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    28/04/2021

    L'IGPN a été saisie

    « J’ai été violé et tabassé par deux policiers dans le commissariat du 19e arrondissement »

    Par Christophe-Cécil Garnier , Mathieu Molard , Nnoman Cadoret

    Le 5 avril dernier, Tommi est interpellé par des policiers du 19e arrondissement. Au moment de l’arrestation puis pendant sa garde à vue, deux fonctionnaires le frappent et le violent, dit-il. Un certificat médical confirme son récit.

    « Ce que ce policier m’a fait, c’est un viol ». Ça n’a pas été facile pour Tommi (1) de témoigner de ce qu’il a vécu. Début avril, il est arrêté à Paris pour un refus d’obtempérer et un recel de vol. Durant son interpellation, il s’est fait, dit-il, étrangler et a subi de nombreux coups par deux policiers du 19ème arrondissement de Paris. Une fois au commissariat, il subit à nouveau des violences et des maltraitances, ainsi qu’un viol. Après la fouille à nu, deux fonctionnaires ont effectué une pénétration anale, commise avec violence et contrainte, indique-t-il les larmes aux yeux. Des faits corroborés par des tests médicaux.

    Cet habitant de l’Essonne, âgé de 23 ans qui a souhaité rester anonyme, a confié son histoire à StreetPress et à la web-télévision Le Média. Il a par l’intermédiaire de son avocate Cynthia Vazquez déposé une plainte contre X pour violences volontaires à caractère raciste, viol et atteinte à l’intimité de la vie privée par personnes dépositaires de l’autorité publique. Contactée, la Préfecture de police de Paris précise qu’une « enquête est en cours, l’IGPN (la police des polices) ayant été saisie en judiciaire et en administratif. Par ailleurs, deux fonctionnaires de police ont déposé plainte pour outrage et rébellion à l’encontre du mis en cause ».

    « T’es mort, tu vas morfler »

    « Des gardes à vue, j’en ai fait et j’ai subi des violences policières. Mais elles étaient “simples”. » Dès son arrivée dans les locaux de StreetPress, le vingtenaire à la veste Kalenji et aux cheveux bruns bien plaqués en arrière raconte sa trajectoire : son parcours en centre de formation d’un club de football professionnel. Il détaille les rêves envolés, les passages en détention, les coups pris dans des interpellations passées. « Mais ça, jamais… »

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    Tommi a par, l’intermédiaire de son avocate Cynthia Vazquez, déposé une plainte contre X pour violences volontaires à caractère raciste, viol et atteinte à l’intimité de la vie privée par personnes dépositaires de l’autorité publique. / Crédits : DR

    Le 5 avril 2021, il roule dans une voiture de location dans le 19ème. Au feu rouge, des policiers au volant d’un des nouveaux 5008 sérigraphiés, lui demandent de se mettre sur le côté. Pour Tommi, ça sent les galères : « J’ai un problème avec mon permis car j’ai subi une usurpation d’identité quand j’étais en prison. Chaque fois que je suis contrôlé, je vais en garde à vue au commissariat parce qu’ils pensent que mon permis m’a été retiré ». Tommi prend la fuite mais se fait rattraper 400 mètres plus loin. La voiture de police le percute. Accidenté, il ouvre la porte et sort du véhicule pour se laisser interpeller. « J’ai joué et j’ai perdu », lâche-t-il en racontant l’histoire. Les agents le menottent et l’un d’eux lui crie :

    « T’es mort, tu vas morfler. On va t’enculer, tu vas mourir, tu vas mourir, tu vas mourir. »

    Dix minutes de coups

    D’autres véhicules de police arrivent sur l’avenue et, très vite, une trentaine de policiers entourent l’accident. Tommi est amené dans celle endommagée par le choc. Il attend d’être transféré au commissariat. Dans le 5008, les agents sont à cran. L’un se place à sa gauche tandis que l’autre monte dans le coffre et se positionne derrière Tommi. « Le premier me dit plusieurs fois : “Je vais te niquer ta mère, sale arabe” », se rappelle-t-il. L’autre l’attrape au cou et aurait ajouté : « Tu vas mourir aujourd’hui ». Pendant dix minutes, le fonctionnaire installé dans le coffre l’étrangle à plusieurs reprises quand l’autre lui donne des coups-de-poing dans l’abdomen. Les deux hommes ne s’arrêtent que pour laisser Tommi reprendre son souffle. Lui suffoque et devient rouge :

    « Pour une fois dans ma vie, j’ai vraiment cru que j’allais mourir. »

    Entretemps, des agents viennent à la fenêtre de la voiture pour le regarder. « Ils me disaient : “Tu vas bien morfler aujourd’hui”. »

    Un viol à la fouille

    Emmené au commissariat, Tommi est placé en garde à vue pour refus d’obtempérer et pour recel de vol, car la voiture de location était volée. Tommi affirme qu’il ne le savait pas. Le vingtenaire informe l’officier qu’il a vu une caméra sur l’avenue qui pourrait prouver les violences dans la voiture. « Quand je lui ai dit ça, il n’a pas eu de réaction. Il m’a regardé sans rien dire », dit-il en secouant la tête. Il passe ensuite à la fouille. Les deux fonctionnaires qui l’ont déjà violenté s’en chargent. Tommi a l’habitude et suit sa routine. « Un truc que je fais, c’est que j’enlève mes chaussettes et je les retourne pour que les policiers n’aient pas à la faire, qu’il voit que je les respecte a minima. Des fois, ils deviennent plus sympas. » Ils demandent à Tommi de baisser son caleçon. Avant d’ordonner :

    « Accroupis-toi et tousse. »

    Tommi refuse. Les deux agents insistent. Le gardé à vue refuse à nouveau. Les deux fonctionnaires se jettent alors sur le vingtenaire nu pour le passer à tabac. Comme dans la voiture, l’un l’étrangle, pendant que l’autre le frappe à l’abdomen*. Tommi projeté au sol, commence à faire une crise d’asthme : « Les coups m’ont complètement coupé la respiration », se souvient-il. Sa voix se fait plus tremblante :

    « À ce moment-là, le deuxième policier, celui qui m’assène les coups-de-poing au ventre… Hé bah, il a pénétré son doigt dans mon rectum. »

    Tommi se tait pendant cinq secondes. Il reprend son récit. Raconte quels autres coups il a subis et comment il s’est débattu jusqu’à ce que ses mouvements fassent sortir le doigt du fonctionnaire de son orifice. « La salle de fouille est à côté de l’accueil et des cellules. Personne ne peut dire qu’il ne m’a pas entendu », lâche-t-il.

    À LIRE AUSSI : Des gardés à vue dénoncent « des actes de torture » au commissariat du 19ème arrondissement

    Une référence à un précédent viol

    Les agents finissent par lui remettre son caleçon et le traîne de la salle de fouille à un banc. Il est laissé à côté, menotté et par terre, en caleçon. Il est 19h passé. Selon Tommi, le banc se trouve en face de portes battantes qui donnent sur l’extérieur. « Il faisait super froid. J’étais traumatisé après ce qui venait d’arriver en salle de fouille, j’étais tétanisé », se souvient le vingtenaire. Il reste à côté de ce banc par terre pendant plusieurs dizaines de minutes, « comme un chien ». Entre-temps, des fonctionnaires du commissariat passent à côté et se moquent :

    « Ils disaient des choses comme : “Vous l’avez ramassé où ce clochard ?” »

    Finalement, un policier l’aide à se relever et l’accompagne jusqu’à une cellule. Là encore, ses collègues font des remarques : « Ils disaient : “Laisse-le marcher seul, lâche-le” ». Les agents se moquent de lui dans le box et l’appellent « Théo », en référence à l’affaire de ce jeune homme violé par des policiers avec une matraque en 2017 :

    « Ils me disaient : “Il était comment le doigt ?”. J’étais choqué, pour eux c’était drôle. Même des femmes me faisaient des remarques comme : “Il n’aurait pas dû se manger qu’un doigt dans le cul”. »

    Des tests concluants

    Tommi est toujours en caleçon quand les pompiers l’emmènent une première fois à l’hôpital pour se faire ausculter. Une médecin regarde ses blessures sur le corps. Pour prouver le viol, « elle me dit qu’il faut une réquisition de la part des policiers ». Le lendemain, Tommi passe devant l’OPJ.

    « Je lui fais part des violences et du viol. Il me répond : “Qu’est-ce qui me prouve que tu ne t’es pas enfoncé un doigt dans le cul tout seul ?” »

    Tommi insiste pour passer des examens et souhaite que sa volonté soit marquée sur le PV. Il finira, le lendemain, par obtenir gain de cause. Le vingtenaire attend d’abord, toute la journée, que sa garde à vue soit prolongée. « Physiquement, c’était dur. J’avais mal au dos, à l’abdomen et à la trachée. Même m’asseoir ça me faisait repenser au viol », explique-t-il. Tommi passe finalement des tests aux UMJ de l’Hôtel-Dieu, deux jours après ses coups et le viol, le 7 avril. Une médecin l’examine. « C’était dur pour moi. Je n’étais plus sûr de les faire mais elle m’a expliqué qu’il pouvait y avoir l’ADN de l’agent avec son doigt », confie l’homme.

    Outre des ecchymoses sur pratiquement tout le corps et au visage, dues aux coups, la toubib remarque une lésion anale. « Ces constatations sont compatibles avec les déclarations du plaignant », confirme-t-elle sur le certificat médical, appuyant le récit de Tommi. La docteure a effectué des prélèvements ADN qui sont « à la disposition des autorités en charge du dossier », écrit-elle. Elle a également donné trois jours d’ITT à Tommi, « sous réserve de l’absence de complications » et a demandé une évaluation du vingtenaire « afin d’évaluer le retentissement psychologique de ces faits ».

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    Dans son rapport, la médecin a remarqué une lésion anale et estime que ses constatations « sont compatibles avec les déclarations » de Tommi. / Crédits : DR

    La médecin décide même de garder son patient sur place pour le reste de sa garde à vue, loin du commissariat du 19ème arrondissement. Tommi reste dans une chambre aménagée, sous surveillance, jusqu’à la fin de la journée. Le lendemain, il se rend à l’IGPN et revient sur toute l’histoire pendant plusieurs heures. « J’étais sur une chaise, je n’en pouvais plus, j’avais des douleurs au dos et à l’estomac. C’était un calvaire pour moi mais c’était très important », se souvient-il, « fier d’avoir tout fait dans l’ordre ».

    Le mercredi 28 avril, Tommi a déposé une plainte contre X auprès du procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris pour « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique », « viol par personnes dépositaires de l’autorité publique » et « atteinte à l’intimité de la vie privée ». Il est accompagné dans ses démarches par le collectif Désarmons-les!. S’il sait que sa dignité « ne sera jamais rendue », Tommi attend une réponse de la justice :

    « Je sais que ça prend du temps mais au moins que ces deux policiers soient suspendus. »

    StreetPress a déjà publié une enquête en novembre sur des violences contre des gardés à vue du commissariat du 19ème arrondissement de Paris. Témoins et victimes y racontaient des scènes d’une extrême brutalité, qu’ils qualifiaient de « torture ». Des longs passages à tabac en groupe sur des individus entravés, entrecoupés d’insultes à caractère raciste et des menaces de mort. C’est aussi dans ce commissariat que le journaliste Valentin Gendrot s’était infiltré. Dans son livre, Flic, il révélait plusieurs cas de violences policières. Tommi s’ajoute à la liste.

    Edit le 29/04 : Le parquet de Paris confirme qu’une enquête a été ouverte et confiée à l’IGPN dès le 8 avril, donc immédiatement à l’issue de la garde à vue de Tommi.

    (1) Le prénom a été changé.
    Photo d’illustration du commissariat du 19e arrondissement de Paris prise par Nnoman Cadoret.

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