L’important, c’est la rose, par Yan Morvan, photographe

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© Yan Morvan / Galerie Thierry Marlat

En mai 1981, il y a quarante ans, François Mitterrand, porteur des espoirs si souvent déçus du peuple de gauche, devenait, pour deux septennats, Président de la République française.

En mai 1981, le photojournaliste Yan Morvan engagé par l’agence Sipa Press a vingt-sept ans, arrivant d’Irlande où il vient de couvrir les funérailles de Bobby Sands. Ses images faisant aujourd’hui l’objet d’un livre de grand format (chez ediSens) et d’une exposition (chez Thierry Marlat, qui montre son travail pour la deuxième fois) nous rappellent cet événement majeur de l’histoire politique et sociale de notre pays.

En mai 1981, j’ai à peine dix ans, mais je me souviens de la liesse dans les rues de Calais, des concerts de klaxons, et de la fête au champagne dans le local du parti socialiste où j’avais passé la soirée.

A Paris, place de la Bastille, la foule exulte.

Yan Morvan est là, au cœur de la victoire, et veut tout vivre, s’introduisant dans tous les milieux, bougeant sans cesse, s’intéressant au hors-champ, là où le sensible échappe d’ordinaire à la représentation.

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© Yan Morvan / Galerie Thierry Marlat

Il documente, témoigne des luttes collectives, portraiturant les hommes politiques célèbres comme les anonymes.

La vie éclate partout, il ne faut pas la rater, la société change, il faut la regarder droit dans les yeux – ici, entre le 10 mai 1981 et le 12 septembre 1982.

Abolition de la peine de mort, remboursement de l’IVG, politique culturelle tous azimuts de Jack Lang, loi sur les nationalisations, inauguration du TGV, instauration de l’ISF, naissance des radio-libres…

En préface de 1981, Hubert Védrine écrit sans ambages : « Ses photos frappent par leur grande douceur, quelque chose d’apaisé même quand elles relatent des drames (Marbeuf), des manifestations, des grèves. Peut-être est-ce dû au temps passé – une quarantaine d’années -, au noir et blanc, à l’empathie du regard – on peut même parler de gentillesse – qui raconte, qui ne clive pas, qui n’antagonise rien, et qui nous permet de méditer, entre nostalgie et espérance. »

Le parti communiste est au gouvernement, quatre millions d’électeurs votent pour lui.

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© Yan Morvan / Galerie Thierry Marlat

Charles Fiterman, ministre des transports (23 juin 1981-17 juillet 1984), rappelle des avancées essentielles : droit à la retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés, passage aux 39 heures, nationalisation du secteur bancaire et financier et de cinq grands groupes industriels, prise de contrôle public sur la quasi-totalité des autoroutes…

Vous qui achetez des appartements pour les louer en Airbnb, vous qui rentabilisez les sièges vacants de votre voiture lors de vos moindres trajets, vous qui investissez à tout-va, le bien commun, ça vous dit quelque chose ?

François Mitterrand et Pierre Mauroy, escortés par les motards de la Gendarmerie nationale, se rendent en véhicule décapoté à l’Arc de triomphe, tandis que Valéry Giscard d’Estaing quitte à pied le palais présidentiel.

Il pleut sur la gauche ce même jour (jeudi 21 mai 1981), le désir de justice sociale est très beau.

Jean-Edern Hallier triomphe, on l’oubliera vite.

Une jeune opposante brandit une raquette de tennis sur laquelle est posée une affichette : « Le socialisme c’est le printemps du goulag »

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© Yan Morvan / Galerie Thierry Marlat

Visage de l’oiseau Michel Rocard, défilé de la garde présidentielle, une femme s’évanouit.

On fait le v de la victoire, le nouveau Président, une rose à la main, est applaudi par Willy Brandt, ancien chancelier d’Allemagne de l’Ouest.

Le 27 mai, autour du Parc des Princes, on s’affronte entre supporters anglais (le Football Club de Liverpool vient de gagner par un but de dernière minute contre le Real Madrid la Coupe d’Europe des clubs champions) et français, le 5 juin trente et un détenus pour atteinte à la sûreté de l’Etat sont libérés, dont onze Corses, six membres du groupe Action directe, cinq Guyanais, cinq Basques et quatre Guadeloupéens – bientôt quatorze autonomistes bretons seront relâchés.

Le 11 juin a lieu place de la Bastille un concert de Jacques Higelin précédé du groupe Téléphone : le tout nouveau ministre du Temps libre, André Henri, a lancé la Fête de la musique et de la jeunesse.

Le personnel politique est en place : Lionel Jospin, Gaston Deferre, Pierre Joxe, Jack Ralite, Anicet Le Pors, Marcel Rigout, Jean Poperen, Georges Marchais, André Lajoinie, Robert Badinter, Jean-Pierre Chevènement, Jacques Delors, Claude Cheysson, Michel Jobert, Edith Cresson, Yvette Roudy, Charles Hernu  – les plus jeunes liront leur bio, et les plus anciens se rafraîchiront la mémoire.

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© Yan Morvan / Galerie Thierry Marlat

Légende de la photographie du 1er juillet 1981 : « Ahmed Ben Bella [qui soutiendra le droit des Afghans contre l’invasion soviétique], ancien président de la République algérienne de 1963 à 1965, renversé par le colonel Boumédienne, gracié par le président Bendjedid, vient de s’installer à Paris quelque temps avant de s’exiler définitivement en Suisse jusqu’à son décès en 2012. Je suis photographe exclusif quand il rencontre d’anciens cadres fidèles du FNL. La presse ne portera aucune attention aux activités de l’ancien président, le souvenir de la guerre d’Algérie reste encore présent dans les Mémoires. »

1981 se lit et se regarde comme un livre d’histoire assez vertigineux.

Nous y étions sans y être, nous essayions de comprendre sans avoir beaucoup de clés.

Le 11 août 1981, Tarek-Aziz, ministre irakien des Affaires étrangères, est reçu à l’Elysée : son pays a besoin d’armes pour lutter contre l’Iran.

Le peuple polonais se soulève avec Lech Walesa, Ariane Mnouchkine manifeste pour l’Argentine, on exige la libération du dissident soviétique Sakharov, alors que le vidéaste coréen Nam June Paik expose à Beaubourg, et que Jean-Marie Le Pen quitte peu à peu sa marginalité électorale.

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© Yan Morvan / Galerie Thierry Marlat

Yan Morvan est attentif aux rapports de force, aux visages des néo-fascistes, aux mutations sociétales (premier bataillon français de femmes parachutistes, droits des femmes, montée en puissance des groupes anti-nucléaires).

Comment peut-on être CRS ? Comment peut-on être Margaret Thatcher ? Comment peut-on poser une bombe dans une couscousserie de Paris (rue Marbeuf) ?

Le mélomane Henri Krasucki a une réponse : « Soyez efficaces, adhérez à la CGT ! »

Yves Mourousi, présentateur du journal de 13h de TF1, porte alors les mêmes costumes et les mêmes lunettes que mon père, le prince du Maghreb.

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Yan Morvan, 1981, préface Hubert Védrine, textes Edith Cresson, Jean Glavany, Charles Fiterman, Jean Auroux, Jack Lang, Alain Boublil, Kathleen Evin, direction artistique, editing & design graphique Loïc Vincent, ediSens, 2021, 256 pages

ediSens – site

1981 – ediSens

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© Yan Morvan / Galerie Thierry Marlat

Exposition éponyme à la galerie Thierry Marlat (Paris) – du 6 mai au 25 juin 2021

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Autres expositions chez initial Labo (du 4 mai au 6 juin 2021), à l’Institut François Mitterrand (place de la Bastille, à partir du 23 mai 2021), au Musée de l’Armée Invalide (réouverture prochaine)

Il est par ailleurs lauréat du festival photographique L’Œil Urbain (Corbeil Essone, mai 2021)

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© Yan Morvan / Galerie Thierry Marlat

Parution en juin, à la Manufacture de livres, de Larzac (octobre-novembre 1970), textes de José Bové

Yan Morvan travaille avec le collectif BATT COOP sur la parution de ses archives sous forme de chroniques photographiques bimensuelles (2021-2025), il poursuit également son projet Hexagone (parution d’un livre et expositions prévus en 2022). Plusieurs projet autours de l’Amérique (qu’il a photographiée durant quarante ans) et de la fracture sociale des années 1990 sont en préparation

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© Yan Morvan / Galerie Thierry Marlat

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