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Santé

Dans cet hôpital psychiatrique, on se soigne en soignant les plantes

Marjolaine, sauge, verveine, lavande... Au « jardin des tisanes » de l’hôpital psychiatrique de Montesson, dans les Yvelines, en prenant soin des plantes, on prend soin de soi. « Le jardinage est un accès aux souvenirs et une porte pour entrer en relation », dit une soignante. Prochaine étape ? Une ferme thérapeutique en 2022.

Montesson (Yvelines), reportage

« Les fleurs sont parties, mais on trouve encore des chatons mâles », note Jérôme Rousselle. Le jardinier-médiateur de l’hôpital psychiatrique Théophile-Roussel à Montesson (Yvelines) observe un noisetier. Deux fois par mois depuis octobre, il organise avec des patients une balade botanique afin de repérer l’avancée des floraisons dans le vaste parc de l’hôpital. Ce vendredi ensoleillé, après une semaine chargée dans les unités d’hospitalisation à temps plein pour adultes, Arnaud est le seul patient à l’accompagner. Cet atelier est une « médiation thérapeutique ». Considéré comme un soin, en complément de pratiques plus classiques, il n’est accessible que sur prescription médicale. Les patients « non-stabilisés », violents, tendus, ou plus simplement allergiques aux pollens ne peuvent pas y prendre part. 

Pour Arnaud, cette promenade d’une petite heure est l’opportunité de travailler concentration et mémoire. Doudoune bordeaux sur les épaules, il explique avoir « du mal à retenir les noms » des espèces mais dit « apprendre beaucoup de choses » avec Jérôme, avant de lister minutieusement toutes les aromatiques qu’il aime déguster dans des plats. En plus des ateliers d’hortithérapie, Arnaud prend part à « toutes les activités pour [se] soigner : yoga, marche, auto-massage, sport... », dit-il en se laissant guider dans les allées. Le parc de trente hectares est parsemé d’arbres anciens, plantés quand le lieu était encore une maison de correction où les jeunes garçons se formaient entre autres au jardinage. Les animaux y ont aussi leur place : deux chevaux et un poney sont pensionnaires depuis deux ans et on croise parfois des chiens, dans le cadre de la zoothérapie.

Le but : placer les patients dans un processus de soin et les « rattacher à une forme de vie, de cycle naturel ».

Chaque fin de semaine, le jardinier-médiateur reçoit des petits groupes de patients adultes au « jardin des tisanes ». Depuis 2017, une cinquantaine de patients se retrouvent pour divers ateliers sur ce qui était une pelouse sans grand intérêt entre les unités d’hospitalisation complète Renoir et Monet. Elle accueille aussi les familles qui désirent se voir dans un cadre serein. Conçu par Titouan Lampe, alors étudiant en paysagisme, ce lieu de 200 m2 a été pensé en fonction de contraintes de sécurité : pas de pergola en hauteur, pas d’étiquettes à planter, pas de fils de fer et bien sûr pas de plantes toxiques. Le but : placer les patients dans un processus de soin, des plantes en l’occurrence, et les « rattacher à une forme de vie, de cycle naturel ». « J’étais très optimiste en pensant au jardin qui soigne et en imaginant que certains patients pourraient arrêter de prendre des médicaments », sourit Titouan Lampe, de passage sur place. Pas si simple. Mais « parfois, le fait de profiter du jardin pendant la journée va permettre de prendre un cachet en moins le soir », assure Marion Gillet, ergothérapeute qui avait déjà végétalisé un autre petit espace, le « patio », inaccessible aux visiteurs.

Arnaud, un patient, et l’ergothérapeute Marion Gillet.

Marjolaine, sauge, verveine, lavande, mélisse, sariette, coriandre, romarin... Au « jardin des tisanes », Jérôme Rousselle initie les patients à la botanique, les incite à « caresser, goûter, croquer » les plantes. Le jardinage permet de « maîtriser son corps : ne pas écraser ce qu’il y a autour, faire attention à ce que la graine aille bien dans le petit trou pour les semis... », dit-il. « Cela les fait sortir complètement de leurs problématiques. Tout d’un coup, ils vont oublier que le quotidien est compliqué », explique l’homme aux petites lunettes rondes qui propose une tisane « maison » à la fin de chaque atelier. Son poste à temps partiel a été créé tout spécialement, les soignants ne pouvant pas absorber la masse de travail que représente l’entretien du jardin. Après trente ans passés dans la com’, il se donne pour mission que le lieu soit « un outil au service de la thérapie », entretenu « à 80 %, pour qu’il reste toujours 20 % d’activités à faire ». Un travail main dans la main qui permet de bons échanges avec les patients. « Tout le monde a un rapport à la nature. Le jardinage est à la fois un accès aux souvenirs et une porte pour entrer en relation », souligne Marion Gillet. « Nous avions une patiente mutique. Un jour, alors que nous plantions des salades dans le patio, elle nous a dit qu’il fallait « les cercler ». Elle avait appris cela avec sa grand-mère. C’était nos premiers échanges », raconte Hélène Landrin, éducatrice spécialisée.

Le jardinier-médiateur propose une tisane « maison » à la fin de chaque atelier.

L’hortithérapie sert à « prendre conscience de l’importance du soin envers un être en vulnérabilité »

Que ce soit par l’hortithérapie, à laquelle sept membre du personnel ont été formés, ou d’autres médiations, stimuler les sens peut aider à « raccrocher le patient à son histoire alors que la maladie mentale et l’hôpital déconnectent », note la psychiatre Karina Sanchez-Corvest. « La pharmacologie est très importante pour qu’un patient souffrant par exemple de schizophrénie ou de troubles bipolaires ait une disponibilité suffisante. Mais j’estime, et ce n’est pas l’avis de tous mes collègues, que la chimie et la parole ont leurs limites. Les animaux, le corps, le jardin... ces médiations thérapeutiques permettent de trianguler les relations que nous avons avec nos patients dont le rapport à l’autre est complètement chamboulé », explique-t-elle. S’occuper de plantes ou d’un animal permettrait à des patients qui ignorent parfois leur pathologie de « prendre conscience de l’importance du soin envers un être en vulnérabilité : le soigné soigne », développe la médecin qui regrette ne pas disposer d’une évaluation plus précise de l’effet de ces médiations. 

Pour Didier Sigler, coordonnateur des soins honoraire et responsable du projet hortithérapie, il faut aller plus loin. À son arrivée en 2012, celui qui se félicite du surnom de « M. Tomate » dont l’ont affublé des enfants de l’hôpital, a tout de suite pensé qu’un environnement pensé permettrait de « faire sortir les patients de leurs chambres ». En 2018, il cofonde la Fédération nature jardin et santé, dont le siège est implanté dans l’hôpital et qui vise à réunir les professionnels « concerné.e.s par la création, la mise en œuvre, le développement, les usages, des jardins thérapeutiques ». Désormais retraité, M. Sigler passe encore son temps à « monter des dossiers » pour trouver des financements et des partenariats.

Karina Sanchez-Corvest, psychiatre.

Au printemps 2022, à la faveur d’une restructuration en cours de l’hôpital, il voudrait voir s’installer une « ferme thérapeutique et pédagogique » en lieu et place des services techniques. Le directeur Jacques Lahely compte également sur ces projets pour « sortir de l’idée d’un hôpital psychiatrique forcément cloisonné, ce qui n’est déjà pas le cas puisque la grande majorité de nos patients en psychiatrie sont en hospitalisation libre. Moins de 10 % sont en hospitalisation sous contrainte ». Reste à régler les problèmes « liés à la disponibilité des soignants et notamment des médecins-psychiatres et pédopsychiatres qui sont de plus en plus rares »

Il y a quelques semaines, deux stagiaires, en architecture et en agronomie, sont arrivés sur place pour plancher sur le projet de ferme monté en collaboration avec l’école des sciences et industries du vivant AgroParisTech. Si la qualité des sols le permet, il pourrait bientôt y avoir sur les terrains de bord de Seine de l’élevage et du maraîchage bio, avec des ventes en circuit court accessibles depuis l’extérieur et l’accueil de scolaires. Un appel à candidature devrait être lancé prochainement pour trouver les agriculteurs qui développeront le projet et auront la tâche de le rendre suffisamment productif pour qu’il puisse s’autofinancer.


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