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« Affaire Amanda Gorman » : « La traduction, métisse, mixte par définition, est “queer” de facto »

Si l’on ne peut traduire la jeune poète noire sous prétexte que l’on est blanc et non binaire, l’étape suivante risque d’être que les gens ne puissent pas la lire non plus, écrivent, par la voix de Suzanne Dracius, les membres du Parlement des écrivaines francophones dans une tribune au « Monde ». L’assignation raciale, donc raciste, rate l’essence même de la traduction.

Publié le 11 avril 2021 à 09h15, modifié le 13 avril 2021 à 06h59 Temps de Lecture 4 min.

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Tribune. Les trémulations autour de la traduction du poème d’Amanda Gorman The Hill We Climb (« La colline que nous gravissons ») ne doivent ni nous ébranler ni nous faire dévaler la colline qui nous hisse au-dessus des préjugés, ni nous faire régresser, réduisant à néant les progrès réalisés en matière d’antiracisme.

Au Parlement des écrivaines francophones, nous tenons à ce que soit respecté notre droit à être traduites par une personne compétente, choisie en fonction de ses qualités et non de sa qualité.

Le visage de la beauté

Un excès de zèle ne doit pas nous précipiter du haut du morne escarpé escaladé à grand-peine, l’altière colline surplombant les ravines racistes.

En créole, « colline » se dit mòn, « morne », quelle que soit la couleur de la personne qui parle, noire ou blanche, descendante de békés ou d’esclavés – mot que m’autorise Ronsard. Mais il ne viendrait à l’idée de personne de traduire le « hill » de Gorman par « morne », même si cette personne est noire et créolophone.

La traduction doit rendre compte avec autant d’exactitude que possible de réalités particulières. Son habileté réside dans sa capacité à restituer un texte selon sa sensibilité et son esthétique propre.

S’agissant de poésie – du grec ποιεῖν (poiein, « créer ») –, la tâche est de s’ingénier à rendre au mieux la puissance créatrice du poème, la musicalité de ses effets sonores, rimes intérieures, assonances, allitérations, à recréer son atmosphère, ses images, symboles, anaphores et chiasmes, qui sont légion chez Gorman.

Les figures de style n’ont pas de couleur. Ou plutôt elles les ont toutes. Elles ont le visage de la beauté. Ses multiples teintes et nuances.

Arc-en-ciel

L’intersectionnalité, mot terrible utile pour désigner une réalité encore plus atroce, est subie de plein fouet sous toutes sortes d’avatars par Marieke Lucas Rijneveld, qui, sous la pression, a renoncé à la traduction néerlandaise dudit poème, puis par Victor Obiols, le traducteur catalan, qualifié d’« inadéquat », finalement disqualifié par sa maison d’édition : « Ils cherchaient un profil différent. »

On a refusé de laisser traduire la « jeune fille noire », par une personne « blanche, non binaire », comme en atteste son double prénom, féminin puis masculin. Il est à craindre qu’il y ait aussi une forme d’homophobie sous-jacente, l’immonde hydre aux mille têtes du racisme…

Prétendre que n’importe quelle « femme, jeune, militante et de préférence noire » serait plus apte à traduire cette Afro-Américaine, c’est lui faire injure, comme s’il suffisait, pour écrire comme elle, de faire partie des « héritiers d’un pays et d’une époque où une fille noire, maigre, descendante d’esclaves et élevée par une mère célibataire peut rêver de devenir présidente, simplement en se trouvant à réciter pour un président ».

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