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Chef-d’oeuvre de Flandrin : focus sur Jeune Homme nu assis au bord de la mer

Chef-d’oeuvre de Flandrin : focus sur Jeune Homme nu assis au bord de la mer
Flandrin Hippolyte, Jeune Homme nu assis sur le bord de la mer (détail), 1836, huile sur toile, 98 x 124 cm, musée du Louvre.

Commencez votre journée en découvrant une œuvre d'art ! Au programme aujourd'hui : mondialement connu, l'éphèbe peint sur son rocher par Hippolyte Flandrin n’était à l’origine qu’une simple étude académique. Retour sur la genèse d’une icône, à l’occasion de l’exposition prévue au musée des Beaux-Arts de Lyon.

En 1832, après une première tentative infructueuse, Hippolyte Flandrin (1809-1864) remporte le Grand Prix de Rome. Partagé entre la joie de découvrir les trésors de la Ville éternelle et le chagrin de laisser à Lyon une famille aimée, le jeune homme se met en route à la fin de l’année. Brillant élève de « monsieur Ingres », élevé dans la religion du Beau, il s’enthousiasme : « Rome renferme tout ce qu’il faut pour rendre un artiste heureux : beau ciel, beau pays, belles natures d’hommes, monuments magnifiques ornés des plus admirables peintures et sculptures ».

Un pensionnaire à la Villa Médicis

Les « belles natures d’hommes », quelques femmes aussiapparaissent dans diverses figures d’étude de Flandrin réalisées durant son séjour à la Villa Médicis. Le Jeune Homme nu assis au bord de la mer est l’une d’elles. D’autres l’ont précédée, tels Polytès, fils de Priam, observant les mouvements des Grecs vers Troie, inspirée par la lecture de L’Iliade, et le très virgilien Jeune Berger assis. Ce dernier fait briller de joie les yeux d’Ingres lorsqu’en 1835, devenu directeur de l’Académie de France, il découvre le tableau à Rome. Saluées par la critique comme mâles et gracieuses à la fois, ces « académies » complétées par l’ajout d’un paysage et de quelques attributs, constituent les deux premiers envois de Rome du peintre.

Hippolyte Flandrin, Jeune Berger assis, 1834, huile sur toile, 174 x 125 cm, Musée des Beaux-Arts de Lyon. (c) Wikimedia Commons/Alain Basset

Hippolyte Flandrin, Jeune Berger assis, 1834, huile sur toile, 174 x 125 cm, Musée des Beaux-Arts de Lyon. (c) Wikimedia Commons/Alain Basset

Exigés par le règlement, ces envois permettent à l’Académie des beaux-arts de juger des travaux de ses pensionnaires romains. Entrepris dès 1835, le Jeune Homme nu assis au bord de la mer fera partie, en 1837, de l’envoi de 4e année, accompagné, comme l’exige le règlement, d’une esquisse pour Les Bergers de Virgile, et d’une copie, un fragment de L’École d’Athènes de Raphaël.

D’après La Divine Comédie

Le titre purement descriptif de l’œuvre ne suggère aucune interprétation. Mais un passage de La Divine Comédie de Dante cité par Elena Marchetti, commissaire avec Stéphane Paccoud de l’exposition « Hippolyte, Paul, Auguste. Les Flandrin, artistes & frères » au musée des Beaux-Arts de Lyon, en révèle la source cachée. Il s’agit d’un des défunts en attente de jugement, assis sur le rocher abrupt de l’Antipurgatoire : « Et l’un d’entre eux, qui me semblait las / était assis, embrassant ses genoux / et tenant entre eux son visage baissé ». Le grand sculpteur britannique John Flaxman avait illustré le texte de Dante à la fin du XVIIIe siècle et ses gravures étaient copiées dans les grands ateliers de l’Europe néoclassique, comme celui d’Ingres…

Hippolyte Flandrin, Polytès, fils de Priam, observant les mouvements des Grecs, 1833-1834, huile sur toile, 205 x 148 cm, Musée d'Art et d'Industrie de Saint-Etienne.

Hippolyte Flandrin, Polytès, fils de Priam, observant les mouvements des Grecs, 1833-1834, huile sur toile, 205 x 148 cm, Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne.

L’exposition présente, pour la première fois, deux des croquis préparatoires pour le Jeune Homme. Surprise, ils sont signés Paul et non Hippolyte ! « Beaucoup de documents nouveaux révèlent le mode de travail de Paul et Hippolyte, un passionnant travail croisé, explique Stéphane Paccoud. Nous avons des dessins de Paul pour des tableaux d’Hippolyte, des dessins d’Hippolyte pour des tableaux de Paul. La méthode évoque le fonctionnement des ateliers de la Renaissance. C’est véritablement un travail à quatre mains. Ils se comportent presque en jumeaux. Leur relation était fusionnelle… » Frère adoré, Paul échoue au concours du Prix de Rome. Souffrant de la séparation, il rejoint malgré tout Hippolyte dans la Ville éternelle. De son côté, Hippolyte a besoin de la complicité de ce frère ami qui l’aiguillonne dans son travail. Lorsqu’ils les voient ensemble, leurs camarades s’écrient : « Ah ! Voilà Flandrin tout entier ! ».

Sous l’influence d’Ingres

Ces dessins préparatoires sont un précieux témoignage de la méthode des « jumeaux ». Réalistes, tracés directement d’après le modèle, les esquisses pour le Jeune Homme nu assis au bord de la mer montrent celui-ci sous différents angles, dans la quête de la vision idéale. L’arrondi du dos apparaît déjà dans l’une d’elles, prise de trois-quarts. La peinture optera pour un profil strict. On ignore l’identité du modèle. « Il y avait un véritable marché aux modèles sur la place d’Espagne, non loin de l’Académie de France, quartier des artistes. » C’est probablement parmi ces quasi-professionnels que les Flandrin l’ont recruté.

Flandrin Hippolyte, Jeune Homme nu assis sur le bord de la mer, 1836, huile sur toile, 98 x 124 cm, musée du Louvre.

Flandrin Hippolyte, Jeune Homme nu assis sur le bord de la mer, 1836, huile sur toile, 98 x 124 cm, musée du Louvre.

Dans le tableau final, le jeune homme, idéalisé sous l’influence des marbres antiques, s’inscrit dans un cercle presque parfait. « Élèves favoris d’Ingres, Paul et Hippolyte étaient très proches de leur maître, dont ils prolongent l’esthétique, poursuit Stéphane Paccoud. Le Jeune Homme est le pendant masculin des Baigneuses d’Ingres. » On a par ailleurs souligné la parenté du Jeune Homme avec l’Œdipe d’Ingres, dont le dos s’arrondit en une ligne circulaire.

De son vivant, Hippolyte connut la gloire grâce à ses peintures monumentales d’églises, à Nîmes, à Lyon, à Paris. Il était également un portraitiste recherché. Mais l’œuvre sombra peu à peu dans l’oubli. Au début du XXe siècle,  le Jeune Homme sur son rocher semblait le seul rescapé d’un grand naufrage.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Œdipe explique l'énigme du sphinx, 1808, huile sur toile, 189 x 144 cm, musée du Louvre

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Œdipe explique l’énigme du sphinx, 1808, huile sur toile, 189 x 144 cm, musée du Louvre

Naissance d’une icône gay

Mondialement reproduit, réinterprété, fantasmé, le Jeune Homme nu assis au bord de la mer connut des débuts sans fanfare. « Ce tableau a été quasiment ignoré au départ, rappelle Stéphane Paccoud. […] Il ne retint pas spécialement l’attention à l’exposition des envois de Rome. Son succès est venu bien plus tard. Présenté à l’Exposition universelle de 1855, acheté pour le musée du Luxembourg en 1857, il entre enfin au Louvre en 1874. Exposé au public, il attire le regard des artistes à l’époque du symbolisme par son caractère introspectif. Il fait alors l’objet de diverses réinterprétations. […]. Il continue à fasciner, jusque dans la création contemporaine. »

Wilhem von Gloeden, Caïn, vers 1902, Paris, galerie David Guiraud. (c) Wikimedia Commons

Wilhem von Gloeden, Caïn, vers 1902, Paris, galerie David Guiraud. (c) Wikimedia Commons

De La Nuit, sa magistrale transposition en sculpture par Maillol (avec, au passage, changement de sexe) à Mapplethorpe ou Pierre & Gilles, les avatars sont légion, sans compter les « magnets » et autres gadgets… Diffusé par la gravure à partir de 1887, le Jeune Homme de Flandrin ne s’est pas imposé par sa seule perfection formelle. Son ambigüité est la clé d’un succès devenu planétaire. C’est, au gré du spectateur, l’innocence d’un corps en harmonie avec la nature, ou l’incarnation du remords.

Reproduit à Berlin en 1905 dans la première revue homosexuelle, le Jeune Homme inspire à Wilhelm von Gloeden un cliché qui met le feu aux poudres. En l’intitulant Caïn, référence au meurtrier de son frère Abel dans la Genèse, il introduit le trouble de la culpabilité. L’académie impeccable de Flandrin s’incarne dans un de ces paysans siciliens recrutés par Gloeden, aux mains et aux pieds rugueux. Mais pour une fois, le photographe élude le sexe de son modèle. Sans doute un sacrifice à l’« Art » ! Mapplethorpe au contraire rend à Ajitto sa majestueuse vérité anatomique. Érotisé a posteriori par ces hommages photographiques, le chaste Jeune Homme de Flandrin a gagné son statut d’icône gay, entre le David de Michel-Ange et les photographies de James Dean chevauchant sa TR 5 Trophy, clope au bec !

Michel-Ange, David, marbre, 1501-1504, 517 × 199 cm, Galleria dell'Accademia

Michel-Ange, David, marbre, 1501-1504, 517 × 199 cm, Galleria dell’Accademia

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