-19. Comme partout en France. Le Professeur Jean-Philippe Raynaud, psychiatre, chef du service psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHU de Toulouse, alerte sur cette situation inédite.
De nombreux professionnels alertent sur la santé mentale des enfants, adolescents et jeunes adultes. Vit-on une épidémie de détresse psychologique au milieu de l’épidémie de Covid-19 ?
Oui absolument. Je suis vraiment impressionné par les chiffres. On constate une multiplication par quatre du nombre de jeunes arrivant aux urgences pour motifs psychiatriques. Parmi eux, se trouve un nombre important d’adolescents que nous sommes obligés d’hospitaliser et pour qui nous avons de la difficulté à trouver des places. Nous avons actuellement une vingtaine d’adolescents hospitalisés à l’hôpital des enfants… ça n’arrive jamais, nous plafonnons d’habitude à 6 ou 10 patients. Nous disposons d’une trentaine de places dans le département, ce qui est déjà insuffisant, et là nous avons 25 adolescents en attente d’hospitalisation. Quant à nos consultations dédiées aux ados, sur nos trois filières (hôpital Marchant, guidance infantile et CHU), elles sont submergées.
Comment se manifestent les troubles de ces enfants et adolescents ?
Lors de la première phase de l’épidémie, nous avons alors constaté beaucoup de troubles anxieux, de décrochages et refus scolaires, en lien avec le premier confinement, la fermeture des établissements scolaires, une rentrée perturbée par des protocoles sanitaires qui changeaient souvent… Tout ça a créé beaucoup de discontinuité et de ruptures… Mais ce qui nous a beaucoup surpris c’est une énorme vague de troubles des conduites alimentaires, notamment d’anorexies chez les filles. Elles arrivent en nombre par les urgences avec des états d’amaigrissement très importants. Il y a quelques jours, chez les moins de 15 ans, nous en avions 15 hospitalisées au CHU, c’est du jamais vu. Et, depuis quelques mois, nous commençons à avoir des troubles psychotiques, des choses qui ressemblent à des débuts de schizophrénie. Ces troubles existaient certainement et étaient contenus, ils ressortent avec cette période de déstabilisation et l’ambiance anxiogène du moment.
Comment l’expliquez-vous ?
Ces jeunes que nous voyons aujourd’hui étaient déjà fragiles, je ne pense pas que l’épidémie de Covid ait fabriqué de la pathologie psychiatrique de A à Z. Ceux qui étaient fragiles mais suivis ne s’en sortent finalement pas si mal. Tous ceux qui n’avaient pas été repérés ont décompensé, parce que les parents n’allaient pas bien non plus, parce qu’au départ il y a eu des messages contradictoires laissant penser qu’il ne fallait pas venir à l’hôpital, parce qu’ils ont parfois eu des deuils dans leur famille ou des gens très malades… Tout ça a créé un mélange de stress post-traumatique et d’angoisse. Il y a aussi eu beaucoup plus de violences intra familiales, plus d’alcool, etc.
Que vous disent ces enfants, qu’expriment-ils ?
Ils agissent plus qu’ils ne parlent, par des passages à l’acte : restrictions alimentaires pour les anorexiques, tentatives de suicide. Ils expriment ce qui ressemble à un burn-out, une sorte d’épuisement, de fatigue. Je trouve qu’il y a beaucoup de jeunes avec des idées suicidaires et le problème c’est qu’on ne peut pas tous les mettre à l’abri car on ne trouve pas de place d’hospitalisation… On prend des risques importants, c’est difficile pour ces enfants, pour leurs familles et pour les professionnels de santé. Nous relevons aussi beaucoup de témoignages d’anxiété et beaucoup de troubles du sommeil, peut-être liés à un dérèglement survenu lors du premier confinement avec une surconsommation d’écrans.
"Ces enfants sont tristement sérieux"
Se sentent-ils isolés ?
Oui, ils expriment souvent une perte du lien avec certains de leurs camarades. Bien sûr, ils se débrouillent pour avoir des contacts mais ils disent « ce n’est pas comme avant », ils ont moins d’activités, ils rentrent directement chez eux après les cours. Le masque transforme aussi les relations mais étonnamment, ils l’ont bien intégré. Je suis assez surpris et même inquiet de voir que certains enfants sont tellement anxieux qu’ils gardent le masque le week-end à la maison. Ça me fait une peine incroyable de voir combien ces enfants sont tristement sérieux.
Que pouvez-vous mettre en place ?
Nous attendons l’ouverture de lits de crise d’ici l’été mais c’est compliqué parce que, nous aussi, nous manquons de personnels et la période est très difficile pour trouver des infirmiers qui sont demandés dans toutes les spécialités, notamment la réanimation. Nous renforçons également nos consultations pour les adolescents avec des psychologues mais, là aussi, le recrutement est compliqué parce qu’ils ne sont pas tous familiers de la pédopsychiatrie. Toutes ces mesures sont prises pour quelques mois mais je crains que nos files actives ne soient saturées bien plus longtemps.
Conseils aux familles : Soyez attentifs au changement d'attitude
"Je pense qu’il faut d’abord dire aux parents de prendre bien soin d’eux-mêmes, d’aller le mieux possible dans le contexte. Puis, d’être très attentifs, de garder le contact avec leurs enfants, notamment les ados sans être toutes les cinq minutes sur leur dos pour leur demander s’ils vont bien. Il faut surveiller ce qui dysfonctionne en premier : l’alimentation, le sommeil, la communication. L’indicateur d’alerte principal c’est le changement dans la durée, c’est quand un parent dit « mon enfant n’est plus comme avant », soit parce qu’il sourit moins, qu’il est plus renfermé ou au contraire se trouve dans un état d’excitation inhabituel. Il faut conserver le dialogue avec son enfant et si besoin faire appel aux professionnels dits de première ligne, médecin traitant, pédiatre, psychologue ou professionnel qui connaissent déjà l’enfant, aux intervenants dans le milieu scolaire ou encore à la Maison départementale des adolescents. Avec un ado, il faut négocier, lui faire part de son inquiétude et lui proposer d’aller voir quelqu’un ensemble", explique le Pr Jean-Philippe Raynaud, psychiatre, chef du service de psychiatrie pour enfants et adolescents du CHU de Toulouse.
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