La Haute autorité de santé (HAS) a-t-elle changé de dimension avec le déclenchement de l’épidémie de coronavirus ?
La crise sanitaire n’a pas changé nos missions mais notre méthode : il faut désormais à la fois aller vite, être certain qu’on en fait assez pour étayer scientifiquement nos avis, mais sans attendre ceinture et bretelle comme on le fait d’habitude. Nos avis évoluent très rapidement, au fur et à mesure que les données arrivent. Nous avons changé de braquet.
Comment la HAS a-t-elle fait face ?
Nos moyens n’ont pas vraiment augmenté depuis le déclenchement de l’épidémie. C’est un vrai souci car c’est une crise qui dure et les équipes font un travail énorme. Ils ne connaissent plus les samedis, dimanches ou jours fériés. Ils ne comptent plus leurs heures. C’est acceptable sur le court terme, mais dans la durée s’installe une lassitude de la surcharge de travail. Nous avons su nous adapter pour remplir nos missions de temps de crise. Au moment de la première vague, certaines missions ont été mises en veilleuse, mais nous les avons reprises très vite. Il n’est pas question de priver les patients qui ne sont pas atteints de la covid des innovations médicamenteuses ou des nouveaux dispositifs médicaux dont ils ont besoin.
Vous n’avez pas recruté pour remédier à cette surcharge de travail ?
Nous avons augmenté le nombre d’agents mais notre plafond d’emplois est resté identique. La HAS dépasse aujourd’hui de 20 emplois son plafond : on est obligé de le faire mais, même ainsi, les équipes ont du mal à tenir le rythme auquel il faut rendre les avis.
Comment sont rendus les avis sur les vaccins contre la covid ?
Avant, il y avait un décalage entre l’autorisation de mise sur le marché que donne l’Agence européenne du médicament (AEM) et nos avis. Aujourd’hui, étant donné la place centrale des vaccins dans la stratégie, il est nécessaire de le rendre le plus rapidement possible, dans les trois jours. Donc, l’analyse du dossier que fait l’AEM, il faut qu’on la réalise en même temps nous-mêmes, sans attendre ses conclusions. Nous sommes obligés de travailler à partir des données brutes des laboratoires et de faire toute l’analyse en parallèle de l’AEM afin de rendre notre avis dans les temps.
Concernant le vaccin AstraZeneca, la HAS a d’abord autorisé le vaccin sauf pour les plus de 65 ans. Puis le gouvernement a suspendu l’autorisation le 15 mars. Enfin, la HAS a recommandé le 19 mars de réserver son injection aux seules personnes âgées de plus de 55 ans. Quelle confiance peut-on accorder à ce vaccin ?
Le propre de cette épidémie est que les données arrivent au fur et à mesure, ce qui nous oblige à adapter nos avis. C’est inconfortable pour tout le monde mais c’est la seule façon de faire correctement les choses. Évidemment, c’est difficile à suivre pour les Français. Mais cela montre à quel point d’abord les systèmes de pharmacovigilance marchent bien, et aussi qu’on est prudent et totalement transparent. Le vaccin AstraZeneca est efficace et sûr pour les personnes âgées. Elles doivent se faire vacciner car le risque de covid sévère pour eux est majeur et que l’épidémie reprend actuellement. Par contre, pour les plus jeunes, la HAS estime pour l’instant nécessaire d’attendre des données supplémentaires. Les Français peuvent avoir confiance : s’il y a le moindre risque, vous voyez bien que nous prenons les mesures nécessaires. Nous nous fichons de paraître inconstants dans nos avis : notre problème est de recommander des traitements efficaces et sûrs.
Que faut-il penser du vaccin russe Spoutnik V ?
Nous suivons la procédure. Dès que l’agence européenne du médicament (AEM) aura rendu son avis, la HAS pourra le faire. À ma connaissance nous n’avons pas encore de données sur le Spoutnik. Je ne sais quand elles seront disponibles. En général, les laboratoires nous les envoient en avance de phase. L’AEM s’en est saisie, le dossier a été déposé à ma connaissance. J’imagine que l’instruction est en cours.
Le vaccin Johnson & Johnson, qui a été autorisé le 12 mars par la HAS, va-t-il changer la donne sur le plan de vaccination ?
Oui, il est plus facile d’utilisation car il se conserve à température ambiante, il n’a pas besoin d’être reconstitué, il ne comporte qu’une seule dose. Pour la pratique de ville, il est très adapté. On le recommande aux personnes éloignées du système de soins ou aux personnes souffrant de handicap. Le ministère de la Santé estime que des doses seront disponibles à partir de la mi-avril.
Tous les vaccins sont-ils efficaces quel que soit le variant ?
Sur les formes chinoises et le variant anglais, les quatre vaccins autorisés sont très efficaces pour empêcher les formes sévères. Sur les variants sud-africains et brésiliens, l’efficacité est moindre mais elle ne peut être quantifiée aujourd’hui. Un groupe de travail a été mis en place, mais il étudie des données encore très préliminaires et, qui ne sont pas de même niveau pour chaque vaccin. Nous allons rendre un avis dans les semaines qui viennent.
Certains évoquent l’intérêt de mixer deux injections de deux vaccins différents. Quelle est la position de la HAS ?
Il y a des études en cours. Les résultats sont attendus avant l’été.
Les vaccins empêchent l’apparition de formes graves. Est-ce que des vaccins ou des candidats vaccins empêchent la contamination ?
Les vaccins ont probablement un effet limitant sur la transmission. Mais nous ne savons pas encore le quantifier car nous n’avons pas assez de données. C’est un autre de nos sujets de travail.
Vous avancez pas à pas dans la découverte de cette maladie ?
Tout à fait. Cela rend humble. Les connaissances s’acquièrent au fur et à mesure et les avis ne peuvent intervenir avant ces connaissances. L’attente est certes inconfortable, mais la science progresse à une vitesse hallucinante. Cette maladie a à peine plus d’un an et nous disposons déjà de vaccins efficaces, c’est juste surréaliste ! La mise au point d’un vaccin prenait auparavant des années. Le monde entier en a besoin, donc on voudrait que cela aille encore plus vite et que la production soit encore plus rapide.
Les nouvelles connaissances acquises vont-elles avoir des conséquences sur d’autres maladies ?
Oui. Toutes les techniques de vaccins à ARN messager vont permettre de créer de nouveaux médicaments, que ce soit contre le cancer ou de nombreuses autres maladies. Il y a aussi d’énormes progrès réalisés sur les méthodes de soins, comme la télémédecine.
Le système de santé français était censé être le meilleur du monde. Finalement, il a manqué d’anticipation sur les masques, de capacités en réanimation et finalement d’un vaccin français. Que faut-il changer pour l’améliorer ?
Demandez au ministre ! La HAS est là pour améliorer la qualité globale du système de santé, pas pour juger les décisions politiques.
Vous présidez la Haute autorité de santé depuis le 4 décembre 2017. Comment avez-vous vécu cette crise d’une ampleur inédite ?
Je n’étais pas préparée à une crise d’une telle ampleur, car personne ne l’était. J’ai mené des exercices de crise dans le domaine de la sûreté nucléaire, quand je présidais l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). J’ai vécu en hôpital des décennies. Mais cette crise est d’une autre nature. Je l’ai vécue à la fois inquiète et déterminée, combative et en responsabilité que la HAS remplisse toute sa mission et rien que sa mission. Il est important dans la crise que chacun remplisse son rôle et reste à sa place pour que l’orchestre joue en harmonie.
La généralisation de la vaccination va-t-elle changer la donne ?
Il n’y a qu’à voir les pays qui ont un taux de vaccination élevé ou les Ehpad en France. La mortalité y est en chute libre. Je suis très confiante : on va s’en tirer et la vaccination est un cap important. Dans les semaines qui viennent, nous disposerons de plus de doses et nous pourrons accélérer. Les Français doivent se faire vacciner.