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Le musée du Louvre, gardien malgré lui d’une tapisserie nazie

Le musée du Louvre, gardien malgré lui d’une tapisserie nazie
Conservée au musée du Louvre, la tapisserie sera bientôt documentée sur le nouveau site de l'institution ©Unsplash/Vincent Nicolas

Le média « The Art Newspaper » a récemment mis en lumière une tapisserie à la gloire d'Adolf Hitler conservée dans les réserves du musée du Louvre et appartenant aux œuvres dites Musées nationaux Récupération (« MNR »). Commandée par le IIIe Reich, elle pourrait avoir été tissée à partir d'or spolié.

Le musée du Louvre abrite dans ses réserves une œuvre encombrante à plus d’un titre : une tapisserie de 30 m² célébrant l’idéologie nazie et étrangement intégrée aux fonds « Musées Nationaux Récupération » (MNR), qui réunit les œuvres issues de la spoliation artistique confiées aux musées de France. Réalisé en 1942 dans une manufacture allemande, l’objet a par ailleurs été tissé avec des fils d’or dont l’origine serait potentiellement douteuse. Que faire aujourd’hui de cet objet à l’histoire trouble ?

Un or à l’origine trouble

Mesurant 30 m², cette tapisserie en soie, laine et fil d’or est loin de passer inaperçue. Elle représente une immense aigle héraldique du IIIe Reich, frappée d’une croix gammée sur le pectoral et surplombant les initiales « A. H. » pour « Adolf Hitler » et une citation de Mein Kampf. Celle-ci est caractéristique de l’idéologie nazie : « Wer leben will, der kämpfe also », en français : « Celui qui veut vivre doit se battre ». Dans l’ouvrage du fürher, elle était suivie d’une phrase disant que ceux qui ne se battent pas « n’ont aucun droit d’exister ». Si l’objet ne brille pas particulièrement pour ses qualités esthétiques, il tient sa préciosité de ses 3,5 kilos de fils d’or, un métal qui, selon les informations transmises lors de son transfert, aurait été « offert par le parti nazi ». S’il l’origine de cet or, tout comme le contexte précis de la commande du IIIe Reich, n’ont pour l’heure pas pu être clairement déterminés, l’hypothèse sordide d’une réutilisation de biens spoliés à des familles juives ne peut être écartée. Pour David Zivie, responsable de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, interrogé par nos soins, si cette hypothèse est « possible », elle n’est pourtant pas avérée et nécessiterait davantage de recherches autour de la tapisserie.

La tapisserie nazie conservée parmi les oeuvres MNR au musée du Louvre © Réunion des musées nationaux Grand Palais. © Musée du Louvre, département des Objets d'art.

La tapisserie nazie conservée parmi les oeuvres MNR au musée du Louvre © Réunion des musées nationaux Grand Palais. © Musée du Louvre, département des Objets d’art.

Une œuvre MNR ?

« The Art Newspaper » a mené l’enquête pour retracer l’histoire de cette funeste tapisserie. Concernant sa provenance, on pensait initialement qu’elle avait été produite à la manufacture des Gobelins à Paris, ce qui aurait justifié sa présence au sein des MNR. Mais il a pu être rapidement établi qu’elle avait été fabriquée dans la manufacture allemande de Nymphenburg, située dans la banlieue de Munich ; une origine qui confirme l’inscription présente au bas de l’œuvre. En 1949, quatre ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle a été transférée au point de collecte d’œuvres de Munich, alors que les Alliés entreprennent de récupérer le patrimoine volé. Un témoignage du directeur de la Manufacture de Nymphenburg laisse alors croire que la tapisserie aurait été tissée à Paris, sous l’Occupation, avec de l’or français.
L’objet passe alors entre les mains de la conservatrice de musée et résistante française Rose Valland, qui a grandement contribué à la récupération des 60 000 œuvres volées par les nazis aux collectionneurs et musées français. Celle-ci, constatant les conditions de création de la tapisserie, déclare que la France n’a « aucun droit » l’objet. À la demande du membre des Monuments Men étasunien, Stefen Munsing, elle est pourtant envoyée à Paris, où elle arrive le 9 juin 1949, avant d’être confiée à la direction des musées de France par la deuxième commission de choix des œuvres de la récupération artistique du 17 novembre 1949. Elle est alors déposée au château de Compiègne, le 9 juin 1950, avant d’être acheminée vers les collections du musée du Louvre en 1951. D’après David Zivie, « il se pourrait qu’on l’ait attribuée à la France pour l’éloigner de l’Allemagne et éviter qu’elle tombe entre les mains de nostalgiques du nazisme ».

Documenter et conserver

Si la tapisserie n’appartient pas aux collections du musée du Louvre, elle fait pourtant effectivement partie du fonds MNR alors même qu’il ne s’agit pas d’un bien spolié et qu’elle ne provient pas initialement de France. Clairement documentée sur les plateformes gouvernementales en ligne, l’œuvre est actuellement absente de la base de collections du Louvre, récemment modernisée et sur laquelle sont inventoriées les œuvres MNR. Interrogée sur ce point, l’institution précise qu’une campagne photographique permettant de documenter l’objet est prévue courant de l’été prochain et que la fiche descriptive pourra donc être consultable dans les prochains mois sur son site Internet. Des recherches approfondies sur les conditions de création de cette œuvre et sa fonction pourraient également être menées par la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés.
Une question qui se pose désormais est donc : que faire de cet objet certes historique mais porteur d’une histoire dramatique et des symboles à la gloire du IIIe Reich ? Stefen Munsing suggérait une solution radicale et cathartique : détruire cette tapisserie sans aucune valeur artistique afin de récupérer les 200 000 € de fil d’or qu’elle contient. Pour le ministère de la Culture français, c’est « évidemment hors de question » car il s’agit d’un objet historique qui doit donc être présenté au public avec la contextualisation nécessaire.
L’option la plus logique serait sans doute de rendre l’objet au Deutsches Historisches Museum de Berlin, qui conserve les témoignages matériels de la période nazie. Néanmoins, la demande de restitution de ce genre d’objets est pour le moins délicate et la taille monumentale de la tapisserie rend par ailleurs difficile son exposition. M. Zivie nous a par ailleurs confirmés que la question de la restitution n’était pas à l’ordre du jour, la tapisserie n’ayant pas été réclamée et le Louvre estimant que son transfert en 1949 fait partie de son histoire. « La France n’aurait pas dû l’accepter », selon lui, « mais on ne la restituera probablement jamais ».

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