Préférer la lumière à la flamme

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    Préférer la lumière à la flamme
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Fatiha Agag-Boudjahlat

Les chaînes d’info en continu ont réussi à améliorer leurs scores d’audience à moindre coût en éditorialisant au maximum leurs contenus : des chroniqueurs dissertent sur tout, à volonté et en parlant fort. Les réseaux sociaux sont conçus de façon à ce que nous accédions à un contenu conforme à nos idées et à nos attentes, nous rendant réticents et hermétiques à des raisonnements différents. Conséquence, effet ou symptôme, les échanges et la vie politique se sont polarisés, les positionnements se sont durcis et radicalisés. C’est en partie en raison de ce constat que le journaliste Jean Birnbaum publie ces jours-ci un ouvrage faisant l’éloge de la nuance.

J’ai beau être convaincue du bien-fondé de mes positions, j’ai à cœur, j’essaie en tout cas, de prêter la même sincérité à mes adversaires politiques. Quelquefois, je parviens même à me mettre à leur place. Ce qui ne me fait pas pour autant embrasser leurs idées. C’est cette empathie et cette possibilité du doute qui manquent, et je l’admets, qui me manquent quelquefois. Un des pires risques est en effet de devenir une caricature de soi-même. De contredire pour contredire. D’user de moins en moins d’arguments et de plus en plus d’invectives personnelles. De procès d’intention.

Je relis souvent ce si beau passage d’un billet que le poète René Char adressa en 1943 à Francis Curel : "Je veux n’oublier jamais que l’on m’a contraint à devenir – pour combien de temps ? – un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arctique qui se désintéresse du sort de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l’enfer."

Étudiante, j’avais découvert ces lignes dans un petit livre, "Une voix vient de l’autre rive", écrit par… Alain Finkielkraut. Qui est devenu ce qu’il s’était promis de ne pas être, ce que l’impression de guerre et l’opposition font devenir et que René Char détesta être. Il avait comme excuse le contexte de la Seconde Guerre mondiale, des Etats autoritaires ne tolérant ni la nuance, ni la dissonance, exigeant l’unanimité.

Nous ne sommes pas dans ce cadre. Je défends mon pays, la France, je défends le droit de l’aimer. Je défends la laïcité comme ciment politique de notre nation. Je défends l’égale dignité entre les femmes, quelle que soit leur couleur de peau, et les hommes. J’ai souvent le sentiment de ne plus reconnaître mon pays, mes idéaux quand j’entends des partis et des mouvements se réclamant de la gauche défendre des réunions en non-mixité raciale, bouffer du curé, du sapin de Noël, du Tour de France, de la Marseillaise, mais filer 2,5 millions à une organisation islamique hostile à l’Occident et à l’égalité femme-homme. Des groupes de parole entre gens de couleur, sur le modèle, a dit Mélenchon, des réunions des alcooliques anonymes (on l’a connu plus inspiré) ou des groupes de parole des femmes. Celles-ci se réunissaient entre elles parce qu’elles avaient été victimes de violences sexistes et sexuelles. C’était sur leurs traumas qu’elles échangeaient. Être une femme n’est pas un trauma. Être noir n’est pas un trauma. Être arabe n’est pas un trauma. Le fait de se ressembler ne signifie pas que l’on a les mêmes expériences, les mêmes ressentis, les mêmes idées. On abolit le politique, on loue le tribal, on se regroupe par couleurs et non par valeurs. Avoir un utérus ne rend pas féministe. Être noir ou arabe ne rend pas antiraciste. Le féminisme comme l’antiracisme sont des combats politiques. Alors j’ai le sentiment de l’urgence, du danger mortel et imminent. Alors je dois m’obliger aux mots de René Char. Et à ceux de Victor Hugo dans le deuxième Tome de ses Misérables : "Combattons mais distinguons. Le propre de la vérité, c’est de n’être jamais excessive. Il y a ce qu’il faut détruire, et il y a ce qu’il faut simplement éclairer et regarder. N’apportons point la flamme là où la lumière suffit". C’est de plus en plus difficile… et de plus en plus nécessaire.

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