Dans la famille des particules fines classées cancérigènes, il en est une, le carbone suie, particulièrement nocive et liée directement au trafic automobile. Des scientifiques ont entrepris de démontrer son association avec un risque accru de cancer. Le noir de carbone, spécifiquement, augmente de 30 % le risque de cancer du poumon.


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    La pollution de l'airair est responsable de milliers de décès chaque année en France. Mieux comprendre comment les différents composés de cette pollution affectent la santé est donc une priorité. Des scientifiques de l'Inserm, de l'université de Rennes 1, de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) à l'Irset et de l'université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) à l'UMS 11 se sont intéressés à un constituant des particules fines issu de combustionscombustions incomplètes notamment liées au trafic automobile, le carbonecarbone suie. Alors que ce composé a déjà été lié à de nombreux problèmes de santé, leurs travaux suggèrent pour la première fois qu'une exposition à long terme au carbone suie est aussi associée à un risque accru de cancercancer, notamment du poumonpoumon. Les résultats sont publiés dans la revue EHP le 24 mars 2021.

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    La pollution de l’air par les particules fines [particules d'un diamètre inférieur à 2,5µg, ou PM 2,5, d'origines naturelles et humaines] est un enjeu majeur de santé publique. Depuis plusieurs années, la littérature scientifique a mis au jour un lien entre cette pollution et le risque de cancer. En 2013, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a d'ailleurs classé l'ensemble des particules fines comme des cancérigènes certains pour l'Homme.

    Toutefois, le terme de particules fines constitue une « boîte noire » : tous les composés de ces particules n'ont probablement pas le même impact sur le risque de cancer. Plusieurs candidats sont à l'étude pour expliquer leurs effets néfastes sur la santé. C'est le cas notamment du carbone suie (ou black carbon, en anglais), un constituant des particules fines issu de combustions incomplètes (produisant de la suie ; ce composé est également appelé noir de carbone en raison de sa composition et de sa couleurcouleur). Ce dernier avait déjà été pointé du doigt par l’OMS comme ayant un impact général délétère sur la santé.

     Une exposition sur le long terme au carbone noir augmente les risques de cancer. © Photofranck, Adobe Stock
     Une exposition sur le long terme au carbone noir augmente les risques de cancer. © Photofranck, Adobe Stock

    Dans leurs travaux menés à l'Irset (Inserm/université de Rennes 1/EHESP) et à l'UMS 11 (Inserm/UVSQ), les chercheuses Inserm Emeline Lequy et Bénédicte Jacquemin ont évalué spécifiquement l'association entre exposition au carbone suie à long terme et cancer du poumoncancer du poumon, pour mieux comprendre le rôle de ce composé dans les effets sanitaires délétères de la pollution de l'air.

    L'exposition à la pollution selon l'historique résidentiel

    Les scientifiques se sont appuyées sur les données de santé des participants de la cohorte Gazel mise en place par l'Inserm au sein de l'UMS 11 en 1989, qui regroupe environ 20.000 participants suivis tous les ans. Point fort de cette cohortecohorte : l'historique du lieu de résidence de tous les participants sur les trente dernières années est disponible. Les chercheuses avaient aussi accès à des estimations très précises des niveaux de pollution, issues du projet européen Elapse, au niveau de chacun des domiciles de chacun des participants sur cette longue période.

    Par ailleurs, il s'agit d'une cohorte très bien décrite du point de vue de facteurs de risquefacteurs de risque de cancer, comme par exemple le tabagisme, la consommation d'alcoolalcool, et les expositions professionnelles des participants. Sur la base de ces données, les chercheuses et leurs collègues ont déterminé le degré d'association entre niveau de pollution au domicile des participants depuis 1989 et risque de développer un cancer en général ou un cancer du poumon en particulier.

    Ce composé pourrait donc en partie expliquer les effets carcinogènes de la pollution de l’air

    Grâce à des modèles statistiques ajustés pour prendre en compte les autres facteurs de risque et s'affranchir de l'effet concomitantconcomitant des particules fines dont le carbone suie fait partie, elles ont pu montrer spécifiquement l'association entre carbone suie et risque de cancer.

    Leur étude suggère ainsi que plus les niveaux d'exposition au carbone suie au domicile des participants étaient élevés, plus le risque de cancer du poumon était accru - et ce, indépendamment du niveau d'exposition aux particules fines. Les personnes les plus exposées au carbone suie depuis 1989 présentaient ainsi un sur-risque de cancer en général d'environ 20 % par rapport aux personnes les moins exposées. Ce sur-risque était de 30 % en ce qui concerne le cancer du poumon. Ce composé pourrait donc en partie expliquer les effets carcinogènescarcinogènes de la pollution de l’air.

    Plus d'éléments pour affiner les politiques publiques

    Ces résultats, inédits sur l'incidenceincidence de cancer et qui viennent renforcer une littérature scientifique déjà existante sur d'autres problèmes de santé, sont importants pour guider la décision publique en ce qui concerne la régulation de la pollution de l'air et les politiques sanitaires. « Au niveau individuel, il est difficile de recommander des mesures qui peuvent être prises pour limiter l'exposition au carbone suie des particules de l'air ambiant, souligne Bénédicte Jacquemin, dernière auteure de l'étude. Néanmoins, il est possible d'ajuster les politiques publiques si l'on arrive à montrer quels sont les polluants les plus nocifs dans la pollution de l'air. Nous espérons donc que nos résultats participeront à étendre les connaissances pour orienter et affiner ces politiques, par exemple en prenant des mesures spécifiques contre le carbone suie qui vient principalement du trafic automobileautomobile»

    L'équipe souhaite désormais continuer ses analyses pour étudier l'effet sur la santé d'autres polluants spécifiques, notamment les métaux. L'objectif est également de continuer à étudier l'impact du carbone suie dans d'autres cohortes plus larges telles que Constances, avec des participants recrutés plus récemment, pour déterminer si la pollution atmosphérique, même à des niveaux bas, peut avoir des effets au niveau sanitaire.