Élisabeth Vigée Le Brun en 5 chefs-d’œuvre

Élisabeth Vigée Le Brun en 5 chefs-d’œuvre
(Re)découvrez la portraitiste Élisabeth Vigée Le Brun en 5 chefs-d'œuvre.

Tête d'affiche de la prochaine exposition événement « Peintres femmes. Naissance d’un combat » au musée du Luxembourg, Élisabeth Vigée Le Brun est l'une des plus grandes portraitistes de son temps. Retour sur cinq chefs-d'œuvre de cette artiste fascinante, moderne et reconnue par ses pairs.

« Je vous fais ce récit pour vous prouver à quel point la passion de la peinture était innée en moi. Cette passion ne s’est jamais affaiblie ; je crois même qu’elle n’a fait que s’accroître avec le temps ; car, encore aujourd’hui, j’en éprouve tout le charme, qui ne finira, j’espère, qu’avec ma vie. », écrit dans ses Souvenirs Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842). Initiée à l’art du pastel par son père Louis Vigée, conseillée par Joseph Vernet et formée par Madame Boquet, Biard et Davesne, la peintre officielle de Marie-Antoinette a réussi à s’imposer dans le milieu artistique malgré les multiples obstacles auxquels doivent surmonter les artistes femmes du XVIIIe siècle. En se nourrissant des tableaux des grands maîtres, nordiques ou italiens, Élisabeth Vigée Le Brun, élue à l’Académie royale en 1783, a représenté tout au long de sa carrière une certaine joie de vivre dans sa manière de représenter les modèles souriants et bouche ouverte (assez rare jusqu’alors). Retour sur cinq chefs-d’œuvre d’une des plus grandes portraitistes de son temps.

1. La Paix ramenant l’Abondance

L’année 1783 fut marquée par la réception de deux femmes à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Si Adélaïde Labille-Guiard fut reçue modestement en tant que « peintre de portraits » avec un pastel représentant le sculpteur Pajou, Élisabeth Vigée Le Brun, elle, choisit au contraire de présenter une peinture d’histoire, catégorie considérée comme la plus noble dans la hiérarchie des genres établie par l’Académie. Cette provocation, car c’en était une, tendait à affirmer publiquement – dans le cadre du Salon – qu’une femme était pleinement capable de maîtriser les difficultés inhérentes à la représentation de la Fable et de l’Histoire alors que régnait encore, dans cette institution ô combien misogyne, une totale indécision sur la catégorie dans laquelle l’Académie allait la placer.

Élisabeth Vigée Le Brun, La Paix ramenant l’Abondance, 1780, huile sur toile, 102,5 x 132,5 cm, musée du Louvre

Élisabeth Vigée Le Brun, La Paix ramenant l’Abondance, 1780, huile sur toile, 102,5 x 132,5 cm, musée du Louvre

La Paix ramenant l’Abondance avait en fait été peinte deux ans plus tôt, alors que la France apportait encore son soutien aux colonies d’Amérique insurgées contre l’Angleterre lors de la guerre d’indépendance. Le 3 septembre 1783, la France et l’Angleterre venaient de signer à Versailles le traité de paix qui reconnaissait l’indépendance des treize colonies américaines dans un grand mouvement d’américanophilie. Lors du Salon de 1783, la signification allégorique de cette huile sur toile ne pouvait donc que susciter l’enthousiasme des visiteurs du Louvre. Le contraste accusé entre les deux figures féminines renvoie aux conventions codifiées par Cesare Ripa dans son Iconologie. À la décence noble et calme de la Paix, qui arbore une branche d’olivier, s’oppose la plantureuse Abondance – d’esprit rubénien – au sein dénudé. La corne qui déverse ses bienfaits sur les hommes délivrés du fléau de la guerre trouve un écho dans la luxuriance presque baroque du coloris. Irritée par la réussite de ce morceau de réception, l’Académie répondit à ce coup de force symbolique par un mutisme éloquent : on ne sut jamais dans quelle classe fut reçue Élisabeth Vigée Le Brun.


2. Autoportrait au chapeau de paille

En 1782, à l’occasion d’un voyage dans les Pays-Bas méridionaux, Élisabeth Vigée Lebrun fit à Anvers une découverte décisive : Le Chapeau de paille, portrait peint par Rubens dans les années 1622-25, qui représenterait la belle-sœur du maître anversois, Suzanne Lunden (née Fourment). L’immense chapeau – de feutre et non de paille comme on le croyait alors ! – que porte cette dernière offre prétexte à des modulations tonales d’une incroyable fraîcheur.

Cette révélation du pouvoir de la lumière, des demi-teintes et des ombres sur le traitement du visage exerça une influence considérable sur la jeune artiste autodidacte, qui fit désormais de Rubens son maître à part entière. « Ce tableau me ravit, écrira-t-elle dans ses Souvenirset m’inspira au point que je fis mon portrait à Bruxelles en cherchant le même effet. » Exécuté à Bruxelles en 1782, l’Autoportrait au chapeau de paille mit en effet immédiatement à profit cette manière d’accrocher la lumière par la dégradation subtile des tons. Élisabeth Vigée Lebrun reprendra ensuite cette coiffe champêtre pour la reine et plusieurs modèles aristocratiques, dont madame de Polignac. Favorite de Marie-Antoinette et gouvernante des enfants de France, la duchesse de Polignac appartenait à la plus haute noblesse, milieu qui constituait, avant la Révolution, la clientèle privilégiée de l’artiste.

Élisabeth Vigée Le Brun, Autoportrait au chapeau de paille, 1782, huile sur toile, 97,8 x 70,5 cm, National Gallery, Londres

Élisabeth Vigée Le Brun, Autoportrait au chapeau de paille, 1782, huile sur toile, 97,8 x 70,5 cm, National Gallery, Londres

La simplicité de cette robe légère de mousseline rehaussée par le drapé souple d’une écharpe noire évoque les déguisements champêtres du Hameau de la reine. Chez cette dame de qualité qui joue à la jardinière, aucune action – signe dégradant d’utilitarisme social – ne vient détourner l’attention du spectateur : la duchesse nous regarde avec un naturel désarmant comme si la beauté du modèle féminin tendait avant tout à exprimer sa condition aristocratique.


3. Charles Alexandre de Calonne, Contrôleur-général des Finances

La présentation du portrait du contrôleur général des Finances constitua une première consécration pour la jeune artiste qu’était madame Vigée Le Brun. Cette volonté de s’imposer comme portraitiste officielle lors du Salon de 1785 – une première pour une académicienne – devait trouver son prolongement immédiat dans la commande du portrait de Marie-Antoinette et ses enfants. Comme en témoignent les tableaux officiels de Louis XVI, le genre du portrait d’apparat se perpétuait hors de tout esprit d’invention.

Grâce à son audace, madame Vigée Le Brun renouvelle cette formule épuisée. Le recours inédit au naturel lui permet d’inventer une représentation du pouvoir d’une étonnante proximité. Si la fonction est d’emblée symbolisée par le pilastre et le drapé pourpre, l’apparence physique de Calonne – détenteur d’une charge essentielle au royaume – est mise en exergue par l’aisance peu conventionnelle de la posture. Le cadrage élargi abolit la distance habituelle entre le spectateur et la figure, l’individu et sa fonction, le privé et le public. Le ministre de Louis XVI nous regarde, une missive adressée au roi dans la main gauche, comme s’il venait d’être interrompu par notre seule présence.

Élisabeth Vigée Le Brun, Charles Alexandre de Calonne, Contrôleur-général des Finances, 1784, huile sur toile, 155,5 x 130,3 cm, Royal Collection, Royaume-Uni

Élisabeth Vigée Le Brun, Charles Alexandre de Calonne, Contrôleur-général des Finances, 1784, huile sur toile, 155,5 x 130,3 cm, Royal Collection, Royaume-Uni

L’opposition entre le traitement des chairs, la somptuosité du costume noir et la perruque poudrée se résorbe dans l’intensité du regard. Cette vivacité révèle le pouvoir de séduction et la force de conviction d’un ministre qui tenta vainement de réformer l’impôt durant les dernières années du règne de Louis XVI. La réussite de madame Vigée Le Brun suscita la verve acerbe et la calomnie des libellistes, ces « Rousseau du ruisseau » hostiles à l’Ancien Régime : le succès d’une femme peintre ne pouvait s’expliquer que par la liaison – fictive – de l’artiste avec l’un des plus hauts personnages de l’État.


4. Hubert Robert

L’attachement d’Élisabeth Vigée Le Brun à la « douceur de vivre » des années qui ont précédé la Révolution s’incarne à la perfection dans ce portrait d’Hubert Robert. Aux côtés de l’architecte Brongniart et du peintre Ménageot, les deux artistes appartenaient à la joyeuse troupe qui se réunissait au Moulin-Joli, cette propriété aux jardins enchanteurs que possédait l’homme de lettres Claude Henri Watelet en bord de Seine. Probablement exécuté sur place, le portrait « du peintre des ruines » traduit l’empathie de son auteur pour le « bon Robert » : réputé pour son caractère enjoué, Hubert Robert était également un artiste d’un naturel impétueux, à l’affût de la moindre source d’émerveillement visuel. Si le parapet évoque les toiles des maîtres nordiques, la pose inspirée choisie à dessein par Élisabeth Vigée Le Brun traduit la curiosité toujours en éveil de son modèle.

La palette à portée de main, Robert s’apprête à saisir instantanément le motif qui attire son regard hors de la toile. La vivacité devient ici le symbole de la légèreté, chère à l’hédonisme du XVIIIe siècle. Le mouchoir blanc noué autour du coup, la veste en drap et le gilet jaune composent une superbe symphonie de couleurs et de textures qui érige le négligé d’artiste en attitude débonnaire face à la vie. Au fil des années, ce tableau de 1787 prit des allures de paradis perdu.

Élisabeth Vigée Le Brun, Hubert Robert, 1788, huile sur bois, 105 x 84 cm, musée du Louvre

Élisabeth Vigée Le Brun, Hubert Robert, 1788, huile sur bois, 105 x 84 cm, musée du Louvre


5. Lady Hamilton en Sibylle

En peignant des portraits mythologiques d’Emma Hamilton, Élisabeth Vigée Le Brun ajoutait un chapitre pictural à la chronique romanesque de cette courtisane qui aura fasciné l’Europe de la fin du XVIIIe siècle. Le défi était d’autant plus grand pour l’artiste française qu’à ses débuts en Angleterre, Emma Lyon fut la modèle préférée d’un peintre aussi considérable que George Romney. Devenue la compagne de sir William Hamilton, ambassadeur d’Angleterre à la cour de Naples, Emma excellait dans l’art nouveau du tableau animé. Son aptitude à incarner les héroïnes de la mythologie ou de la Bible était indissociable de son goût du spectacle : telle une sculpture vivante, lady Hamilton jouait de la variété infinie de ses expressions pour figer chaque caractère dans une attitude qui suscitait l’admiration générale. Même Élisabeth Vigée Le Brun succomba au charme de ces improvisations en action au point d’en faire l’argument de plusieurs tableaux, peints à la demande de l’ambassadeur amoureux.

Élisabeth Vigée Le Brun, Lady Hamilton en Sibylle, 1792, huile sur toile, 73 x 57,2 cm, collection particulière

Élisabeth Vigée Le Brun, Lady Hamilton en Sibylle, 1792, huile sur toile, 73 x 57,2 cm, collection particulière

La portraitiste choisit d’abord de représenter l’égérie à la beauté « grecque » sous les traits d’une bacchante dansant, les cheveux au vent, en écho aux danses napolitaines qui alliaient érotisme et perte de soi, son portrait le plus célèbre demeure néanmoins celui qu’elle peignit lors d’un second séjour à Naples : Lady Hamilton en Sibylle. Dans une grotte, la femme douée du don de prophétie est revêtue d’un châle et d’un turban à l’instar des Sibylles plus réservées peintes au XVIIe siècle par Le Dominiquin. Le regard levé vers le ciel, les yeux embués, la Sibylle est inspirée comme un artiste ou un prophète et s’apprête à consigner ses visions sur un livre. L’œuvre va grandement contribuer à propager la renommée de l’artiste : roulée lors de ses pérégrinations, puis reclouée sur son cadre à chaque étape, Lady Hamilton fut admirée dans les cours et salons européens, au point de devenir indissociable de la réussite d’Élisabeth Vigée Le Brun.

@ newsletters

La sélection expo
Chaque semaine découvrez nos expositions coup de cœur, nos décryptages exclusifs et toutes les infos pratiques.

S'inscrire à la newsletter
newsletters

Retrouvez toute la Connaissance des arts dans vos mails

Découvrir nos newsletters