Des marqueurs, un compas, une règle et des feutres de toute épaisseur. Bleus, noirs, rouges, verts, de ceux qui crissent doucement sur la page blanche. C’est comme ça que Jean Plantureux les aime. Quand on cherche son bureau, au cœur de la rédaction du Monde, avenue Pierre Mendès-France, il suffit de s’arrêter devant celui qui compte le plus bel alignement de pots de crayons. Et c’est là, au quatrième étage, dos à la Seine, entre les éditorialistes et la rédaction Afrique, qu’il a scotché une représentation de sa petite souris, surplombée d’un « merci de votre visite ». Plantu c’est aussi ça. Un sourire, un accueil, toujours un dessin signé à offrir au visiteur et un œil sagace, qui saisit immédiatement le trait dominant d’un visage, le point fort d’une actualité.
Ce 31 mars 2021, ses crayons sont encore dans leurs pots, son ordinateur aussi est toujours là. Mais une semaine à peine après avoir fêté ses 70 ans, le dessinateur prend sa retraite après avoir balayé un demi-siècle d’actualité, avoir assisté à des milliers de conférences de rédaction et vu défiler des dizaines de rédacteurs en chef du Monde.
Pour son départ à la retraite, retour en image sur ses cinq décennies au sein de la rédaction et place à quelques-uns des dessins qui racontent l’époque vue par celui qui aura été « le dessinateur du Monde ».
Les années 1970
De la photocopieuse à l’imprimerie
« Dans les années 1970, le dessin de presse restait très archaïque. Pour obtenir des effets particuliers, il fallait découper et coller… Pour ce dessin – où certains lisent une inspiration warholienne –, j’ai utilisé la photocopieuse, afin de répéter le même personnage à l’identique et d’illustrer au mieux la tentative de duplication d’une pensée à l’infini. Après ces montages, il fallait filer en deux-roues déposer le dessin à l’imprimerie, qui était à l’époque dans les locaux de France-Soir, rue Réaumur. Là, je le remettais aux ouvriers du Livre pour qu’il passe à l’impression. »
Les années 1980
La gauche au pouvoir
« En France, la grande affaire des années 1980, c’est l’arrivée de la gauche au pouvoir. J’avais 30 ans, et je croyais que tout allait changer. Alors, ce dessin avec la tour Eiffel, au lendemain du scrutin du 10 mai 1981, s’est imposé à moi comme une évidence. Et je me suis fait plaisir, car j’adore dessiner les immeubles. Aujourd’hui encore, je m’arrête dans les rues de Paris pour croquer une façade ou un immeuble que je trouve beau. Evidemment, la suite on la connaît, et j’ai beaucoup dessiné dessus. La promesse de l’octroi du droit de vote aux étrangers en est un exemple. C’était une des « 110 propositions pour la France » du candidat Mitterrand. Quarante ans plus tard, ils n’ont toujours pas ce droit. »
Les années 1990
Les dessins silencieux
« Quand il y a un conflit sanglant, par respect pour les victimes, j’ai l’habitude de faire un dessin sans bulle, sans texte. C’est ce que j’appelle les « dessins silencieux ». Pour les frappes sur l’Irak, j’étais en Malaisie et le rédacteur en chef de l’époque n’était pas vraiment content de devoir « faire sa “une” avec un journaliste en pleine forêt », comme il me l’avait dit… J’étais effectivement en lisière de la forêt vierge, ce jour-là, mais j’avais mon mini-fax, le plus petit modèle qui soit, qui me permettait d’envoyer mes dessins de n’importe où dans le monde à l’aide d’un simple téléphone. »
Les années 2000
Les années 2010
Un « Monde » en couleurs
« Lors de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, j’avoue avoir été tenté d’imaginer un dessin autour du « gothique flamboyant », avant de me rendre à l’évidence : ce drame méritait de passer notre monument national en tricolore. L’arrivée de la couleur à la « une » du Monde a beaucoup changé mon travail. Au début, dans les années 1980, je n’avais droit qu’à un seul coloris. C’était l’époque Balladur, et le rouge lui allait à merveille. Parfois, une couleur s’impose à un moment et reste ensuite. Ce qui est arrivé à Emmanuel Macron avec l’épisode des “gilets jaunes”. »