Entraînez-vous au débat qui déchirera vos dîners dans quelques semaines

Entraînez-vous au débat qui déchirera vos dîners dans quelques semaines

Les souverainistes et l’extrême gauche ne sont plus les seuls à prôner la sortie de l’euro. A l’approche des européennes, vous devrez peut-être à votre tour prendre parti. Voilà comment ça va se passer.

Par Pascal Riché
· Publié le · Mis à jour le
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Scne extraite de
Scène extraite de « Les garçons et Guillaume, à table ! » - Allo ciné

C’est un débat qui monte, qui monte. Jusque là, seuls le portaient le Front national, quelques souverainistes (Dupont-Aignan, Asselineau...), quelques économistes (Jean-Jacques Rosa, Jacques Sapir, Frédéric Lordon, Jacques Nikonoff...), quelques chapelles d’extrême gauche (Mouvement politique d’émancipation populaire ou M’Pep, le Parti ouvrier indépendant, le Pôle de renaissance communiste en France ou PRCF, etc.)

Mais dans les milieux politiques et économiques plus « mainstream », l’idée d’une sortie de l’euro commence à être exprimée ouvertement.

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La semaine dernière, Bernard Maris, économiste d’une gauche pro-européenne et écolo, a viré sa cuti : il ne croit plus aux vertus de l’euro, il a rejoint le camp de ceux qui en souhaitent la fin.

Autre signe d’une ouverture du débat : la publication de « casser l’euro », un livre prônant une sortie, écrit par quatre journalistes pro-européens – issus majoritairement de l’Express et de l’Expansion (Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger, Béatrice Mathieu et Laura Raim) – et publié aux éditions des Liens qui Libèrent.

Donc, préparez-vous : le débat risque de débouler dans vos familles ou vos dîners entre amis, à l’occasion de la campagne des européennes, avec la force de celui qui avait agité la France en 2005, lors du référendum sur le traité constitutionnel européen.


« Surtout, ne parlons pas de l’euro » (« Un dîner en Famille », 1898) - Caran d’Ache/Wikimédia commons/CC

Voici les arguments que, grosso modo, vous échangerez.

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1L’argumentaire des partisans d’une sortie de l’euro

 

Pourquoi s’embarrasser d’une monnaie mal fichue et qui impose des contraintes ? L’euro fonctionne mal, chacun l’admet aujourd’hui. Autant le supprimer et retrouver des marges de manœuvre politiques : la possibilité de baisser les taux et de dévaluer, et une plus grande maîtrise de la politique budgétaire.

Pourquoi l’euro fonctionne-t-il mal ? Parce que la zone euro n’est pas « optimale »  : elle est composée d’économies hétérogènes et la mobilité des personnes y est faible.

Lorsqu’aux Etats-Unis, un Etat décroche, en terme de compétitivité, les Américains déménagent et vont chercher du travail dans un autre Etat. Ce n’est pas le cas dans la zone euro, à cause des barrières culturelles et linguistiques.

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Autrefois, avant l’euro, pour rattraper un retard de compétitivité, on dévaluait sa monnaie. Aujourd’hui, comme on ne peut plus, les pays sont donc amenés à comprimer leurs coûts salariaux, voire leurs salaires, et donc à déprimer leur demande. Ils peuvent aussi dégrader leurs standards environnementaux, ce qui n’est guère mieux.

Par ailleurs, le système de l’euro est largement dominé par l’Allemagne qui, en position de force lors de la négociation du traité de Maastricht, en a fixé les règles : l’indépendance de la banque centrale, l’encadrement des déficits publics... Cette architecture, toute entière dédiée à la lutte contre l’inflation, produit un euro fort. L’Allemagne craint moins l’euro fort que les autres pays, pour plusieurs raisons :

  • l’Allemagne a installé une grande part de sa production dans les pays de l’Est. Un euro fort permet d’importer des pièces détachées à bon prix ;
  • elle exporte des produits haut de gamme : quand vous achetez une voiture de luxe, le prix importe moins.

L’Allemagne a mené des politiques peu coopératives (la modération salariale dans les années 2000 par exemple) et finalement assez agressives, tout en étant protégée par l’absence de possibilité de dévaluation par les autres pays.

La modration salariale allemande selon la Fondation Robert Schumann
La modération salariale allemande selon la Fondation Robert Schumann - capture d’écran

Résultat, le système est déréglé, comme en témoigne le gonflement des excédents allemands. C’est un peu comme si, dans un appartement, le thermostat du climatiseur n’était réglé que sur une seule pièce, la pièce allemande, pendant que les habitants des autres pièces grelottent (métaphore piquée dans « Qui va payer la crise ? », de François Lenglet).

Les dsquilibres croissants minent l?Europe
Les déséquilibres croissants minent l »Europe - Rue89

Cette malfonction générale explique les crises qui ont été vécues par l’Europe au début des années 2010. La spéculation ne pouvait plus s’attaquer aux monnaies de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie. Alors elle s’est attaquée aux dettes des plus fragiles, infligeant à ces pays des taux d’intérêt très élevés et pénalisants.

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2Les contre-arguments des partisans de l’euro

 

Il faut prendre garde à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain : il y a certes des problèmes, cependant l’euro est un vecteur de rapprochement non seulement économique – dans des pays de plus en plus interdépendants –, mais aussi politique. « C’est un des éléments, parmi d’autres, qui font qu’il ne peut plus y avoir de guerre en Europe », résume l’économiste du Front de gauche, Jacques Généreux (qui n’est pas pour autant un « eurolâtre »).

Les crises du début de la décennie n’ont rien à voir avec l’euro  : elles sont la conséquence de la dérégulation financière. L’euro protège même plutôt ses pays membres contre les crises. Multiplier les taux de change, c’est multiplier les occasions de spéculation. Si l’euro n’avait pas existé, la crise de la dette publique aurait débouché sur une crise monétaire et bancaire, voire à la faillite complète d’Etats : voyez ce qui s’est passé en Islande.

Ce qu’il faut donc, c’est compléter l’euro. Construire une zone euro plus politique et plus sociale. Limiter la compétition sociale et fiscale dans cette zone. On peut commencer par un impôt commun sur les bénéfices des sociétés, et par la mutualisation des dettes des pays de la zone euro, par exemple.

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L’image du thermostat (voir plus haut) est habile, mais comme le remarque l’économiste Jean Gadrey :

« [...] elle repose sur un postulat caché : celui d’une monnaie unique, dans un espace livré à la guerre économique (la concurrence libre et non faussée), le tout avec une BCE qui ne peut pas prêter aux Etats et une Union européenne dépourvue de budget d’intervention économique correctrice des déséquilibres.“ 

On peut très bien, poursuit Gadrey, 

‘[...] installer des thermostats dans chaque pièce en dépensant plus ou moins de kWh selon les handicaps thermiques ’ des pièces. Ce qui, en termes économiques, s’appelle une politique de solidarité”.

Par ailleurs, les partisans de l’euro sous-estiment le chaos économique qu’entrainerait une sortie de l’euro. Une monnaie comme le franc serait grandement dévaluée par rapport au mark, ce qui est l’objectif, puisqu’il s’agit de restaurer la compétitivité des exportations françaises.

Une dévaluation de 20% augmenterait de 20% le poids de la dette publique souscrite en euros. Dette qu’il faudrait désormais payer en “nouveaux francs”.

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Et les marchés sanctionneraient les pays dont les monnaies décrochent. Les taux d’intérêt seraient très élevés.

Pour calmer le jeu, les gouvernements essaieraient de recréer un système monétaire tel que celui qui existait avant la création de l’euro. Or, les gens ont la mémoire courte, mais ce système fonctionnait très mal : l’Europe allait de crise en crise.

En terme de souveraineté, il était d’ailleurs ce qu’on pouvait imaginer de pire : la Bundesbank allemande suivait sa politique monétaire sans se soucier des autres, et chacun devait s’aligner sur les taux d’intérêt allemands, même si ces taux étaient peu adaptés à leur situation.

La sortie de l’euro serait donc un acte de résignation extrêmement dangereux, une sortie par le bas des difficultés de la zone euro. Il faut sortir de ces difficultés par le haut, en injectant plus de politique, d’homogénéité et de solidarité dans la construction de la zone.

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3Les contre-contre-arguments des partisans de la sortie de l’euro

 

Il est naïf de penser que l’euro est encore un ciment politique : il est devenu au contraire une machine à diviser l’Europe. Si vous voulez sauver celle-ci, il faut le casser et lancer de façon simultanée un autre projet, plus solide et plus fédérateur. Peut-être dans un nombre plus réduit de pays.

Les 3% en 2015 maintenus

Dans sa déclaration de politique générale, Manuel Valls avait laissé entendre qu'il demanderait aux partenaires européens un délai supplémentaire pour le respect des 3% de déficit public (contre 4,3% en 2013). Il semble avoir perdu cette première bataille : Michel Sapin, ministre des Finances, maintient comme “objectif” le respect des 3% en 2015. L'austérité, c'est maintenant, et ça va faire mal. P.R.

 

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Il est encore plus naïf de croire qu’on peut remplacer l’euro austéritaire par un “euro social” ou par une “zone euro fédérale” : les gouvernements européens ne sont pas prêts à cela, les opinions publiques encore moins. On a laissé passé la chance de faire une Europe fédérale.

L’argument de la dette de la France “qui exploserait” n’est pas solide. L’économiste Jacques Sapir l’a démonté en se basant sur une étude de la banque Nomura, publiée en janvier 2012. Il se trouve que, selon cette étude [PDF], 97,8% des obligations émises par l’Etat relèvent de contrats de droit français. Juridiquement, la France ne devrait rembourser en euros qu’une infime portion de sa dette.

Dans l’hypothèse où le “nouveau franc” serait dévalué de 20%, la dette publique n’augmenterait que de 3% du PIB. Il est évident que des créanciers attaqueraient l’Etat français, si ce dernier refusait de rembourser sa dette dans la devise d’émission. Mais devant des tribunaux français, ils perdraient, probablement.

Par ailleurs, une telle opération peut se préparer. On peut ainsi imaginer, comme l’a fait Jean-Jacques Rosa dans “L’euro, comment s’en débarrasser” (éd. Grasset), de dévaluer franchement l’euro pour en sortir ensuite : la dévaluation de la monnaie nationale n’aurait plus lieu d’être, ou serait très limitée. Seul le “nouveau mark” s’apprécierait.

Enfin, l’idée est de relancer une croissance “normale” (plus de 2%) dans la zone euro. En quelques années, elle reviendrait et aiderait à résoudre les déséquilibres des finances publiques.

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4Les contre-contre-contre-arguments des partisans de l’euro

 

La conversion forcée de la dette publique en nouveaux francs, fût-elle justifiée par l’argutie juridique du “contrat de droit français”, ne tient guère : dans le maelstrom que créerait la sortie de l’euro, de toute façon, les investisseurs tireraient un trait sur les pays qui refuseraient d’honorer leur dette en euros. Bon courage pour revenir sur le marché des capitaux.

5Les contre-contre-contre-contre-arguments des partisans de la sortie de l’euro

 

Putain, t’es vraiment pensée unique !

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6Les contre-contre-contre-contre-contre-arguments des partisans l’euro

 

Et toi, t’es lourd dans le genre tue-l’ambiance. Plus jamais je t’invite à dîner. 

Ils en ont parl (
Ils en ont parlé (“Un dîner en famille”, 1898) - Caran d’Ache/Wikimédia commons/CC
Pascal Riché
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