Écho de presse

Madeleine Brès, première femme médecin en France

le 14/05/2021 par Michèle Pedinielli
le 15/04/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 14/05/2021

En 1875, Madeleine Brès soutient sa thèse à la Faculté de médecine de Paris. Spécialisée dans les soins à la femme et à l’enfant, elle est la première femme pédiatre possédant son cabinet à Paris.

Un événement remarquable ! « La femme médecin : arrêtez ces trois simples mots par un point d’interrogation, par deux, par dix points d'exclamation », s’enthousiasme Le XIXe siècle, conscient des réticences sociales que la nouvelle d’une thèse médicale soutenue par une femme peut entraîner en cette année 1875.

« Rappelez-vous tout ce qu'un bon bourgeois dans sa maison, comme dit la chanson, peut agglomérer de raisons contre l'impertinente prétention qu'une femme peut avoir d'échapper à la dépendance de l'homme, et vous comprendrez comment la publication d'une thèse de médecine, soutenue devant la Faculté de médecine par une femme que ni l'administration, ni l'École n'ont dispensée (et avec raison) ni d'une formalité ni d'un examen, qui a disséqué, travaillé, veillé, appris à observer comme nous tous, qui pendant huit ans, à l'École, à l'amphithéâtre, dans les hôpitaux, a pris sa part des fatigues, des déboires, des répugnances et des dangers des études médicales, vous comprendrez comment la publication de la thèse qui marque l'achèvement de ses sévères études, peut être regardée comme un événement remarquable. »

Cette femme, c’est Madeleine Brès, élève des hôpitaux de Paris, qui vient de soutenir sa thèse intitulée « De la mamelle et de l’allaitement ». Grâce à la victoire de Julie-Victoire Daubié qui ouvre les portes du baccalauréat aux femmes [voir notre article], cette femme issue du milieu ouvrier a obtenu son diplôme en 1869. Bachelière et mère de trois enfants, il lui a cependant fallu le consentement de son mari (les femmes mariées étant alors jugées irresponsables juridiquement par le droit français) pour être stagiaire des hôpitaux de Paris l’année suivante. Elle y est devenue « interne provisoire » mais on lui a refusé le droit de présenter l’internat.

Avec sa thèse, elle reçoit les félicitations – et les restrictions – du doyen et président de la Faculté de médecine : « Votre thèse restera dans nos archives comme ouvrage scientifique, et permettez-moi de vous féliciter de la délicatesse que vous avez apportée dans le choix de votre sujet. Votre rôle devra se borner à la guérison des maladies des femmes et des enfants, et je vous félicite de l’avoir si bien compris. »

Madeline Brès, devenue veuve entre-temps, se destine donc à la pédiatrie.

Quelques mois plus tard, les lecteurs du Petit Journal peuvent lire l’information suivante, classée dans les « Petites nouvelles » entre la nomination de l’ambassadeur turc à Paris et la réouverture de l’École des chartes :

« Mme Madeleine Brès, docteur en médecine de la Faculté de Paris, vient d'ouvrir son cabinet de consultation. C'est le premier exemple, sans doute, d'une femme exerçant la médecine à Paris. »

Lorsqu’un journaliste du Figaro tombe sur l’annonce de cette installation, il y flaire le bon sujet. Il part en quête du cabinet de Madeleine Brès, s’inventant une maladie dans le but de confondre « cette chevalière du bistouri qui ferait mieux d'écumer son pot-au-feu ».

« Je me pourléchais les lèvres par avance à l'idée des bonnes plaisanteries que ne manquerait pas de m'inspirer cette Arsinoe de la lancette et mon programme était bien conçu, bien arrêté, lorsque je fus introduit dans son cabinet. »

Mais lorsque Madeleine Brès le reçoit, et lui annonce qu’elle ne peut s’occuper de lui, lui rappelant qu’elle ne doit soigner que les femmes et les enfants, le journaliste fait son mea culpa. Il se déclare fasciné par cette « femme courageuse » dont il dresse le portrait.

« Elle put, grâce à la baronne James de Rothschild qui lui ouvrit sa bourse, acquérir les diplômes de bachelier ès-lettres et de bachelier ès-sciences, puis subvenir ensuite aux frais de ses études médicales.

Elle escalada ses examens comme on escalade les bastions d'une ville prise d'assaut. Toujours reçue avec des notes excellentes malgré les obstacles et les persiflages, elle arriva à l'épreuve décisive et finale de sa thèse, qu'elle soutint victorieusement. »

Oubliant le piège dans lequel il souhaitait voir tomber « l’Arsinoe de la lancette », le rédacteur ne cache pas son admiration pour la nouvelle praticienne. Tout en se demandant toutefois si cette voie est vraiment possible pour toutes les femmes.

« Vous raconterais-je la vie de Mme Brès dans les hôpitaux ? Énumérerais-je les certificats ou les professeurs les plus éminents reconnaissent en elle des aptitudes de premier ordre ? Elle s'est, dit-on, particulièrement distinguée pendant les deux sièges, à la Pitié où elle a rempli les fonctions d'interne. […]

Mais toutes les femmes-docteurs auront-elles sa sagesse, sa tenue, sa science et son intelligence ? Naîtront-elles toutes douées comme notre doctoresse ?

Et puis, il y a le côté comique qui subsistera longtemps, et alimentera les préjugés : en Amérique, une femme s'entend souvent dire, à la suite d'une cure, par son malade reconnaissant : “Docteur, je vous, aime ; dès que je serai rétabli, je vous épouserai !” »

En dépit des interrogations du journaliste du Figaro, de nombreuses femmes vont suivre l’exemple de Madeleine Brès, comme Dorothée Chellier diplômée en 1894. Il faudra attendre 1919 pour qu’Yvonne Pouzin soit admise comme première femme praticienne dans un hôpital.

Pendant toute sa carrière, Madeleine Brès travaille à l’amélioration des soins pédiatriques. Elle dirige par ailleurs le journal Hygiène de la femme et de l’enfant et écrit plusieurs livres de puériculture. Elle est aussi à l’initiative de la création de la première crèche en France, après avoir observé ces institutions en Suisse.

Un travail remarquable qui sera cependant fort peu reconnu lorsque la vieillesse l’empêchera d’exercer. Madeleine Brès meurt dans le plus grand dénuement et sa courte nécrologie dans La Presse laisse un goût amer.

« On annonce la mort de Mme Madeleine Brès, qui fut la première femme docteur en médecine. […]

Atteinte de cécité à quatre-vingt-deux ans et dans une profonde misère, elle avait demandé à l'Assistance Publique une chambre dans un hôpital. On n'avait pu lui accorder qu'un lit au dortoir commun et elle l’avait refusé.

C'est grâce à la rente viagère que lui servait généreusement l'Amitié des aveugles qu'elle dut de ne pas connaître la plus extrême détresse. »