"On est retourné plusieurs siècles en arrière". En raison d'une pénurie de diesel dans le pays, Alfonso Morales, 28 ans, agriculteur dans l'Etat vénézuélien de Merida (est), laboure désormais avec des bœufs tirant la charrue. Le marasme économique du pays aggravé par les sanctions économiques américaines a notamment débouché sur une pénurie de diesel, pénurie encore plus criante dans l'intérieur du pays que dans la capitale Caracas. Un paradoxe dans un pays qui dispose des réserves mondiales de pétrole parmi les plus importantes et qui a produit jusqu'à 3,3 millions de barils par jour.

Aujourd’hui, la production tourne autour de 500.000 barils/jour. La mauvaise gestion, la corruption et les sanction des Etats-Unis qui cherchent à évincer le président socialiste Nicolas Maduro du pouvoir ont ralenti ou paralysé les raffineries locales et compliqué les importations. Ivan Freitas, ancien syndicaliste pétrolier, en exil à Bogota depuis quatre mois, assure que le Venezuela ne raffine que 45.000 barils de diesel par jour pour une demande interne avoisinant les 200.000.

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Jusqu'en novembre 2020, le diesel bénéficiait d'une exception humanitaire qui l'exemptait des sanctions, mais cette exception a été supprimée. Le diesel n'arrive donc plus, ou presque. "Cette sanction touche plus le peuple (que les dirigeants). Quand il n'y a pas plus gasoil, on ne l'enlève pas à Maduro mais au transport de nourriture, au système électrique des exploitations agricoles", affirme Luis Vicente Leon, directeur de l'institut de sondage Datanalisis qui souligne que la pénurie se traduit aussi par une hausse des prix. "On est en train d'étrangler le système de distribution, on augmente le coût de la vie avec une population déjà appauvrie... et cela pendant la pandémie de coronavirus", se désole-t-il. Selon un sondage de ce mois, 73% des Vénézuéliens désapprouvent les sanctions sur le diesel, un chiffre qui dépasse largement celui de l’opposition politique.

Tracteurs, moissonneuses, semeuses, pompes pour l’irrigation, camions, groupes électrogènes dans des régions où les coupures sont fréquentes : tout le secteur agricole doit composer avec la pénurie de gasoil qui touche aussi le vie quotidienne (transports, distribution, etc...) Les acteurs de ce secteur craignent un écroulement total du système agricole avec la perte des récoltes, les retards ou absence de semis, les difficultés pour produire viande, œufs et lait. La Confédération des producteurs agricoles du Venezuela (Fedeagro) estime qu'il "manque un tiers du semis de haricots noirs (un aliment de base dans le pays), que 13.500 hectares de toutes les cultures n'ont pas été récoltées à temps faute de combustible et que 400.000 tonnes de canne à sucre attendent toujours" des machines pour les récolter.

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Le président Maduro s'est saisi du problème le 21 avril demandant à ce qu'on "normalise l'approvisionnement de gasoil pour les exploitations agricoles". Joint par téléphone depuis Caracas, Alfonso Morales, qui raconte ses déboires quotidiens sur Twitter, rappelle que le diesel était pratiquent gratuit il y a quelques années et qu'aujourd'hui le transport d'un camion de légumes jusqu'à la capitale - soit environ 700 km - coûte 300 dollars au marché noir pour le seul carburant.

Le diesel est devenu tellement rare, même sur le marché parallèle, qu'il a du reprendre les méthodes ancestrales. "Avant, on utilisait les bœufs dans certaines zones où les tracteurs ne peuvent pas passer" comme les contreforts andins, explique Alfonso Morales. "Mais labourer un champ d'un hectare prend trois ou quatre jours contre cinq heures avec un tracteur. On se donne à fond et perdre une récolte faute de combustible, c'est lamentable", se désole-t-il.