Microbiote : vos intestins, meilleurs alliés contre les virus

Les microbiologistes étudient de nouvelles formes de défense contre les virus grâce aux bactéries déjà présentes dans nos intestins.

De Bill Sullivan
Publication 18 avr. 2021, 11:00 CEST
GutBiome

Cette image, provenant de selles humaines, atteste de la diversité du microbiote intestinal. On y aperçoit une énorme bactérie, près de cinquante fois plus longue que E. coli. Ce mélange de microbes est propre à chacun. Les scientifiques découvrent tout juste comment ces microbes affectent notre santé, notre poids, notre humeur et même notre personnalité.

PHOTOGRAPHIE DE MARTIN OEGGERLI NatGeo Image Collection

Le mode de vie parasitaire des virus les rend particulièrement redoutables. Les moyens de défense traditionnels, tels que les antiviraux et les vaccins, sont difficiles à mettre au point. En outre, ils peuvent causer des effets secondaires indésirables et perdre de leur efficacité si le virus mute. Certains scientifiques voient plus loin. Ils soulignent que nous ne sommes pas seuls dans cette lutte. Des milliers de milliards de microbes élisent domicile dans notre organisme. Cet ensemble est connu sous le nom de microbiote humain et sa survie dépend de la nôtre. Aujourd’hui, les chercheurs tentent de savoir s’il est possible d’intégrer ces microbes au sein du système immunitaire afin de combattre les virus.

Ces dernières décennies, les scientifiques en ont beaucoup appris sur le microbiote intestinal, notamment sur sa composition bactérienne. Il est clair que les bactéries intestinales aident à la digestion et produisent certains nutriments. Il semblerait aussi qu’elles communiquent avec d’autres parties de l’organisme, le cerveau entre autres, par l'envoi de signaux chimiques. Par exemple, les bactéries intestinales produisent des neurotransmetteurs, tels que la sérotonine qui régule l’humeur ou l’état mental. Elles peuvent aussi jouer sur le système immunitaire, chose qui a retenu l’attention des chercheurs en maladies infectieuses.

Une image d’Escherichia coli, obtenue grâce à un microscope électronique. Il s’agit des bâtonnets jaunes regroupés sur le substrat violet.

PHOTOGRAPHIE DE Martin Oeggerli

« Imaginez des microbes qui empêchent un virus de s’installer dans une cellule ou qui communiquent avec elle pour en faire un hôte bien moins attrayant pour les virus », explique Mark Kaplan, président du département de microbiologie et d’immunologie de la Indiana University School of Medicine. « Si l’on arrivait à manipuler ces moyens de communication, ils pourraient nous offrir un arsenal pour aider l’organisme à se défendre plus efficacement contre les virus. »

Le fléau de la COVID-19, causée par le virus SARS-CoV-2, a relancé l’intérêt autour de la possible connexion entre le microbiote humain et la capacité à combattre les infections. Pour de nombreuses personnes, la COVID-19 ne produit pas ou peu de symptômes. Toutefois pour d’autres, elle peut s’avérer mortelle. Les raisons pour lesquelles les réponses aux infections par le SARS-CoV-2 sont si différentes restent un véritable mystère. De nouvelles études suggèrent que l’état du microbiote d’un patient pourrait être un facteur contributif.

La COVID-19 est généralement plus grave chez les personnes âgées ainsi que chez celles qui présentent des facteurs de risque tels que l’obésité, le diabète ou le cancer. Il existe également un lien entre ces affections pré-établies et des différences dans le microbiote du patient. Plusieurs études préliminaires ont répertorié des microbiotes inhabituels chez les patients hospitalisés à la suite de la COVID-19. S’il existe un lien étroit entre les microbes intestinaux et la virulence de la COVID-19, il serait envisageable de modifier le microbiote afin de combattre le SARS-CoV-2 et d’autres virus.

Selon Kaplan, « si l’on considère que les bactéries intestinales ont le rôle de gardiennes entre ce que nous ingérons et notre corps, on peut imaginer que certaines d’entre elles pourraient être plus efficaces pour combattre les intrus ».

 

COMMENT LE MICROBIOTE INTESTINAL NOUS PROTÈGE

Des centaines d’espèces de bactéries différentes vivent dans nos intestins. Cette colonie rassemble près de 40 000 milliards de cellules, soit un peu plus que le nombre total de cellules qui composent le corps humain. Ce groupe gigantesque peut aider à repousser les virus grâce à trois mécanismes primaires : l’élaboration d’un mur qui bloque les envahisseurs, le déploiement d’un arsenal élaboré et le soutien au système immunitaire.

Pour comprendre comment fonctionne ce moyen de défense, il faut garder en tête que notre intestin ressemble à un tube. La nourriture y est détruite afin d’absorber les nutriments. Parallèlement, des déchets contenant des substances biochimiques sont produits. Ils contiennent également différents pathogènes ingérés par inadvertance. Afin de diriger les déchets et les microbes responsables de maladies vers la porte de sortie, les cellules de la paroi intestinale forment une couche de mucus protecteur. Les bactéries intestinales semblent influer sur la production de cette barrière de mucus cruciale. Cette dernière pourrait également jouer un rôle dans la prévention des virus, en les empêchant de traverser l’intestin pour se loger dans d’autres parties de l’organisme.

Lorsque cette couche de mucus est endommagée, l’intestin peut subir des fuites. Les déchets et les agents pathogènes potentiellement dangereux risquent donc de s’échapper et de coloniser d’autres organes. Ils peuvent ainsi causer une infection ou une inflammation néfaste pour l’organisme. « Lors d’une fuite intestinale, il est très probable que les virus aient accès à d’autres organes en dehors des poumons et des intestins », explique Heenam Stanley Kim, microbiologiste à l’université de Séoul.

Une fuite intestinale peut aussi favoriser les maladies auto-immunes. Par conséquent, les scientifiques ont émis l’hypothèse que ces perturbations au sein du microbiote intestinal pourraient être liées à ce qu’on appelle le « choc cytokinique ». Il s’agit d’une réaction immunitaire disproportionnée qui serait potentiellement à l’origine de formes graves de la COVID-19.

En plus d’avoir été détecté dans les poumons et les intestins, le SARS-CoV-2 a été retrouvé dans le foie, les reins, le cœur et le cerveau.

En outre, il existe de plus en plus de preuves qui attestent de l’influence des microbes intestinaux sur la santé des poumons. Il a notamment été prouvé que le SARS-CoV-2 induit des changements dans le microbiote intestinal après dix jours d’infection chez les macaques. Certaines de ces perturbations peuvent même durer jusqu’à vingt-six jours. Plus précisément, on a remarqué une baisse du nombre d’espèces bactériennes connues pour produire des acides gras volatils (AGV) chez les animaux infectés. Ce sont des molécules cruciales pour la régulation du système immunitaire. Des tests sur les souris ont révélé que les AGV produits par les microbes intestinaux se répandaient dans d’autres parties de l’organisme par le sang. Ils peuvent ainsi atteindre les poumons et protéger les animaux des virus respiratoires.

Le microbiote pourrait aussi lutter contre les virus en produisant des substances chimiques qui perturberaient le cycle de vie viral. À titre d’exemple, certaines bactéries produisent des toxines que l’on appelle des bactériocines. Elles aident à lutter contre les souches bactériennes rivales. Des études menées sur des cellules cultivées en laboratoire suggèrent que ces bactériocines pourraient également inhiber le fonctionnement de certains virus. Les bactéries du genre Streptomyces produisent une bactériocine appelée duramycine. Elle empêche au virus du Nil occidental, à la dengue et à Ebola de pénétrer dans leurs cellules hôtes. D’autres bactériocines stoppent la réplication des virus herpès simplex.

Le microbiote aide également le système immunitaire à combattre les virus. Une étude a démontré que la production des anticorps dirigés contre le virus de la poliomyélite augmentait chez les sujets ayant reçu des lactobacilles, un type de bactérie que l’on retrouve abondamment dans les aliments fermentés et les yaourts, en ayant bénéficié d’un rappel de vaccin contre la poliomyélite.

Une autre étude, réalisée par Dennis Kasper au Blavatnik Institute de la Harvard Medical School, a démontré que les bactéries du genre Bacteroidetes entraînent la libération d’interférons par les cellules de l’intestin. Les interférons sont des acteurs fondamentaux qui augmentent la réponse de l’organisme face aux virus. Ils aident également à éliminer les cellules infectées. Lorsque le microbiote change, on dit qu’il devient dysbiotique. Dans ce cas, il est possible que les défenses immunitaires soient affaiblies. « Les Bacteroidetes comptent pour 40 à 50 % des plus de deux-cents espèces microbiennes présentes dans nos intestins », explique Kasper. « Lorsque quelqu’un souffre de dysbiose et ne présente pas l’équilibre habituel de microbes, il est plus vulnérable face à certaines maladies.

Il est probable que les patients dysbiotiques, qui disposent donc de moins de ces Bacteroidetes dans l’intestin, soient de fait moins résistants face aux virus et développent alors des formes d’infection plus sévères. »

 

S’INFILTRER DANS LE MICROBIOTE

Puisque l’on commence à prendre conscience de l’importance du microbiote dans le renforcement du système immunitaire, les chercheurs tentent de savoir comment transformer ces découvertes en traitements.

Étant donné qu’un lien a été établi entre certaines espèces bactériennes de l’intestin et l’aggravation de certaines infections virales, les chercheurs ont proposé d’utiliser ces bactéries comme des « marqueurs biologiques » ou des indicateurs de diagnostic. Par exemple, Ana Maldonado-Contreras, microbiologiste à la University of Massachusetts Medical School, a récemment indiqué dans une étude préliminaire que Enterococcus faecalis, une bactérie intestinale associée à une inflammation chronique, permet de prédire avec fiabilité les formes graves de la COVID-19. Elle explique que le dépistage de ces espèces bactériennes « pourrait être un moyen efficace d’identifier les patients susceptibles de développer une forme grave de l’infection ou qui nécessitent davantage de traitements et d’interventions médicales ».

En matière de traitement, les chercheurs ont réussi à transplanter un microbiote sain chez un patient dont le microbiote était endommagé. On appelle cette procédure « transplantation de microbiote fécal ». Elle n’est actuellement autorisée que dans le cadre du traitement des colites à Clostridioides difficile (C. diff.). Les transplantations de microbiote fécal soignent 90 % des patients qui souffrent de C. diff., ce qui laisse penser que d’autres maladies pourraient être traitées avec cette technique. « Si les intestins influencent le pronostic de la COVID-19, il faudrait en tirer profit afin de mieux gérer et prévenir la maladie », affirme Kim. « J’estime qu’il faudrait sérieusement envisager les transplantations de microbiote fécal, au moins chez les patients dont le pronostic est mauvais. »

Autre méthode innovante pour modifier le microbiote : l’utilisation de bactériophages, des virus qui infectent et tuent certaines espèces bactériennes. En théorie, ils pourraient être administrés pour éliminer les bactéries qui compromettent la capacité du système immunitaire à combattre les infections. En d’autres termes, il s’agirait d’utiliser un virus dirigé contre une bactérie pour combattre un virus qui infecte les cellules humaines, et ce, en altérant la composition bactérienne du microbiote intestinal.

Plutôt que de modifier le microbiote, certains chercheurs privilégient une approche plus délicate. S’il est possible d’identifier les molécules bénéfiques produites par certaines bactéries intestinales, alors il serait possible d’en faire des médicaments.

Par exemple, les bactéries du genre Bacteroidetes susmentionné sont tapissées de molécules spécifiques que l’on appelle glycolipides. Elles sont à l’origine de la production d’interférons antiviraux par les cellules immunitaires. « Un des potentiels prometteurs de notre découverte, c’est qu’il est possible de synthétiser les glycolipides à l’origine des interférons de type 1. Ils pourraient être utilisés à titre prophylactique chez les patients à risque », explique Kasper. Son équipe a mené des expériences autour de cette idée. Ils ont mis au jour que les souris peuvent être protégées des infections virales grâce à l’ajout de glycolipides bactériens dans l’eau qu’elles boivent.

L’interaction entre le microbiote et les virus reste complexe. La plupart des études se sont penchées sur les bactéries de notre microbiote. Les contributions des champignons intestinaux, des protozoaires, des bactériophages et des autres virus n’ont donc pas été assez étudiées. Toutefois, de futures études devraient révéler de nouvelles approches thérapeutiques pour traiter les maladies infectieuses.

 

PRENDRE SOIN DE SON MICROBIOTE

Selon plusieurs chercheurs, les données sur le microbiote intestinal ne sont pas encore assez nombreuses pour tirer des conclusions quant à son rôle de protection contre les infections virales comme celles de la COVID-19.

Jonathan Eisen, microbiologiste et directeur du programme de recherche spécialisé dans le microbiote à l’université de Californie à Davis, rappelle que davantage d’études sont nécessaires. « Les affirmations autour du rôle causal du microbiote et le risque d’infection et d’aggravation de la COVID-19 me préoccupent. On ne dispose pas de preuves [qui attestent de cette corrélation]. » À ce jour, un lien a uniquement été observé entre l’infection par la COVID-19, les marqueurs inflammatoires et le microbiote, explique-t-il. Le défi maintenant, c’est de déterminer quel est le facteur à l’origine de ces relations. Elles pourraient être induites par un changement dans l’alimentation d’un patient malade ou par la réponse immunitaire à une infection. « Mais présentement, nous ne pouvons pas conclure que le microbiote joue un rôle direct dans les problèmes liés à la COVID-19. »

Il est également difficile de fournir des indications précises sur la manière de rendre son microbiote plus résistant aux infections. Chaque microbiote est différent et est composé d’un mélange d’organismes complexe influencé par notre génome, notre diète et notre environnement. Toutefois, il est admis qu’une alimentation riche en prébiotiques et probiotiques, accompagnée d’exercice physique régulier, aide à garder son microbiote sain et à le protéger des fuites intestinales.

Les prébiotiques sont des fibres contenues uniquement dans certaines plantes ou compléments alimentaires. Les artichauts, les asperges, les oignons, les haricots et les fruits rouges sont des aliments riches en fibres. « De nombreuses études ont été menées sur les prébiotiques. Il a été démontré qu’ils renforcent l’intégrité intestinale », déclare Scott Anderson, journaliste médical et auteur du livre The Psychobiotic Revolution (La Révolution psychobiotique). Les aliments riches en probiotiques contiennent des bactéries ou des levures qui aident à la digestion. On peut notamment citer les aliments fermentés tels que le kéfir, la choucroute, le kimchi ou les yaourts.

En matière d’exercice physique, des recherches sur les souris ont prouvé qu’il réduisait les inflammations et améliorait l’intégrité intestinale. « On sait que le sport augmente le taux d’AGV en équilibrant le microbiote. Ils aident à l’alimentation et la protection des cellules qui tapissent l’intestin », ajoute Anderson. Par conséquent, les complications à la suite d’infections virales causées par une fuite intestinale pourraient être évitées.

Kim espère que ces nouvelles études motiveront les patients à prendre soin de leurs microbes pour se protéger des infections et des maladies inflammatoires chroniques. « Inclure davantage de fibres dans sa diète est une bonne manière de renforcer son microbiote intestinal. La gestion et la prévention de la COVID-19 pourraient être facilitées mais également celles des maladies chroniques tout au long de notre vie. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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