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Covid long adulte et enfant : “L’effort peut aggraver tous les symptômes”

A l'hôpital, un patient guéri du Covid en séance de rééducation respiratoire (photo d'illustration).
A l'hôpital, un patient guéri du Covid en séance de rééducation respiratoire (photo d'illustration). © Sipa
Interview Vanessa Boy-Landry , Mis à jour le

Le Dr Ghali, médecin interniste au CHU d’Angers, alerte les patients « Covid long » qui font des malaises après effort. Selon lui, la rééducation leur est contre-indiquée.

Début avril, le site de l’agence gouvernementale américaine des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) indiquait aux professionnels de santé que plusieurs enquêtes de patients « Covid long » remontent une aggravation des symptômes après un effort physique ou mental. C’est ce qui est ressorti notamment d’une large étude de suivi (3762 patients de 56 pays) sur sept mois, fin 2020 , où la fatigue, les malaises après effort, et les troubles cognitifs apparaissaient au palmarès des symptômes décrits par les malades. D’après ce sondage, six mois après le début de la maladie, un quart des patients n’avaient pas pu reprendre le chemin du travail et près de la moitié d’entre eux recouraient au temps partiel.

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Au CHU d’Angers, le Dr Alaa Ghali, spécialiste de l’encéphalomyélite mylagique ou syndrome de fatigue chronique (EM/SFC), a pris en charge des adultes et des enfants (de 10 à 16 ans) épuisés depuis des mois par le Covid-19. Sur six consultations seulement sur le territoire, son CHU est le seul à proposer un programme d’éducation thérapeutique des malades atteints d’EM/SFC. Aujourd’hui, le médecin interniste alerte les patients « Covid long » et explique comment gérer au mieux une fatigue persistante afin d'éviter le risque grave de la chronicité.

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Dr Ghali : "Il faut tout faire pour éviter d'arriver au stade du syndrome de fatigue chronique"

Paris Match. La sensation d’une fatigue terrassante est l’un des principaux symptômes décrits par les patients « Covid long », même si ceux-ci ont eu une forme légère de la maladie lors de sa phase aigüe. Est-ce normal, après une infection virale, d’être épuisé durant des mois?
Dr Alaa Ghali.  La fatigue est normale après n’importe quelle infection, surtout virale. C’est la réponse de l’organisme qui a besoin de quelques jours pour récupérer. Si le trouble persiste, on parle alors de fatigue post-virale. Celle-ci a un retentissement sur le quotidien du patient qui ne peut plus mener ses activités (travail, école, sport) comme avant. Dans la majorité des cas, cette fatigue est de courte durée et le patient se rétablit en quelques semaines. Si elle persiste au-delà d’un mois, et qu’apparaissent d’autres symptômes tels qu’un syndrome pseudo-grippal (douleurs articulaires, musculaires, sensation de fièvre, mal de gorge…), des troubles du sommeil, et/ou un dysfonctionnement cognitif (troubles de la mémoire, concentration), on est alors dans un syndrome de fatigue post-virale. En France, ce syndrome est peu reconnu et nos médecins définissent cet état comme une fatigue post-virale.

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"Lors de l'épidémie de SRAS, 60% des patients étaient encore fatigués, un an après"

En quoi ce syndrome de fatigue post-virale est une étape importante dans l’évolution de l’état de santé du patient?
S’il persiste au-delà de six mois chez l’adulte (trois mois chez l’enfant) et que survient un épuisement et une sensation de malaise après un effort banal, il peut évoluer en encéphalomyélite myalgique ou syndrome de fatigue chronique (EM/SFC). De la fatigue normale après une infection virale jusqu’à l’EM/SFC, tel est le processus qui peut s’enclencher chez certains patients, y compris chez les jeunes et les enfants. On peut l’observer suite à une grippe, une mononucléose infectieuse, une hépatite virale, une infection à coronavirus… Par exemple, lors de l’épidémie de SRAS, en 2003, les études ont montré que 60% des patients étaient encore fatigués, un an après. Après Ebola, ils étaient 30%. Au moment de la grippe espagnole, il y a eu des cas de fatigue persistante d’une durée de plusieurs années… 

"Un patient qui dépasse ses limites verra tous ses symptômes aggravés dès le lendemain"

La survenue du « malaise post-effort » est donc ce qui indique le risque, pour le patient, d’entrer dans le syndrome de fatigue chronique (EM/SFC), une maladie neurologique très handicapante et méconnue en France. Comment se caractérise ce type de malaise?
Il est en fait plus correct de parler d’un « épuisement » après effort. Il se traduit par la manifestation retardée et aggravée des symptômes après un effort physique, cognitif, ou émotionnel, même mineur : marcher, parler au téléphone, prendre une douche… Un patient qui dépasse sa limite quand il marche (cela peut être 100 mètres), ressentira le lendemain des douleurs, une fatigue importante, et l’exacerbation de l’ensemble de son tableau clinique (symptômes). Même chose pour une séance de lecture, par exemple. Un patient qui la prolonge au-delà de sa limite, même si elle ne dure qu’un quart d’heure, ressentira de la même façon une fatigue majeure et verra tous ses symptômes s’aggraver, à partir du lendemain. Le processus de récupération peut prendre ensuite des jours, des semaines, ou des mois. C’est l’accumulation de ces épuisements après effort qui risque finalement d’installer le patient dans le syndrome de fatigue chronique (EM/SFC).

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"Les patients “Covid long” ont parfois du mal à tenir sur leurs jambes plus de quelques minutes"

Parmi vos patients « Covid long », y compris des jeunes et des enfants, quels autres signes cliniques observez-vous qui se rapprochent de l’EM/SFC?
En dehors de la fatigue, l’intolérance orthostatique (IO), souvent présente dans l’EM/SFC pédiatrique, est relativement fréquente chez les jeunes et les enfants « Covid long ». Les patients qui présentent une intolérance orthostatique (IO) ont du mal à tenir sur leurs jambes plus de quelques minutes. La cause de l’IO dépend de la physiopathologie associée. Par exemple, si un enfant debout présente, en moins de dix minutes, une accélération de son rythme cardiaque au-delà de 40 bpm (30 bpm chez l’adulte), sans baisse de la tension artérielle, on parle d’une intolérance orthostatique due au syndrome de tachycardie posturale (PoTS). Si la position debout entraîne une baisse tensionnelle, l’IO sera expliquée par une hypotension orthostatique. La réalisation d’un test d’inclinaison (Tilt Test) sera donc nécessaire pour révéler le mécanisme de l’IO afin d’adapter le traitement. Pour autant, on ne doit pas réduire le syndrome post-Covid à l’EM/SFC. Dans la prise en charge de ces patients, il ne faut pas oublier les autres manifestations spécifiques à l’infection au virus SARS-Cov-2 : l’atteinte pulmonaire, cardiaque, gastrique, neurologique, etc…

"La rééducation à l'effort, dans la majorité des cas, aggrave ces patients"

Dans ses recommandations récentes sur la prise en charge globale des patients « Covid long », la Haute autorité de santé (HAS) accorde une place importante à la rééducation (respiratoire ou par le sport), et préconise l’activité physique adaptée ou un réentraînement progressif à l’effort. Qu’en pensez-vous?
J’ai été sollicité pour donner mon expertise et je regrette que le malaise post-effort et le risque, pour certains patients « Covid long », d’évoluer vers l’EM/SFC, n’aient pas été pris en compte dans les réponses de la HAS. Je ne nie pas l’importance de l’activité physique ni l’utilité de la rééducation pour traiter le déconditionnement. Mais pour les patients qui ont une fatigue importante, qui font des malaises post-effort typiques, ou qui présentent une intolérance orthostatique, il faut avant tout une prise en charge multidisciplinaire, et éviter de se précipiter sur une rééducation à l’effort qui, dans la majorité des cas, aggrave ces patients.

La rééducation respiratoire est-elle selon vous contre-indiquée en cas de malaise post-effort et/ou d’intolérance orthostatique?
Non, mais il faut qu’elle soit adaptée aux capacités de chaque patient en tenant compte du fait que celles-ci peuvent varier d’un jour à l’autre.

D’après vous, à quoi est due l’absence de contre-indication de la rééducation à l’effort pour les patients que vous décrivez?
Au fait qu’un courant de médecins attribuent la persistance des symptômes post-Covid à une cause psychologique. C’est d’ailleurs le cas de plusieurs de mes confrères, pour ce qui est de l’EM/SFC, qu’ils considèrent comme une maladie psychosomatique. 

"Le patient doit apprendre à stopper une activité avant de ressentir la moindre fatigue"

Quelle prise en charge préconisez-vous à vos patients « Covid long »?
La première étape est d’identifier avec eux les seuils des différentes activités physiques et intellectuelles à ne pas dépasser. La seconde est l’adaptation d’une stratégie « pacing », qui consiste pour eux à devoir rythmer leurs activités quotidiennes. Le patient doit donc cerner ses propres limites et apprendre à stopper une activité avant de ressentir la moindre fatigue. Pour beaucoup de médecins, sur le plan mondial, c’est la clé de la prise en charge de la fatigue post-virale. Cela veut dire que le patient doit parfois faire un choix entre deux activités (prendre son petit déjeuner ou sa douche) puis respecter un temps de pause, d’une à plusieurs heures, avant de passer à la suivante. Prenons l’exemple d’une personne qui présente un essoufflement à l’effort et de la toux. Si elle fait une activité au-delà de ses capacités, les deux symptômes vont réapparaître ou s’accentuer. Le fait de rythmer les activités du patient dans le respect de ses limites agit sur la fatigue, le malaise post-effort, ainsi que sur l’ensemble des symptômes. Il est donc essentiel de respecter les limites physiques, mentales, et même émotionnelles du patient. Par exemple, chez l’enfant, un conflit familial peut s’avérer délétère. Cette source importante de stress risque de prolonger son tableau clinique (symptômes) et le faire entrer dans le syndrome de fatigue chronique. 

Lire aussi. Covid-19 : quand des symptômes très inquiétants n'en finissent pas

D’après vous, les rechutes décrites par tant de patients qui souffrent de symptômes prolongés du Covid-19 sont-elles liées à une reprise de l’activité physique?
Dans la majorité des cas, oui.

Lire aussi. Patients "Covid long" : l’autre visage de la maladie

Avec cette stratégie thérapeutique du « pacing », basée sur l’autogestion, en combien de temps les patients peuvent-il espérer s’améliorer?
La prise en charge adaptée et précoce de la fatigue post-virale est un facteur déterminant pour favoriser la récupération. Il est trop tôt pour parler de guérison car nous manquons de recul, mais j’ai déjà vu les fruits du « pacing » sur le « Covid long ». Notamment chez des patientes qui étaient devenues plus prudentes, après avoir découvert par elles-mêmes que l’effort aggravait leurs différents symptômes. J’ai constaté l’amélioration de leur état. Pour les enfants, c’est un peu plus complexe car ils n’appliquent pas toujours les consignes du « pacing ». Sur les autres infections, nous savons que la fatigue post-virale peut malheureusement durer longtemps. Quant à l’EM/SFC, si le pronostic est dans l’absolu bien meilleur chez l’enfant, cela peut, chez l'adulte, prendre plusieurs années d’en sortir avec un risque non négligeable de chronicité. Il faut donc tout faire pour éviter d’arriver au stade du syndrome de fatigue chronique (EM/SFC).

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