Une femme qui joue aux jeux vidéo

Surexposition aux écrans : quels effets sur notre cerveau ?

© Matias Islas

Télétravail, jeux vidéo, messageries... Avec les confinements à répétition, nos usages numériques ont évolué.

Pour le psychiatre Serge Tisseron, il faut être précautionneux. Entre insomnies, pulsions, addictions et dépressions, le psychiatre analyse notre rapport aux écrans au prisme de la pandémie.

Notre surexposition aux écrans durant le confinement va-t-elle provoquer aussi une crise sanitaire ?

Serge Tisseron : Il faut avoir conscience qu’en mars 2020, nous avons été brutalement confrontés à quatre formes d’angoisse jamais réunies : l’angoisse de mort physique avec le risque de contracter la maladie ou de la transmettre à nos proches à notre insu ; l’angoisse de mort sociale avec l’impossibilité des rencontres et les menaces sur les emplois ; l’angoisse de mort psychique chez de nombreuses personnes incapables de se tenir compagnie à elles-mêmes et que la rupture des liens habituels a menacé de vide mental ; et même l’angoisse de disparition de l’espèce humaine, agitée par certains collapsologues. Enfin, il y a eu l’impact anxiogène des changements successifs d'avis du gouvernement, notamment sur les masques, et les désaccords des scientifiques largement étalés sur la place publique. L’accumulation de ces diverses formes d'angoisse a provoqué chez certains un état de stress post-traumatique pathologique. Les troubles anxieux et dépressifs se sont amplifiés, et certains ont eu recours massivement aux écrans pour lutter contre eux, avec le risque de les aggraver

Le temps passé sur nos écrans a globalement explosé, et on ne peut que constater la très grande diversité des contenus consommés. Les effets sur notre cerveau varient-ils selon les différents formats ?

S. T : De façon générale, le temps d’écran doit toujours être rapporté à ce qu’on y fait. Il existe des activités d'écran qui relèvent de la passion, et qui sont à la fois créatives et socialisantes ; et d’autres qui sont problématiques parce qu'elles ne sont ni socialisantes, ni créatives, et qu'elles sont au contraire le plus souvent répétitives et compulsives. Les premières enrichissent notre vie mentale et sociale, tandis que les secondes l’appauvrissent.

Quelle que soit notre activité en ligne, notre cerveau ne semble plus percevoir le temps qui passe.

S. T. : À chaque fois que nous sommes immergés dans une activité, notre cerveau adopte un mode de fonctionnement particulier. Dans tous les cas, on retrouve une absorption intense dans la tâche que l'on se choisit, avec une minimisation de toutes les stimulations qui n'y renvoient pas. Cet état, appelé parfois « dissociation », provoque également une distorsion de la perception temporelle : on ne voit pas le temps passer. Il se retrouve lorsqu’on lit un livre, qu’on regarde un film ou qu’on joue à un jeu vidéo. La différence est que le film ou le livre s’arrête, alors que le jeu vidéo ou la série ne s’arrête jamais. Or l’état de dissociation ralentit ou annule aussi des réflexes positifs de préservation de soi, comme le fait de mettre une série en pause alors même que l’on vit certaines scènes comme émotionnellement éprouvantes, ou d’éteindre l’écran alors qu’on sait qu’il serait important que nous allions nous coucher.

En quoi les modalités de dialogue via les outils numériques changent-elles nos modes de sociabilisation – dans leur forme, bien sûr, mais aussi dans leur fond ?

S. T. : Les communications en ligne nous permettent de conserver des contacts sociaux malgré l’éloignement physique. Mais leurs codes sont en effet différents. Dans les communications de proximité, nos postures, nos mouvements et nos mimiques informent chacun sur ce que ressent son interlocuteur, et cela renforce la capacité de se sentir écouté et compris. Mais cela est perdu dans la communication en ligne. Le sentiment de solitude est exacerbé. Dans les réunions, ceux qui se sentent sûrs d’eux sont plus facilement agressifs, car le garde-fou du regard des autres n’existe pas, tandis que les personnalités fragiles se sentent encore plus menacées, parce qu’elles ne peuvent pas trouver dans le regard d’un ami une complicité silencieuse. Il en résulte un risque plus grand d’angoisse et de fatigue. Avec le retour en présentiel, il va nous falloir apprendre à alterner les deux, par exemple en utilisant beaucoup plus les contacts à distance pour les échanges d’informations, et en utilisant le présentiel chaque fois qu’il y a une décision à prendre.

Le confinement a-t-il créé une bulle numérique dont on finira par ressortir ? En d’autres termes, la parenthèse va-t-elle se refermer, ou notre réalité, auparavant divisée entre monde réel et monde numérique, est-elle définitivement hybridée ?

S. T. : Cette crise nous a permis de comprendre les avantages du distanciel en matière d’efficacité professionnelle, d’éducation ou de soutien psychologique, mais aussi ses risques : augmenter dramatiquement le sentiment d’incompréhension, la fatigue et la solitude. C’est pourquoi, si les relations à distance ont pu être très utiles durant la crise et l’urgence du confinement, il faut maintenant nous interroger sur leurs conséquences parfois problématiques et former les professionnels non seulement à leurs usages, mais aussi à leurs limites et à leurs pièges. Et, pour bien vivre avec les écrans, il faudrait que nous nous posions deux questions chaque fois que nous choisissons de nous mettre devant l’un d’entre eux. Est-ce que c’est pour le plaisir que nous en attendons ou bien pour oublier quelque chose qui nous préoccupe ? Et puis combien de temps allons-nous le regarder ? Parce que quand on se fixe une durée d'écran, on la dépasse toujours, mais quand on ne s’en fixe pas, on risque d’oublier tout le reste.

Cet article est paru dans le numéro 25 de la revue de L'ADN. Pour vous procurer votre exemplaire, cliquez ici.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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