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TribuneMines et métaux

Mines d’or en Nouvelle-Guinée : les Papous sacrifiés, leurs montagnes éventrées

La Nouvelle-Guinée occidentale abrite de colossaux gisements d’or et de cuivre. Leur exploitation en fait l’un des « trous noirs de la planète dans le domaine environnemental ainsi qu’en matière de droits humains », documente l’auteur de cette tribune. Premières victimes : les Papous.

Philippe Pataud Célérier est journaliste spécialiste de la Nouvelle-Guinée et écrit notamment pour le Monde Diplomatique.


La Nouvelle-Guinée est riche. Immensément riche. Cette île de 800.000 km2, la plus grande après celle du Groenland, partage avec l’Amazonie les deux plus remarquables sylves tropicales de la planète. Ces terres ont en commun d’être sauvagement mises à sac ; débitées, déboisées, exploitées à la mesure de leurs ressources et du dénuement des populations autochtones qui en sont spoliées quand elles ne sont pas détruites dans leur identité culturelle (ethnocide) ou leur intégrité physique (génocide).

Là où la Nouvelle-Guinée se distingue — plus précisément la partie occidentale de cette île que l’histoire coloniale divisa en deux [1] —, c’est qu’elle possède en sus de toutes ces ressources (grumes, pétrole, gaz, argent, cuivre…) qui entretiennent notre boulimie consommatrice, de l’or. De l’or en quantité si vertigineuse que son exploitation fait de la Nouvelle-Guinée occidentale (NGO) l’un des trous noirs de la planète dans le domaine environnemental ainsi qu’en matière de droits humains.

Ce gisement colossal est situé dans la grande chaîne montagneuse qui traverse l’île d’ouest en est. Dans ces monts Maoke surgit le Puncak Jaya. Le plus haut sommet océanien (4.884 mètres) suscitait en février l’intérêt de plusieurs journaux nationaux. L’Agence indonésienne de météorologie, de climatologie et de géophysique venait d’annoncer, pour 2026 au plus tard, la fonte définitive de ses deux derniers glaciers tropicaux. Aussi opportun que ce concept d’Anthropocène qui fait porter à chacun une responsabilité qui ne devrait échoir qu’à quelques uns, le réchauffement planétaire était pointé du doigt. Sans rappeler qu’à moins de cinq kilomètres de distance, à 4.270 mètres d’altitude, des norias d’engins exploitent depuis près de soixante ans le gigantesque complexe minier d’Ertsberg et de Grasberg.

Freeport Mac Moran, nominée en 2012 pour les Public Eye Awards, les « Prix de la honte » qui récompensaient chaque année les entreprises les plus prédatrices dans leur « approche sociétale ».

L’or est au cœur des corruptions qui rongent la Nouvelle-Guinée occidentale

Si la mine a mauvaise presse, la presse a surtout mauvaise mine dès qu’elle évoque le gisement aurifère. Chacun sait que l’inaltérable métal est au cœur des principales corruptions qui rongent la NGO depuis que les Pays-Bas, sous pression américaine, ont transféré à l’Indonésie le dernier atour colonial de leur défunt empire des Indes néerlandaises. En contrepartie, [2] Djakarta devait garantir à la population papoue la mise en place d’un référendum d’autodétermination dans les six années suivant le transfert — ce dernier s’est tenu en avril 1969. Six années de terreur (30.000 victimes) au terme desquelles 1.022 Papous (sur 800.000 environ) choisis par Djakarta furent obligés de voter leur rattachement à l’archipel indonésien. Une mascarade référendaire actée par les Nations Unies sous tutelle américaine. En période de guerre froide, gouvernée par la realpolitik, il était inconcevable que l’Indonésie puisse rejoindre le camp soviétique.

Mais une autre force aimantée par un affairisme sans scrupules œuvrait en sous-main. La puissante compagnie minière américaine Freeport-McMoRan Inc (FCX) a toujours disposé d’influents conseillers comme Allen Dulles, éminent juriste de l’empire pétrolier de Rockefeller puis directeur de la CIA dans les années 1960 (c’est lui qui informa Freeport de l’existence du gisement aurifère situé en NGO) ou Henry Kissinger, conseiller à la Défense nationale sous Nixon (1969), secrétaire d’État des États-Unis (1973-1976) avant d’entrer au conseil d’administration du géant minier. Échafaudé avec l’appui de la CIA, c’est d’ailleurs grâce au coup d’État de 1965 que le général Suharto a chassé Sukarno, président fondateur de la république indonésienne, avant de mener des purges anticommunistes qui ont causé entre 500.000 et trois millions de morts. Il signa en 1967 avec Freeport le contrat permettant d’exploiter le gisement d’Ertsberg. Nul doute que les colossaux investissements que la compagnie s’apprêtait à faire nécessitaient quelques aménagements qu’assura pleinement Henry Kissinger dépêché à Djakarta quelques mois avant le référendum d’autodétermination. Celui-ci scella le destin de la NGO, condamnant son peuple à un génocide au ralenti [3].

La montagne étêtée, éventrée, se transforme en une mine à ciel ouvert

Depuis près de soixante ans, des centaines, voire des milliers de millions de tonnes de déchets miniers, ont été rejetés. Il arrive que 700.000 tonnes de déblais soient créées en une journée pour extraire, après broyage et concassage, 250.000 tonnes de minerai. Après une série d’opérations complexes, celles-ci libèrent autour de quinze grammes d’or par tonne pour le filon d’Ertsberg, contre un à deux grammes d’or en moyenne dans les autres mines du monde. Un filon colossal, le plus gros gisement aurifère – et le deuxième en cuivre — jamais découvert au monde.

La montagne arasée et le second gisement épuisé (1973-1988), ce fut au tour du Grasberg d’être exploité avec une débauche de moyens technologiques à la hauteur de ses réserves, estimées dès 1995 à plus de 45 milliards d’euros. La montagne étêtée, éventrée, se transforma en une mine à ciel ouvert, un cratère de deux kilomètres de diamètre. Son opérateur PTFI (la filiale indonésienne Freeport Indonesia depuis 1991) utilise le réseau hydrographique comme voie d’expulsion naturelle des résidus toxiques de la mine. Chargées d’acides, de cuivre, d’arsenic, de cadmium, de sélénium et de cyanure, les fleuves et rivières (Aghawagon, Otomona, Ajkwa, Minajerwi, Aimone...) transportent des boues létales de la cordillère centrale jusqu’aux plaines marécageuses de ces grands estuaires de zones humides qui filtrent la mer d’Arafura.

La mine de Grasberg vue de l’espace.

Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, environ 20.000 tonnes de résidus toxiques ont transité chaque jour par le fleuve Ajkwa. Montagnes et mer, faune et flore sont depuis empoisonnées sur plus de 150 km2 ; les résidus étouffent jusqu’à la mangrove défendant le littoral du Parc national de Lorenz, pourtant inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. Il s’agit de la plus vaste aire protégée d’Asie du Sud-Est : 2,35 millions d’hectares abritent une biodiversité endémique exceptionnelle (123 espèces de mammifères enregistrées, soit 80 % de la faune mammalienne de la NGO).

Les Papous tentent de survivre à la périphérie des villes

Les premières victimes de ces atteintes à l’environnement sont les sept communautés papoues voisines. Et tout particulièrement les ethnies Amumgme et Kamoros (deux des 250 groupes ethnolinguistiques que compte la NGO). Expropriés, déplacés sur des terres impaludées et ingrates, pauvres en ressources vivrières (le palmier sagoutier, base alimentaire des Papous des basses terres, est remplacé par l’industrie exportatrice du palmier à huile), les Papous tentent de survivre à la périphérie de ces villes qui se dressent sans eux. Ces terres qui ne sont plus les leurs sont colonisées par des dizaines de milliers de familles venant de Java ou d’ailleurs, migrants spontanés ou sponsorisés par le gouvernement central. Car le pouvoir est soucieux de fournir aux industries locales minières, sylvicoles, agricoles (huile de palme, élevage) une main-d’œuvre abondante et docile. Et de surcroît apte à acculturer, « indonésianiser », la population mélanésienne minoritaire sur ses propres terres [4] et qui refuse toujours de disparaître dans ce vaste creuset austronésien de 280 millions d’habitants.

Des migrants indonésiens pour la Papouasie.

Marginalisés, clochardisés, discriminés quand ils ne sont pas emprisonnés ou assassinés par les militaires et policiers qui assurent la sécurité du site minier [5] les Papous tentent tant bien que mal de survivre dans cet environnement chaotique et populeux : 200.000 migrants indonésiens vivent autour du site de Grasberg là où un millier de Papous vivait dans les années 1950. L’alcoolisme, la prostitution et le sida — avec un taux de prévalence (2,4 %) six fois plus élevé que dans le reste de l’archipel — ravagent les communautés autochtones. Certains Papous tentent de se faire embaucher par cette compagnie qui « mange leur mère » et « fait tourner le lait dans ses veines ». Mais si le travail abonde, les employés ne sont pas forcément papous. La concurrence est rude et l’embauche discriminante. 40 % des 7.000 employés directs de PTFI sont Papous. Un pourcentage encore plus faible pour les 24.000 collaborateurs externes.

Grasberg à son tour arasé, Freeport Indonesia remue à présent ses entrailles estimées autour de 1,8 million de tonnes de minerais. De quoi assurer, à raison de 150.000 tonnes excavées par jour, l’activité minière pour au moins trente ans. Le contrat minier expirant en 2021 a d’ailleurs été prolongé jusqu’en 2041. Au terme d’âpres négociations et moyennant le versement de 3,85 milliards de dollars (3,2 milliards d’euros) à la maison mère américaine, le gouvernement indonésien est devenu l’actionnaire majoritaire de la filiale indonésienne PTFI. La presse indonésienne a acclamé ce retour de souveraineté nationale en matière de ressources naturelles. Le transfert technologique et les moyens financiers suivront t-ils ? 15,1 milliards de dollars seront progressivement injectés pour exploiter à 1.200 mètres de profondeur ce gisement qui nécessitera plus de mille kilomètres de galeries. Une peccadille, selon les dirigeants de PTFI, au regard des 150 milliards de dollars que promettent ces nouvelles réserves.

« Tant que Freeport exploitera nos richesses, comment imaginer l’avenir de la NGO ? »

Si le gouvernement indonésien s’en réjouit, la grande majorité des Papous s’en désolent. « Tant que Freeport exploitera nos richesses, comment imaginer l’avenir de la NGO ? L’indépendance du peuple papou ne pourra advenir que si elle se produit sur les plans économique, politique, social et culturel », résume Jeffrey Bomanak, responsable de l’Organisation pour une Papouasie libre (OPM). Or, Freeport est l’un des premiers contributeurs fiscaux de l’Indonésie. Beaucoup redoutent aussi que la catastrophe écologique ne s’aggrave et avec elle une fois encore le sort des Papous. L’environnement n’est pas une préoccupation majeure au sein des hautes sphères politiques indonésiennes et l’on voit mal comment les actionnaires de la filiale PTFI débourseraient près de quatorze milliards de dollars pour remettre en état le site que la maison mère américaine a détruit. Chacun plaide son irresponsabilité. Quant à la rentabilité de la mine, elle n’a jamais été un gage de générosité pour la majorité de ses ouvriers. En 2011, ils s’étaient battus pour augmenter leur salaire horaire, le plus faible du monde minier (1,50 dollar de l’heure, soit 1,3 euro). Aujourd’hui, ils luttent pour garder leur emploi à peine plus valorisé malgré les conditions de travail éprouvantes, plus dangereuses encore en ces temps pandémiques. Qui s’en soucie ?

Hautes terres centrales.

Le nouveau président américain Joe Biden vient de demander au directeur de Freeport, Richard Adkerson, d’optimiser sa production de cuivre pour répondre à la transition écologique voulue par la nouvelle administration. Les voitures électriques utilisent en effet quatre fois plus de cuivre que les voitures à essence. L’or a lui aussi le vent en poupe comme toujours en temps de crise. Paradoxe d’une valeur refuge pourtant adossée à tout ce qui sape l’avenir de notre humanité.

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