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Léonard de Vinci n’a pas sculpté la Flora de Berlin : le CNRS met fin à 100 ans de débat

Léonard de Vinci n’a pas sculpté la Flora de Berlin : le CNRS met fin à 100 ans de débat
Buste de la Flora (détail), Skulpturensammlung (SBM), Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) - Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK) © SMB-SPK

De nouvelles analyses scientifiques, menées par des chercheurs du CNRS, ont permis d’établir définitivement que Léonard de Vinci n’est pas l’auteur du buste de Flora. Voilà plus d'un siècle que l'attribution de cette sculpture en cire, conservée au musée Bode de Berlin, fait débat.

L’affaire de la Flora ne vous dit peut-être rien. Il s’agit pourtant de l’un des plus grands scandales de l’histoire de l’art du XXe siècle. Il se cristallise autour d’une seule question : le buste de Flora, conservé au Bode Museum de Berlin, est-il une œuvre originale de Léonard de Vinci (1452-1519) ou bien a-t-il été exécuté en Angleterre au XIXe siècle ? Le mystère est aujourd’hui définitivement résolu grâce à de nouvelles analyses au carbone 14 menées par des chercheurs du CNRS sur la sculpture en cire. Publiés hier, 15 avril, dans la revue Scientific Reports, les résultats prouvent que l’œuvre est bien loin de dater de la Renaissance

Celle par qui le scandale arrive

Lorsqu’en 1909, le Kaiser Museum de Berlin (actuel Bode Museum) expose pour la première fois la Flora, un buste en cire attribué au grand maître de la Renaissance Léonard de Vinci, les foules de curieux se pressent pour venir admirer cette séduisante déesse du Printemps. L’exposition est d’autant plus exceptionnelle qu’il s’agirait alors de l’une des seules sculptures conservées de l’artiste, décédé quelque 400 ans plus tôt. C’est Wilhelm Bode, directeur des musées de Berlin, qui est l’origine de cette acquisition spectaculaire. Ayant repéré l’œuvre chez un marchand londonien et l’aurait achetée aux enchères, avec le soutien de la commission d’acquisition, pour 185 000 marks, une somme conséquente pour l’époque.

Buste de la Flora, Skulpturensammlung (SBM), Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) - Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK) © SMB-SPK

Buste de la Flora, Skulpturensammlung (SBM), Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) – Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK) © SMB-SPK

L’historien d’art est alors convaincu qu’il s’agit effectivement d’une œuvre originale de Léonard de Vinci, comme en témoignent selon lui le sourire énigmatique du modèle, la grâce de sa posture, le modelé des chairs ou encore le traitement virtuose des drapés. Mais l’enthousiasme est de courte durée et les premières rumeurs d’imposture viennent ébranler le milieu culturel et muséal européen. On s’étonne que ce buste, la seule sculpture en cire de la Renaissance alors connue, puisse être une œuvre définitive conçue par Léonard de Vinci (et non un modèle pour un tirage en bronze, qui n’aurait dès lors pas cette finition) et surtout qu’elle ait pu demeurer inconnue jusqu’à ce jour.

Un pastiche XIXe

Dans les deux années qui suivent l’exposition, ce sont plus de 730 articles qui sont publiés dans la presse allemande et anglaise ainsi qu’en France, en Italie, en Autriche et au Danemark, plaidant pour et contre l’attribution à Vinci. De nombreux journaux et spécialistes relaient alors une thèse bien différente de celle de Bode. Selon eux, le buste serait en réalité l’œuvre de Richard Cockle Lucas (1800-1883), un artiste britannique, copiste et restaurateur, qui aurait régulièrement produit des sculptures en cire, en ivoire ou en marbre, en s’inspirant de peintures de maîtres anciens. Son fils, Albrecht Durer Lucas, déclare en 1910 qu’il aurait aidé son père à réaliser ce buste vers 1846, réalisant lui-même un dessin préparatoire d’après une peinture d’un suiveur de Leonard de Vinci. Il s’agirait donc tout simplement d’un pastiche (et non d’un faux) exécuté sur commande au XIXe siècle. Albrecht Lucas explique également que la sculpture a été façonnée grâce au remploi de vieilles bougies et que des morceaux de papiers journal et de bois ont été incorporés dans sa base.

Une représentation de Flora par Francesco Melzi, disciple de Léonard de Vinci, vers 1520, musée de l'Ermitage, Saint-Petersbourg ©Wikimedia Commons

Une représentation de Flora par Francesco Melzi, disciple de Léonard de Vinci, vers 1520, musée de l’Ermitage, Saint-Petersbourg ©Wikimedia Commons

L’affaire est bien évidemment embarrassante et le Bode Museum décide de mener l’enquête. Une analyse va notamment avérer la présence de ces débris, datés du XIXe siècle, dans la structure de l’œuvre. Mais les conservateurs s’accordent alors à penser que ces éléments ont pu être ajoutés lors de restaurations récentes. Wilhelm Bode restera convaincu jusqu’à sa mort de l’authenticité de l’œuvre, tandis que, de part et d’autre, les camps vont s’organiser pour les cent ans à venir : les uns considèrent que l’œuvre est une création du XIXe siècle, les autres la datent effectivement de la Renaissance mais préfèrent l’attribuer à un contemporain de Léonard.

Dans la tête de la baleine

Le mystère prend donc fin aujourd’hui, en 2021, même si l’attribution à Léonard de Vinci ne comptait plus beaucoup de partisans… D​e nouvelles analyses chimiques et une datation absolue au carbone 14, menées par une équipe de scientifiques du CNRS sur plusieurs échantillons (prélevés en surface du buste et à l’intérieur) ont permis d’établir que l’œuvre n’a pas été réalisée à la Renaissance mais au XIXe siècle. L’étude a en effet prouvé que la cire utilisée pour la confection du buste est principalement composée de blanc de baleine, ou spermaceti, une substance blanche extraite de la tête de certains cétacés. La chasse aux cachalots, qui bat son plein au XIXe siècle, visait essentiellement l’exploitation de cette substance blanche, semi-liquide et cireuse, que l’on utilisait aussi bien dans le domaine cosmétique que pour la fabrication de bougies ou, en lubrifiant, pour le tannage du cuir. Extrêmement rare à la Renaissance, le blanc de baleine est d’un usage courant au XIXe siècle où il est souvent associé à la cire d’abeilles pour la production de bougies.

Première série d’échantillons prélevés sur le buste de la Flora (n. d’inv. 5951) de la Skulpturensammlung - Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB)-Stiftung Preussischer Kulturbesitz (SPK) © SBM, SMB-SPK

Première série d’échantillons prélevés sur le buste de la Flora (n. d’inv. 5951) de la Skulpturensammlung – Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB)-Stiftung Preussischer Kulturbesitz (SPK) © SBM, SMB-SPK

L’analyse de la cire du buste a révélé que celle-ci était composée de deux matières, l’une d’origine marine (le blanc de baleine), l’autre d’origine terrestre (la cire d’abeille). Face à ce mélange complexe les scientifiques ont dû adapter les techniques de datation au carbone 14 et leurs procédures d’étalonnage afin de garantir la précision de leurs résultats. Des analyses identiques ont également été menées sur deux bas-reliefs réalisés par Richard Cockle Lucas en 1848 et 1850, et les résultats concordent avec ceux du buste de Flora : ces sculptures ont été créées à partir de matériaux datés entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Le buste du Bode Museum ne peut donc pas être de la main de Léonard de Vinci ni même avoir été exécuté à la Renaissance.

Buste de la Flora, numéro d’inv. 5951, Skulpturensammlung-Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) - Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK)) avec deux objets de Richard Cockle Lucas (“Woman and winged woman” numéro d’inv. SBM Lfd. Nr. 247 et „Leda and the swan“ Alte Nationalgalerie, SMB-SPK, numéro d’inv. B II 433) © SMB-SPK

Buste de la Flora, numéro d’inv. 5951, Skulpturensammlung-Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) – Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK)) avec deux objets de Richard Cockle Lucas (“Woman and winged woman” numéro d’inv. SBM Lfd. Nr. 247 et „Leda and the swan“ Alte Nationalgalerie, SMB-SPK, numéro d’inv. B II 433) © SMB-SPK

Cherche Léonard sculpteur désespérément

Les témoignages de l’œuvre sculpté de Léonard de Vinci ont quasiment tous disparu. On connaît certains de ces grands projets, tels que la statue équestre de Francesco Sforza à Milan, grâce à des sources textuelles ou des dessins préparatoires. Vasari rapporte que le génie florentin, qui toute sa vie placera l’art du peintre bien au-dessus de celui du sculpteur, aurait modelé, dans sa jeunesse, des têtes de femmes et de jeunes garçons. Quant aux sculptures qui pourraient aujourd’hui être attribuées à Léonard de Vinci, elles se comptent sur les doigts d’une main. Le musée des beaux-arts de Budapest conserve un Cavalier sur un cheval cabré, une statue équestre en bronze du XVIe siècle, redécouverte au XIXe siècle, dont Léonard de Vinci aurait fourni le modèle.

Vierge à l'Enfant, vers 1460, réattribuée en 2019 à Léonard de Vinci, terre cuite, H. 49 cm, Victoria & Albert Museum © Victoria & Albert, Londres

Vierge à l’Enfant, vers 1460, réattribuée en 2019 à Léonard de Vinci, terre cuite, H. 49 cm, Victoria & Albert Museum © Victoria & Albert, Londres

Plus récemment, c’est une petite Vierge à l’Enfant en terre cuite, conservée au Victoria & Albert Museum de Londres, qui a fait parler d’elle. Mise en lumière en 2019 lors d’une exposition à Florence consacrée à Verrochio, elle a été clairement attribuée à Léonard de Vinci par certains experts, une origine qui faisait débat entre spécialistes depuis une quinzaine d’années. Selon cette théorie, le maître florentin aurait exécuté ce modèle au tout début de sa carrière durant sa formation dans l’atelier de Verrochio, vers 1472.

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