Elle transforme sa maison en refuge pour migrants

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FranceElle transforme sa maison en refuge pour migrants

À Herzeele (nord de la France), une femme a décidé d’accueillir les exilés les plus éprouvés qui tentent de rejoindre l’Angleterre.

Pierre Beauvillain/AFP

Au cœur de ce village des Flandres, cette élégante maison un peu décrépite de 300 m2 est devenue la «Maison Sésame». Depuis 2019, plus de 150 migrants, dont une petite moitié d’enfants, y ont séjourné, pour quelques semaines ou quelques mois. Des pans de papier peint sont déchirés, mais de nombreuses photos de visages souriants égayent les murs de la vaste salle à manger. À quatre pattes dans le salon, des enfants kurdes et tchétchènes construisent un circuit de train. Une table de ping-pong est installée au fond de la piscine vide.

«Quand on peut, on doit»

Responsable de la communauté Emmaüs de Grande-Synthe (Nord), engagée depuis des années auprès des migrants, Sylvie Desjonquères-Heem a saisi l’occasion de «passer la vitesse supérieure» lorsque sa mère a quitté cette demeure pour une maison de retraite. En accord avec son mari médecin et ses quatre enfants, elle rachète les parts de ses frères et sœurs pour créer un lieu d’accueil car «quand on peut, on doit».

«On revient aux communautés des premières années de l’Abbé Pierre: ici tout le monde vit ensemble», explique cette sexagénaire au visage énergique sous un carré de cheveux gris. Le lieu tourne grâce aux dons de la Fondation Abbé Pierre, d’Help Refugees et du fonds Riace France, qui finance des actions d’accueil des personnes exilées.

Un lieu pour porter tous les drames

Herzeele se situe à une vingtaine de kilomètres de Grande-Synthe, où les campements précaires de candidats au passage de la Manche, régulièrement expulsés, font partie du décor. Des associations comme le Refugee Women’s Center appellent ici quand elles rencontrent des migrants particulièrement vulnérables sur le littoral. Femmes enceintes, familles avec enfants et parfois nourrissons, hommes blessés ou malades, mais aussi épuisés psychologiquement, se succèdent dans les 15 places disponibles.

«On accueille quand il faut et ils partent quand ils veulent, résume Sylvie. L’an dernier, un gamin a perdu son copain quand ils ont chaviré. On ne remet un gamin comme ça ni dans un hôtel ni dans une +jungle+. C’est un lieu qui peut aussi porter tous ces drames.»

«Ici, les gens peuvent réfléchir à ce qu’ils veulent faire de leur vie, il ne s’agit pas seulement de pouvoir prendre une douche, d’avoir un lit, cela touche à la possibilité de penser», explique Hattie Beech, jeune Britannique en service civique. Silhouette frêle, regard grave et collier de barbe grise, Ahmad définit cette maison, où il vit depuis deux mois avec son épouse et ses enfants de 8 et 11 ans, comme «un remède antidépression». «Nous préférons ce genre d’endroit aux hôtels. C’est la même différence qu’entre la terre et le ciel», confie ce Kurde iranien. Il raconte qu’à Grande-Synthe, la police a lacéré leur tente.

Pas de solutions pour les personnes en transit

Son compatriote, Danaa Babaie, a été hébergé ici, avant de finalement décider de rester en France et de devenir compagnon Emmaüs. «Quand je suis arrivé, je me suis dit que cet endroit, c’était le paradis», sourit celui qui sert désormais d’interprète au sein de ce melting-pot. Pour lui, comme pour les autres intervenants, pas question d’interférer avec les projets des exilés.

«On ne les aide pas pour leur passage en Angleterre, qui est illégal, mais ce n’est pas tabou», explique la coordinatrice Léa Janvier, déplorant qu’en France, il y ait «des solutions pour les personnes qui demandent l’asile mais pas pour celles en transit». «La plupart sont en constante tentative de passage, surtout les hommes seuls, leur vie EST cette tentative de partir», insiste-t-elle. Quand une famille disparaît pour «essayer», sa chambre n’est pas réaffectée immédiatement. «Parfois, ils reviennent après avoir encore vécu une claque», soupire Sylvie.

Elle rêve à l’ouverture d’autres «maisons bienveillantes», alors qu’«aujourd’hui, à Grande-Synthe», les campements de migrants sont «détruits trois fois par semaine». «Cinq ou six camions de CRS avec six CRS dedans, 300 euros par jour par CRS… Je t’en ouvre des maisons à ce prix-là!»

(AFPE)

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