Turquie : le harcèlement judiciaire sans fin du journaliste Can Dündar

Déjà condamné à 27 ans de prison pour “espionnage” et “assistance à une organisation terroriste'', le journaliste Can Dündar est également poursuivi et accusé, avec plusieurs membres de la société civile, d’être responsable des importantes manifestations survenues à Gezi en 2013 et risque la prison à vie. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un acharnement politique et judiciaire qui ne fait que discréditer les réformes en matière des droits humains en Turquie.

Le procès du journaliste en exil, Can Dündar, a repris ce mercredi 28 avril en Turquie. Il est jugé par contumace, avec six activistes des droits humains, devant la Cour d’Assises d’Istanbul pour espionnage et “tentative de renversement de l’ordre constitutionnel”, des chefs d’accusations dont les peines cumulées s’élèvent à 2.970 ans de prison !


À l’issue d’une demi heure d’audience, la Cour d’Assises a décidé d’unir ce dossier avec le procès de neuf autres figures majeures de la société civile turque, dont le mécène Osman Kavala. Le procès se poursuivra le 21 mai prochain. Une procédure a parallèlement été lancée pour procéder à l’arrestation des sept accusés qui sont en exil.


Les autorités turques reprochent à l’ancien rédacteur en chef du quotidien Cumhuriyet, à l’acteur Mehmet Ali Alabora, à l’actrice Pinar Ögün et aux activistes Gökçe Yılmaz, Handan Meltem Arıkan, Hanzade Hikmet Germiyanoğlu et İnanç Ekmekçi leur participation au mouvement anti-gouvernemental de Gezi au printemps 2013. Les accusés sont également injustement tenus pour responsables des violences commises à l’encontre d’une Mosquée, ou d’actes de pillage.


“Rien ne peut mieux illustrer l’arbitraire d’un régime envers ses voix critiques que l’acharnement politique et judiciaire visant le journaliste Can Dündar, dénonce le représentant de RSF en Turquie, Erol Önderoglu. Ce procès est contraire à l'esprit de réforme en matière des droits  humains affiché par le gouvernement. La Turquie ne peut prétendre d’améliorer ses liens avec l’Union européenne s’il elle bafoue de façon aussi criante le droit et la justice en poursuivant ainsi un journaliste qui n’a fait qu’exercer sa profession.”


Acharnement politico-judiciaire


Can Dündar a déjà été condamné par contumace le 23 décembre 2020 par un tribunal d’Istanbul à 27 ans de prison pour “espionnage” et “assistance à une organisation terroriste''. En cause : la publication, en 2015, d’un article intitulé ‘Voici les armes dont Erdogan nie l'existence’ (“İşte Erdoğan’ın yok dediği silahlar”) dans le quotidien Cumhuriyet, dont il était alors le directeur. Des photos et des vidéos montraient que les renseignements turcs avaient participé à des livraisons d’armes à destination de groupes islamistes en Syrie. Le président Recep Tayyip Erdogan avait alors menacé sur l’antenne de la TRT officielle : “Celui qui a signé cet article exclusif le paiera très cher. Je ne le laisserai pas comme ça”.


Les ennuis judiciaires de l’ancien rédacteur en chef de Cumhuriyet  s’accumulent depuis cinq ans : incarcéré en novembre 2015 pendant trois mois, il a été libéré sur la base d’une décision de la Cour constitutionnelle turque qualifiant son arrestation d’anticonstitutionnelle. Le 6 mai 2016, le journaliste a échappé de justesse à une attaque armée devant le Palais de justice de Caglayan à Istanbul, alors qu’il sortait de son audience pour accorder des interviews aux journalistes. Cette tentative d’assassinat le pousse à s’exiler en Allemagne, où il lance le site d’information Özgürüz (Nous sommes libres).


La CEDH condamne les incarcérations abusives


Le 13 avril dernier, la Cour européenne des droits le l’Homme (CEDH) a condamné la Turquie pour violation du droit à la sécurité et à la liberté d’expression en raison de la menace omniprésente d’emprisonnement à laquelle font face les journalistes qui travaillent dans le pays. Ankara doit ainsi verser 15.000 € de dommages moraux au journaliste Ahmet Altan, condamné à 10 ans et 6 mois de prison pour “soutien à l’organisation de Fethullah Gülen – FETÖ”. Emprisonné depuis près de cinq ans, il a pu être libéré, le 14 avril, après une décision de la Cour de cassation turque qui a estimé que la condamnation était disproportionnée. La CEDH a également accordé un dédommagement de près de 15.000 € au journaliste Murat Aksoy, incarcéré pendant 16 mois après le putsch avorté de juillet 2016.


La Turquie occupe le 153e rang sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.

Publié le
Mise à jour le 28.04.2021