Jacques Dutronc par Françoise Hardy

Jacques Dutronc par Françoise Hardy
Françoise Hardy et Jacques Dutronc, ici en 1988. (BENGUIGUI/SIPA)

Icône des années 1960, toujours portée par la ferveur du public, Françoise Hardy raconte ses souvenirs dans un livre où elle ne cache rien. Notamment  sur Jacques Dutronc dont, au fil des pages, elle trace le portrait. Extraits exclusifs. 

Par Françoise Hardy
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La rencontre

La rupture avec Jean-Marie [Perrier] fut entérinée par les mots assassins que je dus prononcer à Clermont-Ferrand lors d'une communication téléphonique infiniment triste où il me demanda de lui mettre les points sur les i. Je vécus pour la première fois l'épreuve consistant à faire souffrir l'être qui a été le plus proche de soi pendant quelques années et réalisai qu'il est au moins aussi douloureux de quitter que d'être quitté.

De retour à Paris, j'appris que mon éditeur et directeur artistique, Jacques Wolfsohn, était en instance de divorce. Il venait de signer avec Jacques Dutronc dont la chanson Et moi et moi et moi... était matraquée sur les ondes. Ce dernier ne m'était pas totalement inconnu, puisque, dès 1963, j'avais repris une musique à lui que j'aimais beaucoup, Le temps de l'amour. Aussi, parce qu'à la demande de notre éditeur commun il m'avait composé la mélodie de Va pas prendre un tambour, chanson hélas gâchée par une orchestration épouvantable.

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Je devais le croiser ensuite dans le bureau de Wolfsohn qui l'avait engagé comme assistant à son retour de l'armée. Ses cheveux rasés, sa peau boutonneuse et ses énormes lunettes ne l'avantageaient guère à ce moment-là. On me parla ensuite de lui comme guitariste éventuel pour une tournée. J'étais au volant de ma petite Austin Cooper quand je le vis traverser la rue Mogador, devant les magasins du Printemps. Je profitai du feu rouge pour lui demander si je pouvais compter sur lui mais il resta évasif - je ne savais pas encore qu'il répondait rarement aux questions. On me rapporta qu'il ne souhaitait pas s'éloigner de sa fiancée, ce que lui-même démentit en partie, des années plus tard, en prétextant que ses vues sur moi lui avaient semblé incompatibles avec le fait de devenir l'un de mes musiciens.

Il n'avait pas encore enregistré de disque, encore moins accédé à la célébrité, lorsqu'il annula son mariage quelques jours avant sa célébration. Le prétexte qu'il invoqua ultérieurement, non sans réticence, en était le formalisme bourgeois de sa future bellefamille qui avait plus ou moins manigancé ce mariage à son insu, alors qu'elle considérait d'un très mauvais oeil ses activités artistiques et faisait pression pour qu'il exerce une profession plus sûre. Avec le recul, je me demande si la raison profonde de cette annulation de dernière minute, qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille, ne tournait pas plutôt autour d'un réflexe de fuite devant toute forme d'engagement.

Quoi qu'il en soit, les deux Jacques et moi redevînmes célibataires en même temps et sortîmes souvent ensemble à partir du dernier trimestre de l'année 1966. Jacques l'éditeur était toujours seul, mais Jacques le chanteur était en général flanqué de «minettes» si quelconques que je me demandais ce qu'il pouvait bien leur trouver. De mon côté, j'étais encore désespérément amoureuse de mon Anglais, lequel, navré de me voir malheureuse à cause de lui et ayant aperçu notre trio chez Castel, tenta de me convaincre que Dutronc était mille fois plus séduisant que lui-même, et que nous formions un très beau couple.

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Le coup de la panne 

Ce qui devait arriver arriva : peu à peu je tombai sous le charme non seulement de ses yeux bleu pâle, mais de sa façon d'être si déconcertante - provocatrice, parfois cynique, toujours énigmatique -, derrière laquelle je me plaisais à imaginer une grande sensibilité, une grande fragilité aussi. Il avait un côté dur au cœur tendre, brut et raffiné à la fois, très français aussi, parigot... Ses contrastes m'intriguaient et m'attiraient d'autant plus que, comme mon bel Anglais l'avait perçu avant moi, Jacques Dutronc avait un charisme hors du commun.

Je me sentis une fois de plus dans une impasse, puisque rien ne laissait supposer l'once d'une réciprocité à mon attirance grandissante. Les jeunes filles plus ou moins jolies, plus ou moins vulgaires, avec lesquelles le nouvel objet de mes tourments s'affichait, ainsi que celles qui virevoltaient autour de lui ou l'attendaient des heures sur son palier, me donnaient l'exemple de ce qu'il ne fallait pas faire. En même temps, celles qui semblaient obtenir ses faveurs étaient très différentes de moi, et j'en conclus que je ne devais pas correspondre à ses goûts. Bref, je me sentis plus inhibée que jamais dans l'expression de mes sentiments.

Un soir où Jacques et moi chantions dans le même gala en Belgique, ma voiture eut la bonne idée de tomber en panne. Il n'y avait pas d'autre solution que rentrer à Paris avec lui et j'espérai en mon for intérieur qu'il profiterait de la situation. Nous étions assis à l'arrière de sa DS avec trois bonnes heures de route de nuit devant nous. Mais il ne broncha pas et j'eus beau faire semblant de dormir et profiter de certains virages pour me rapprocher légèrement de lui, rien n'y fit. Sans doute avait-il l'habitude qu'on lui tombe plus ostensiblement dans les bras, mais j'aurais été incapable d'un tel comportement, à moins de m'y être sentie encouragée d'une façon ou d'une autre. J'étais arrêtée aussi par la vague crainte que ce genre d'attitude, qu'il ne connaissait que trop, me rabaisse à ses yeux. Lui si secret, si discret sur sa vie personnelle, me confia des années après que l'une de ses partenaires de cinéma, aussi célèbre que ravissante, l'avait invité un dimanche à déjeuner dans le restaurant d'un hôtel où elle avait réservé une chambre pour qu'ils concluent l'après-midi en beauté. Que l'on dispose ainsi de lui l'avait braqué, et la jeune personne en avait été pour ses frais.

"Il y a un cactus..."

Lors d'un débat à l'Assemblée nationale, le Premier ministre, Georges Pompidou, déclara: «Comme le chante Jacques Dutronc, il y a un cactus...» Inutile de dire à quel point cela rejaillit positivement sur Jacques et sa chanson, puisque toute la presse s'en saisit. Quelque temps après, lui et moi fûmes conviés à un grand dîner organisé par Le Figaro. Nous étions à la table de Mme Pompidou, lorsque, au bout d'un moment, Jacques, qui s'ennuyait copieusement, me demanda à l'oreille qui était le travelo assis en face de nous. Il y eut ensuite une invitation de Matignon à une soirée où il devait chanter devant les Pompidou et leurs invités, parmi lesquels se trouvaient Brigitte Bardot ainsi que l'éditeur Christian Bourgois et sa femme, lesquels, à tort ou à raison, me semblaient directement sortis d'une société secrète ou d'un cercle sadomasochiste - rétrospectivement, ils auraient été parfaits dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

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Jacques, qui n'était jamais là où on l'attendait, et pour qui tout semblait prétexte à dérision, se mit à chanter en 78 tours, autrement dit à toute vitesse. Cela jeta un froid. Si triées sur le volet qu'elles fussent, les personnes présentes ne comprenaient pas son humour décalé et aspiraient à retrouver ses succès tels qu'elles les appréciaient. Brigitte Bardot me supplia de lui demander de chanter normalement, mais c'était impossible. Quand il eut terminé son tour de chant à la durée réduite au minimum par le rythme infernal qu'il avait cru bon de lui imposer, les Pompidou me prièrent de chanter moi aussi, sans soupçonner qu'une chanson ne s'improvise pas, et que les musiciens doivent la connaître pour l'accompagner. C'était une soirée merveilleusement surréaliste dont je déplore qu'il n'existe aucune trace.

Sumo, le guépard

Jacques vint un peu plus souvent chez moi lorsqu'il lui prit fantaisie d'apprivoiser un guépard qu'il baptisa Sumo, avec lequel il dormait après l'avoir affublé d'une couche-culotte pour qu'il ne fasse pas pipi au lit. Ses nuits rue de Provence n'étaient pas de tout repos, car Sumo s'étirait beaucoup, le léchait de même et lui donnait force coups de patte en signe d'affection. Le gracieux mais néanmoins envahissant animal avait investi l'appartement et faisait sa joie en déchiquetant les vêtements des copains qui se risquaient à franchir son seuil et repartaient en loques. Le père de Jacques, qui avait déjà supporté les élevages de souris, de tortues et de grenouilles quand son fils était petit, allait, avec un inlassable dévouement, acheter des poulets non plumés pour nourrir le guépard qui devait s'ennuyer et passait des heures sur la cheminée à se regarder fixement dans la glace, cherchant sans doute à comprendre quel était ce congénère insaisissable avec lequel il aurait bien aimé jouer.

©Robert Laffont

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