On ne peut pas dire que Marc Chagall ait baigné dans l’art depuis toujours, et pour cause ! Né à Vitebsk en Biélorussie en 1887, l’artiste vient d’une famille juive de tradition hassidique. Alors très présent de la Pologne à l’ouest de la Russie, ce courant très pieux du judaïsme interdit toute représentation ; la maison de Chagall avait donc des murs vides… C’est à l’adolescence qu’il parvient, malgré les réticences familiales, à apprendre le dessin dans l’atelier de Iouri Pen (également maître de Ossip Zadkine et de El Lissitzky), avant de parfaire sa formation auprès de Léon Bakst à Saint-Pétersbourg dans les années 1900. Les icônes traditionnelles et les « loubkis », ces images populaires slaves, sont une révélation. Cela ne signifie pas que son enfance n’a pas marqué l’art de Chagall : le folklore juif, la musique yiddish et l’architecture de Vitbesk resteront omniprésents dans son œuvre.
… Et ce n’était ni par folie ni par provocation mais par esprit pratique ! Un bref retour s’impose : comme beaucoup de ses compatriotes, Chagall veut juger sur pièce la peinture fauve et cubiste en gagnant Paris. Atteignant la capitale française en 1910, il s’installe à la Ruche où, avec ses voisins Amedeo Modigliani, Jacques Lipchitz ou Chaïm Soutine, il anime cette cosmopolite « École de Paris ». Chagall trouve même des soutiens critiques chez Guillaume Apollinaire et plus encore Blaise Cendrars. Mais on ne vit pas d’un beau texte et l’immigré russe doit composer avec la vie de bohème. Jeûnant souvent, Chagall ne veut pas de frais de blanchisserie et c’est pourquoi il se déshabille pour peindre : pour ne pas tâcher les quelques vêtements de sa chiche garde-robe.
Après un passage en Allemagne entre 1913 et 1914, la guerre contraint Chagall à regagner la Russie. D’abord enthousiaste, il voit dans la Révolution de 1917 l’occasion de réformer l’enseignement des arts. Nommé commissaire aux Beaux-Arts en 1918, il fonde une école d’art à Vitebsk. Pour structurer une pédagogie autour d’ateliers libres, il invite les suprématistes El Lissitzky et Kazimir Malévitch comme professeurs mais va bientôt le regretter. L’abstraction des deux arrivants prendra vite le pas sur le style Chagall, trop empreint de références religieuses pour avoir la bénédiction des autorités. Ainsi, le peintre est mis en minorité et contraint de démissionner au profit de Malévitch, qui prend la tête de l’École en 1922. Chagall ne tarde pas à regagner Paris mais Malévitch lui-même sera bientôt marginalisé par le régime soviétique.
Depuis l’enclavement de sa communauté à Vitebsk sous le tsarisme, Marc Chagall a bien conscience qu’il était difficile d’être juif dans l’Europe du XXe siècle. L’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne, en 1933, fait poindre une menace bien plus palpable. Le peintre dénonce les persécutions des juifs par les nazis en associant sa communauté à la figure du Christ (La Crucifixion blanche, 1938). L’Armistice de Pétain, offrant un blanc-seing à Hitler, conduit de nombreux Juifs français à demander de faux papiers ou certificats de baptême mais Chagall, par fierté, s’y refuse. Arrêté au printemps 1941, il ne doit son salut qu’à l’héroïsme du journaliste américain Varian Fry qui organise le transfert d’artistes et d’intellectuels vers les États-Unis. Le nom de Chagall ne fut ajouté qu’in extremis à la liste des 2000 noms de Fry, sous l’insistance d’Alfred H. Barr, premier directeur du MOMA à New York.
De Manet à Matisse, nombreux sont les peintres à s’être essayés à l’illustration. Lors d’un passage à Berlin en 1922, Chagall s’initie à la gravure. Son sens fauve de la couleur, son dessin aux accents enfantins et à l’humour subtil, il souhaite les mettre en dialogue avec des textes, tirés dans les classiques comme dans la littérature contemporaine. Parmi les plus beaux livres illustrés par Chagall, on retient Les Âmes mortes de Gogol en 1948 et les Fables de La Fontaine en 1952, tous deux partis d’une commande du collectionneur Ambroise Vollard – mort en 1939, ce dernier n’en verra pas la réalisation. Mais c’est surtout l’éditeur Tériade qui lui offrira les plus belles collaborations, avec cinq commandes passées entre 1948 et 1967, parmi lesquelles La Bible, publiée en 1956, assurément l’un des chefs-d’œuvre du peintre.
Chagall est resté très attaché au judaïsme même s’il s’est départi du rigorisme religieux de sa famille. Observant de loin les rites catholiques et orthodoxes, s’émouvant devant la peinture chrétienne, son rapport au divin n’est jamais dogmatique, il est mystique plus que religieux. Friand d’initiation, Chagall a notamment rejoint la franc-maçonnerie. À Paris, il est sensibilisé à l’alchimie et aux sciences occultes par Apollinaire et veut compléter son approche du judaïsme par le mystère kabbalistique. Finalement, l’artiste s’est intéressé aux différentes religions pour mieux les faire dialoguer, dans une quête d’universalisme dont les plus beaux témoignages sont les vitraux. À Metz comme à Reims il s’est montré comme l’un des grands rénovateurs au XXe siècle.
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