abo Portrait d'Elisabeth Bik, chasseuse de fraudes des publications de Didier Raoult

Elisabeth Bik. | DR
Elisabeth Bik. | DR

Elisabeth Bik s’est fait un nom et une réputation sur Twitter. Elle y soulève des énigmes depuis deux ans avec un seul fil conducteur: déceler les images frauduleuses dans les publications scientifiques. Du simple copié-collé à la manipulation caractérisée, les découvertes de la microbiologiste néerlandaise sont postées sous forme de rébus où elle invite sa communauté à deviner de quoi il s’agit. Son travail de fourmi a déjà permis de signaler 4000 publications sur le site spécialisé Pubpeer.

Pourquoi on l’a contactée. En début de semaine, elle a publié sur Twitter une rafale d’images problématiques issues de publications scientifiques signées par le Pr Didier Raoult. Elle n’était pas à son coup d’essai puisqu’elle avait déjà questionné le travail du chercheur marseillais sur l’hydroxychloroquine en avril 2020. Didier Raoult l’a alors qualifiée de «chasseuse de sorcières» et, l’automne dernier, de «cinglée». Cela ne l’intimide pas du tout: elle continue son travail de vérification avec acharnement et surtout un certain plaisir. Heidi.news a pu échanger avec elle.

Son parcours. Elisabeth Bik est une microbiologiste néerlandaise qui s’est spécialisée dans la détection des manipulations d’images des publications scientifiques. Avant de cesser toute activité professionnelle rémunérée en 2019 pour se consacrer pleinement à ce travail d’intégrité scientifique, elle a étudié la biologie à l’Université d’Utrecht et y a obtenu son doctorat pour ses recherches sur les nouvelles souches de virus générant des épidémies de choléra, avant de rejoindre l’université de Stanford en Californie. Dès 2001, elle y travaille sur le microbiome humain et animal.

C’est en 2014 qu’elle crée son blog Microbiome Digest. Le but de cette plateforme est de commenter les publications scientifiques en microbiologie, son domaine de compétence. Elle se tourne alors vers Twitter pour obtenir de l’aide afin de gérer le blog et son impact sur la communauté scientifique.

En 2016, elle quitte Stanford pour rejoindre une entreprise privée spécialisée dans le séquençage du microbiome humain. Parallèlement, elle continue son travail de veille scientifique sur son blog. Cette activité devenant de plus en plus chronophage — et passionnante —, elle quitte tout en 2019 pour se consacrer entièrement à cette tâche.

Elle a également lancé d’autres blogs, dont Science Integrity Digest, qui lui permet de signaler les fraudes à l’intégrité scientifique. Elle contribue régulièrement aux sites Retraction Watch et Pubpeer, où elle signale ses découvertes et discute des images falsifiées ou simplement copiées qu’elle découvre.

Ses recherches lui ont permis de publier plusieurs articles sur le sujet, dont «Test d'hypothèses sur les facteurs de risque d'inconduite scientifique par une analyse de contrôle apparié d'articles contenant des duplications d'images problématiques», en février 2018.

Elle obtient une véritable reconnaissance internationale lorsqu’elle tire la sonnette d’alarme le 21 février 2020:

Elle annonce qu’elle a «découvert plus de 400 articles qui partagent tous un titre et un graphique très similaires, et (surtout) la même présentation.» Elle révèle ainsi les pratiques des usines à fausses publications scientifiques en Chine entre 2018 et 2020. Son travail est salué par la revue Science. La chercheuse signale encore que le nombre de cas similaires se compte en fait en milliers.

Les énigmes proposées. Très active sur Twitter, Elisabeth Bik, sous le nom @MicrobiomDigest, est suivie par plus de 90’000 personnes. Elle utilise beaucoup ce réseau social pour partager ses découvertes et alerter la communauté scientifique. Elle y dévoile des énigmes et questionne sa communauté pour la réveiller et aussi la sensibiliser à ces fraudes.

Elisabeth Bik nous explique:

«Le hashtag #ImageForensics transforme ces images en énigmes. Il s'agit presque toujours d'images et non d'auteurs. Il s'agit en effet d'un jeu pour apprendre aux gens à repérer ces doublons, mais avec un fond très sérieux.

Les cas d'inconduite scientifique sont souvent causés par une mauvaise ambiance dans un laboratoire, par un professeur tyrannique ou une énorme pression pour réussir. Si de tels cas sont découverts, non seulement les personnes qui ont agi ainsi peuvent être punies, mais cela aura également des répercussions sur tous les autres auteurs, les membres du laboratoire et l'institution. C'est une histoire triste pour toutes ces personnes. Je suis donc respectueux de cela sur Twitter, et je ne divulgue que rarement l'identité des articles.»

Célèbre aux Pays-Bas et dans l’univers anglo-saxon, la revue Nature lui a consacré un portrait détaillé et complet le 13 mai 2020. On peut y lire:

«Elisabeth Bik n'est pas la seule chercheuse d'images au monde, mais elle est unique par la manière dont elle présente publiquement son travail. De nombreux vérificateurs d'images travaillent dans l'ombre, publiant leurs résultats dans des documents de recherche et écrivant à titre privé à des revues; quelques-uns sont engagés par des revues ou des institutions. Certains qui signalent des problèmes d'image travaillent sous des pseudonymes, préférant ne pas être identifiés. Mais Elisabeth Bik publie ses découvertes presque tous les jours sur Twitter et d'autres forums en ligne, apprenant ainsi aux autres comment repérer les doublons et faisant pression sur les revues pour qu'elles enquêtent sur les articles. Ce faisant, elle a suscité une avalanche de réactions et une prise de conscience du problème. Mme Bik estime que ses découvertes ont conduit à au moins 172 rétractations et à plus de 300 errata et corrections - mais trop souvent, dit-elle, ses avertissements semblent être ignorés.»

Le cas Didier Raoult. La scientifique «s’amuse» en réalisant ce travail. Même si cela lui vaut critiques, menaces et harcèlements et aussi d’être submergée par les demandes de vérification. En une journée de recherches, sans interruption, elle peut parcourir une centaine d’articles et ajouter entre «une et vingt occurrences à sa base de données», comme le relève la revue Nature.

Elle a conscience du risque qu’elle prend à dévoiler les petites manipulations des publications scientifiques, mais n’a pas fait l’objet de poursuites jusqu’à présent. Elle est en revanche facilement traitée de «garce». Elle prend cela avec philosophie.

Le dernier en date à avoir utilisé des noms d’oiseaux pour la désigner est le Pr Didier Raoult. Agacé d’être «traqué» par cette «fille», il l’a aussi qualifiée de «cinglée» lors de son audition par le Sénat français le 15 septembre dernier.

Est-ce ce qualificatif qui l’a incitée à se pencher assidument sur les quelque 3500 publications signées par le professeur marseillais? Elisabeth Bik:

«Pas vraiment; j'avais déjà commencé à regarder ses papiers avant qu'il ne m'appelle comme ça. Il est libre de m'appeler comme il veut, et ce n'est certainement pas cela qui va m'arrêter. Je ne fais pas un travail d'intégrité scientifique pour me faire des amis, alors les hostilités et les insultes font partie du travail. Il est cependant remarquable que de telles remarques viennent d'un professeur, et cela ne va pas aider à sa réputation professionnelle.»

Mais alors qu’est-ce qui la motive à poursuivre ce travail digne d’un moine? Elle poursuit:

«La science doit permettre de découvrir la vérité, et chaque article scientifique s'appuie sur d'autres articles scientifiques. Si un article scientifique contient des erreurs ou - pire - des données frauduleuses, d'autres chercheurs peuvent passer beaucoup de temps à essayer de reproduire cette étude. C'est une perte de temps, d'argent et d'efforts. Même après l'examen par les pairs, les chercheurs peuvent encore trouver des erreurs honnêtes ou des données préoccupantes, et les articles peuvent être corrigés ou rétractés pour résoudre ces problèmes.

Je n'ai pas d'intérêt particulier pour un chercheur ou un autre, mais je suis particulièrement intéressé par les articles de recherche contenant des images dupliquées. A l'heure actuelle, j'ai signalé environ 4’000 articles scientifiques, et certains d'entre eux sont du professeur Raoult.»

Ses premiers questionnements sur les travaux de Didier Raoult sont liés aux publications sur l’hydroxychloroquine, en avril 2020. Depuis, elle s’est penchée sur des publications plus anciennes du chercheur et a publié une rafale d’énigmes concernant l’IHU de Marseille et le professeur sur son fil twitter le 22 mars:

Cela a mis le feu aux poudres et déclenché une avalanche de réactions, ainsi qu’une guerre de tranchées entre pro et anti Raoult sur ce réseau. De son côté, Elisabeth Bik est sereine et à bien conscience de s’attirer les foudres des pros Raoult:

«Un bon chercheur doit se soucier de la qualité de son travail et de l'impact qu'il peut avoir sur la société. Si quelqu'un soulève des inquiétudes quant à une erreur possible, la réponse professionnelle consiste à prendre ces inquiétudes au sérieux et à revenir sur les mesures initiales pour voir ce qui a pu mal tourner, et peut-être corriger l'erreur. S'en prendre aux personnes qui soulèvent ces préoccupations n'est pas une réponse attendue. Et malheureusement, le professeur Raoult n'a pas abordé la plupart des questions que moi et d'autres avons soulevées. Je ne m'attendais pas non plus à ce qu'un si grand nombre de followers sur Twitter, dont très peu sont des scientifiques, le suive pour m'attaquer. Mais je n'ai pas peur, car cela pourrait être le signe qu'il a peur.»

Sa défense face aux attaques. Les attaques les plus courantes la concernant sont liées à ses conflits d’intérêts supposés. Ayant arrêtée toute activité lucrative depuis deux ans, des questions reviennent en boucle sur ses ressources et d’où elles proviennent. On peut la lire sa déclaration de liens d’intérêt sur Science Integrity Digest. Qu’en est-il de ces suspicions permanentes? Elisabeth Bik répond:

«J'ai une page sur mon site Science Integrity Digest qui traite de mes sources de revenus, et j'y ai fait de nombreux liens. Mais certaines personnes ne peuvent tout simplement pas s'arrêter de “troller”. J'ai fait du travail de consultant pour des cas d'inconduite scientifique dans des universités et pour des éditeurs, ainsi que pour une entreprise de microbiologie, et je reçois des honoraires pour donner des séminaires sur l'intégrité de la recherche dans des universités.

J'ai également un compte Patreon, où les gens peuvent me donner un à cinq dollars ou euros chaque mois. Je ne reçois pas d'argent des entreprises pharmaceutiques. Mais je suppose que le nombre de fois que je le répète n'a pas d'importance, car les trolls continueront à me poser des questions à ce sujet.»

Elisabeth Bik a conscience que sa persévérance risque d’impacter la réputation de Didier Raoult. Mais elle reste droite dans ses bottes:

«En fin de compte, si un scientifique est reconnu coupable d'une faute, ce n'est pas à cause des actions du lanceur d’alerte, mais à cause de ses propres actions.»

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