LES PLUS LUS
Publicité
Société

Jean-Pierre Steiner, ex-administrateur d'Anticor : "Pourquoi j'ai décidé de quitter l'association"

INTERVIEW - L'ancien commissaire Jean-Pierre Steiner dénonce les dérives de l'association anti-corruption Anticor.

Pascal Ceaux , Mis à jour le
Jean-Pierre Steiner, administrateur d'Anticor depuis juin 2020, vient de démissionner.
Jean-Pierre Steiner, administrateur d'Anticor depuis juin 2020, vient de démissionner. © AFP

Il a été, durant quinze ans, l'as de la police financière à Paris et à Bordeaux, chargé des enquêtes les plus sensibles et les plus explosives. Après son départ à la retraite, pour prolonger son combat contre la corruption, l'ex-commissaire Jean-Pierre Steiner a adhéré à l'association Anticor en 2008, et en est devenu administrateur en 2020. Entre-temps, il s'était présenté aux élections législatives dans les Landes sous l'étiquette LREM, battu par le député (PS) Boris Vallaud. Samedi, il n'a pas ­assisté au conseil d'administration d'Anticor : il a démissionné. Il explique au JDD pourquoi les dysfonctionnements de l'association l'ont conduit à cette décision.

Publicité
La suite après cette publicité

Pour quelles raisons décidez-vous aujourd'hui de démissionner?
Je n'ai plus rien à faire dans une association qui ne correspond pas à mes valeurs. Je suis entré au conseil d'administration il y a presque un an, élu sur une liste (Transparent) qui prônait la ­neutralité politique dans les actions engagées et qui était concurrente de la liste majoritaire. À ma grande surprise, j'ai vite constaté que nous étions traités comme des opposants, comme si nous étions un parti politique ­divisé en courants rivaux et non une association rassemblée autour d'un projet. Quand une assignation a été déposée par des membres de Transparent pour dénoncer la révocation du conseil d'administration, une vraie chasse aux sorcières a été lancée. Des pressions ont été exercées contre les administrateurs qui, de toute façon, n'administraient pas ­grand-chose : le bureau accaparait le pouvoir de décision et le conseil était devenu une chambre d'enregistrement. La situation s'est encore aggravée quand la presse s'est fait l'écho de nos dissensions. Il y a eu des mises à l'écart, voire des exclusions, sur lesquelles on a refusé de revenir, malgré mes demandes.

Lire aussi - L'association Anticor a obtenu son agrément gouvernemental qui lui permet de saisir la justice

Pourquoi ne pas avoir contesté en interne cette gouvernance que vous dénoncez?
Je l'ai fait chaque fois que j'en ai eu l'occasion. Je signale aussi que dans le cadre de la discussion autour du renouvellement de l'agrément de l'association [qui lui permet de saisir la justice] avec le Premier ministre, la direction d'Anticor a promis d'avoir un fonctionnement plus ouvert. Il n'en est rien. Regardez le cas du président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand. La justice vient de lui donner raison contre Anticor sur la prescription de ­l'affaire dans laquelle il est poursuivi. L'association a aussitôt saisi la Cour de cassation sans le moindre débat au conseil d'administration, comme le prévoient les statuts. Nous n'avons été ni consultés ni avisés. J'y vois la preuve que l'actuelle direction ne voudra jamais changer. Je n'avais plus d'autre choix que de partir.

"

Avec l'obtention de l'agrément en 2015, l'association s'est focalisée sur la corruption politique. À ce moment-là, le débat a été ­confisqué.

"

Anticor revendique un rôle clé dans la lutte contre la corruption de la politique et du pouvoir. N'est-ce pas une véritable utilité?
Il y a eu deux époques dans ­l'histoire d'Anticor. Au début, elle s'intéressait aux questions de ­corruption en général et leur donnait un écho nécessaire, car on n'en parlait peu. C'est ce qui m'a convaincu de rejoindre ses rangs. Puis, avec l'obtention de l'agrément en 2015, elle s'est focalisée sur la corruption politique. À ce moment-là, le débat a été ­confisqué. Anticor a fait son miel des dénonciations publiques et de la médiatisation qui les accompagne. Elle a prétendu se substituer à la justice, malgré les avertissements de certains d'entre nous. Il y avait en outre à sa tête un magistrat parisien [le vice-président d'Anticor, Éric Alt], ce qui a provoqué selon moi une confusion regrettable au sein de l'association mais aussi aux yeux de l'opinion. Cette dérive nous a tirés vers une forme désastreuse de populisme, comme le montrent les messages d'internautes sur le site d'Anticor ("une bande de mafieux ces politicards…"). Nous devrions nous contenter de caractériser des faits dans les dossiers que nous prenons en compte. Ce n'est pas à une association de contrôler la justice! Moi, je garde confiance dans les juges.

La suite après cette publicité

Anticor a obtenu du ­Premier ministre le renouvellement de son agrément. Cette décision ne valide-t-elle pas la stratégie de ses dirigeants?
Je ne sais pas pourquoi le ­Premier ministre a renouvelé l'agrément. Les ­articles 4 et 5 du décret qui fixe les règles d'obtention, par exemple la transparence sur l'origine du financement, n'étaient pas respectés. J'interroge aussi le ministre de la Justice : comment une association qui participe à des actions judiciaires peut-elle compter parmi ses dirigeants un magistrat en exercice? Je pars sur un sentiment d'échec, mais je ne donne pas raison pour autant à la direction actuelle.

Contenus sponsorisés

Sur le même sujet
Publicité