Le 5 mars dernier, le ministère de l'Intérieur a dévoilé les résultats de son audit sur l'accueil par les forces de l'ordre des femmes victimes de violences conjugales ayant déposé plainte en 2020. Résultat : 90% des victimes interrogées le jugent "satisfaisant". 

Face à ce chiffre qui ne reflète pas les témoignages très fréquents à ce sujet, le collectif féministe #NousToutes a lancé une enquête en ligne pour recueillir les témoignages de personnes ayant porté plainte pour violences conjugales l'année dernière, avec le hashtag #PrendsMaPlainte, qui a généré des centaines de témoignages sur Twitter depuis mercredi. 

66% des personnes interrogées évoquent une mauvaise prise en charge

Deux semaines après avoir lancé son appel sur les réseaux sociaux, #NousToutes dresse un constat alarmant, loin des chiffres publiés par le ministère de l'Intérieur. Auprès de Konbini, Caroline de Haas, porte-parole du mouvement, est catégorique : "Cet audit du gouvernement est indécent, c’est un mensonge. C’est grave et dangereux parce que ça envoie aux forces de l’ordre le message que tout va bien."

Dans les résultats de son enquête, disponibles en ligne, #NousToutes évoque "un manque total d’empathie et de professionnalisme de la part de nombreux membres des forces de l’ordre", des refus de prendre les plaintes et une banalisation des violences conjugales. Ces constats émanent de milliers de témoignages. 

Cet audit du gouvernement est indécent, c’est un mensonge.

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Au total, 3500 témoignages anonymes ont été recueillis par #NousToutes entre le 5 et le 24 mars. À 97,3%, les répondants sont des femmes qui se sont présentées au commissariat ces dernières années.

Parmi elles, 66% parlent d'une "mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont voulu porter plainte pour des faits de violences sexuelles". 

34% des personnes interrogées seulement parlent d'une bonne prise en charge. Un écart net avec les 90% évoqués par le ministère de l'Intérieur. 

Refus de prendre les plaintes, banalisation des faits, culpabilisation de la victime

Dans son questionnaire, #NousToutes a demandé aux répondants de détailler les raisons de cette mauvaise prise en charge.

67,8% des personnes mettent en avant la "banalisation des faits", 56,5%, "un refus de prendre la plainte ou découragement de porter plaintes", les forces de l'ordre ayant pourtant obligation de prendre une plainte (article 15-3 du code de procédure pénale). En troisième position, à 55%, elles soulignent une "culpabilisation de la victime" de la part des forces de l'ordre.

26,2% font même état d'une solidarité avec la personne mise en cause pour violences conjugales. 

L'enquête relève toutefois une amélioration. Pour l'année 2021, 46% des témoignages soulignent une mauvaise prise en charge des forces de l'ordre. C'était 58% pour 2020 et 76% en 2016.

Des dizaines de témoignages alarmants 

En plus de ces chiffres, #NousToutes a dévoilé les témoignages anonymes de plusieurs personnes ayant participé à l'enquête. "Les policiers m'ont dit que je l'avais cherché en restant avec cette personne", évoque une personne domicilée à Wittenheim (Haut-Rhin), en 2020. "Votre plainte va ruiner sa vie", a entendu des forces de l'ordre une victime habitant à Paris, en 2019.

"Et puis jolie demoiselle, entre vous et moi, quand on rentre toute seule si tard, faut quand même pas s'étonner", se souvient une femme de Lyon, en 2017.

Dans la lancée des témoignages anonymes recueillis par #NousToutes, sur Twitter, des centaines de personnes racontent leur vécu avec #PrendsMaPlainte. "#PrendsMaPlainte 2004 quand mon mec m'a détruit la mâchoire, bousillé le cou en m'étranglant et arraché la peau du torse parce que je n'avais pas acheter de café. "'On peut pas parler de violence conjugale quand c'est entre hommes'", me dit le policier en souriant. Un vrai connard", relate @sel_dieu.

"Commissariat dans le Sud de la France, 2017. Je porte plainte pour violences conjugales et tentative de meurtre. J’ai à peine 18 ans. La policière (oui une femme) me dit dans les yeux : 'Ce ne sont que des amourettes d’ados, bloquez-le et c’est réglé.' #PrendsMaPlainte", écrit @michaelistudio.

"Une de mes amies proches s’est faite violée pr un mec de ma ville. Elle est partie porte plainte et le flic lui a dit 'Bah ! Il est mignon! Fallait pas refuser' #PrendsMaPlainte", partage @wiraquchaa.

Des témoignages faisant écho aux derniers chiffres publiés par le Haut conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. En novembre 2020, il estimait que 80% des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite.