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Caricatures de Mahomet : un professeur anglais en fuite, deux de ses collègues suspendus
Parmi les personnes venues manifester dans les heures qui ont suivi le début de l'affaire, certaines étaient bien connues sur les réseaux sociaux pour être de fevents contempteurs du mariage homosexuel comme de la vaccination contre le Covid-19 ou encore des émissions de danse diffusées à la télévision.
NurPhoto via AFP

Caricatures de Mahomet : un professeur anglais en fuite, deux de ses collègues suspendus

Une fatwa, darling

Par Tristan de Bourbon , à Londres

Publié le

En Angleterre, une semaine après la suspension d'un professeur de religion pour avoir montré des caricatures de Charlie Hebdo en cours, deux de ses collègues ont été sanctionnés à leur tour. Leur crime ? Avoir eu vent de l’utilisation des fameux dessins en classe.

Et de trois ! B. Denville n’est plus le seul professeur de la Batley Grammar School, dans le nord de l’Angleterre, à avoir été suspendu par sa direction. Le Daily Mail a révélé que deux de ses collègues avaient subi le même sort. La direction de l'établissement ne leur reproche pas l'utilisation en classe de l’une des caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo, mais d’avoir été au courant de son utilisation par le jeune professeur de religion.

« Ce dessin-là ne faisait pas partie du matériel scolaire approuvé par l’école et nous ne savons pas pourquoi le professeur l’a choisi a de nouveau insisté sous couvert d'anonymat un responsable de la Batley Grammar School. Et si rien ne suggère que les deux professeurs ont utilisé cette image pendant leurs leçons, ils savaient en revanche ce qui se passait, ce qui montre bien une fêlure dans le système ».

« Terrorisme contre l’islam »

Quel système ? Quelle fêlure ? Mystère et boule de gomme… Suffisant en tout cas pour céder un peu plus de terrain à la peur distillée par les entrepreneurs de terrorisme. La vindicte populaire a, il est vrai, été particulièrement agressive de la part d'une frange extrémiste de la communauté musulmane. Parmi les personnes venues manifester dans les heures qui ont suivi le début de l'affaire, certaines étaient bien connues sur les réseaux sociaux pour être de fervents contempteurs du mariage homosexuel comme de la vaccination contre le Covid-19 ou encore des émissions de danse diffusées à la télévision.

Ainsi Mohammad Sajad Hussain, dirigeant de l’association caritative locale « Purpose of Life » (« But de la vie »), au comportement intransigeant et radical fort éloigné de la connotation poétique du nom de son organisation, a été à l'origine de la lettre diffusée sur Internet qui avait mis le feu aux poudres. Dans cette missive adressée à la direction de l'école, l'homme y accusait nommément le professeur aujourd'hui suspendu de « terrorisme contre l’islam et les musulmans du monde » et réclamait qu’il soit « écarté de manière permanente » de l’école. Avant d'ajouter en guise de conclusion que c'était « la position que prenait Purpose of Life contre toute organisation qui attaque notre bien-aimé prophète Mahomet ».

Une fatwa qui ne dit pas son nom

Comble de l'ironie, quelques semaines plus tôt, cette même association recevait une donation de 3 500 euros du Syndicat national de l’éducation, qui a tout de même fait part de son soutien au professeur honni. « Aucun enseignant ni aucun membre du personnel de l’école ne doit faire l’objet de menaces de violence, d’intimidation et d’abus dans le cadre de son travail quotidien » a ainsi communiqué le responsable local du syndicat.

De quoi rassurer B. Denville sous le coup d'une fatwa qui ne dit pas son nom ? A priori non. Pendant que des islamistes fanfaronnent et font la leçon aux directeurs d'école, le professeur, lui, est en fuite avec femme et enfants. « Il s’inquiète que sa famille et lui soient tués a fait savoir son père au Daily Mail. Il sait qu’il ne pourra pas retourner travailler ou vivre à Batley, car cela serait trop dangereux pour lui et sa famille. Regardez ce qui est arrivé au professeur en France, qui a été tué pour avoir fait la même chose. Ils finiront par attraper mon fils et il le sait. Son monde a été chamboulé par cette histoire. Il est effondré ».

Mais qu'importe l'éboulement intérieur de cet homme ! Bien qu'une large majorité de la classe politique britannique - choquée par le meurtre de Samuel Paty en France - soutienne le professeur et son action, c'est pour l'instant autour du choix des caricatures et sur la façon dont B. Denville les a utilisées que le débat se porte. Une enquête en interne censée mettre au clair les zones d’ombre autour de l'utilisation de ces dessins devrait débuter dès le 12 avril.

Fanatiques religieux

Pourtant, depuis le commencement de cette affaire, les témoignages des élèves convergent vers le même point : à savoir que l'enseignant les avait - comme toujours - avertis de la teneur du matériel utilisé ce jour-là en classe. Une question qui apparemment importe plus que la terreur dans laquelle vit aujourd'hui le jeune homme.

Quant à interroger la capacité de nuisance de fanatiques religieux qui aujourd'hui s'expriment sans ambage sur la suspension ou le renvoi de tel ou tel enseignant ne suivant pas leurs préceptes, la question ne semble pas encore avoir atteint les consciences de ce côté-là de la Manche.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne