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Roubaix : Ali Rahni, le militant controversé par qui l'union de la gauche a éclaté
Mairie de Roubaix.
© PHILIPPE HUGUEN / AFP

Roubaix : Ali Rahni, le militant controversé par qui l'union de la gauche a éclaté

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Alors que la gauche devait partir rassemblée aux élections départementales dans les deux cantons de Roubaix, la France insoumise a dénoncé la proximité avec l'islam politique d'Ali Rahni, la tête de liste choisie par les Verts. Ce dernier sera cependant bien candidat EELV-PCF dans le canton Roubaix-1, a appris "Marianne" ce 5 mai.

Bien sûr, ce ne sont que deux cantons des élections départementales, l'événement n'est donc pas de nature à modifier la tectonique des plaques politiques. Mais l'épisode de l'échec de l'union de la gauche à Roubaix offre un bon exemple des dynamiques qui agitent les différentes forces en présence sur le terrain, des débats idéologiques qui les divisent, mais également de la dichotomie qui peut exister entre les appareils nationaux et les militants de base.

Dans cette ville du Nord, la deuxième la plus peuplée après Lille, la gauche était partie pour être unie : en avril, un communiqué cosigné par les sections locales du Parti socialiste, du Parti communiste, de la France insoumise et d'Europe Ecologie Les Verts annonçait un « rassemblement des gauches et de l'écologie » dans les cantons Roubaix-1 et Roubaix-2 pour les départementales de juin. Dans le premier canton, la droite l'avait emporté devant le Front national et une gauche divisée en 2015. Dans le second, plus populaire, c'est le PS qui était sorti gagnant il y a six ans, alors que le FN disposait d'une large avance au premier tour. Aux municipales en 2020, la gauche était partie divisée à Roubaix, avec sept listes au premier tour : l'élection s'est soldée par une défaite, comme en 2014.

La désunion devrait également être de mise aux départementales cette année comme l'a annoncé La Voix du Nord : la France insoumise s'est retirée de l'alliance, suivie peu après par le PS. En cause : le candidat choisi par les Verts pour être la partie masculine du binôme dans le canton de Roubaix-1, Ali Rahni. « On a émis des réserves sur son nom, au vu de ses accointances avec des figures de l’islam politique » confie au quotidien local Yann Merlevede, Insoumis roubaisien, qui invoque « le risque de voir la réputation du personnage nuire à l’union de la gauche ». Ce 5 mai, nous avons eu la confirmation que l'homme sera pourtant bien candidat EELV-PCF dans le canton Roubaix-1.

Ali Rahni, un militant controversé

Ali Rahni est un personnage incontournable de la sphère militante de Roubaix, à cheval entre la politique, l'associatif… et le religieux. Le début de son parcours est emblématique de celui de nombreux jeunes roubaisiens issus de l'immigration : dans cette région déjà minée par la désindustrialisation, le passage de la marche pour l'égalité et contre le racisme en 1983 fait figure de déclencheur et les pousse à s'engager en politique. Pour Rahni, ce sera les Verts. Mais pas seulement : il devient avant tout un « militant des quartiers populaires », adepte de la méthode d'auto-organisation, qui soutient des causes caritatives et pousse les habitants à se mobiliser pour améliorer leurs conditions de vie, notamment via les « tables de quartier ».

Enfin, il faut ajouter à ce tableau le volet confessionnel : Ali Rahni s'associe à de nombreuses figures controversées, au premier rang desquelles trône Tariq Ramadan. Grâce à son association « Rencontre et dialogue », l'écolo invite plusieurs fois le petit-fils du fondateur des Frères musulmans à donner des conférences à Villeneuve d'Ascq, à côté de Roubaix : en mars 2016, puis en avril 2017, en pleine campagne présidentielle. Lorsque le prédicateur est mis en examen pour viol et incarcéré, Rahni encourage la création d'une caisse pour financer sa défense. Il faudra attendre l'accumulation de faits accablants et le mois de février 2020 pour qu'il finisse par prendre ses distances avec Ramadan, sans désavouer son idéologie.

Soutin au fondateur de BarakaCity

Autre moyen d'activisme utilisé par l'écologiste : la radio locale Pastel FM, dirigée vers les Nordistes d'origine maghrébine. Rahni y a accueilli plusieurs personnalités islamistes, comme Hassan Iquioussen, imam controversé basé dans le Nord et proche des Frères musulmans ; ou encore Yacob Mahi, autre allié de Tariq Ramadan, considérant le négationniste Roger Garaudy comme l'un de ses « maîtres spirituels », et affirmant que les jeunes Belges partis en Syrie rejoindre Daech ne posaient « aucun problème d'intégration ». A l'automne 2020, Rahni s'est également distingué par son soutien à Idriss Sihamedi, militant salafiste fondateur de l'ONG BarakaCity, dissoute par le gouvernement pour incitation à la haine, justification d'actes terroristes et liens avec la mouvance islamiste radicale.

Au coeur des reproches de la France insoumise, il y a également cette tribune publiée initialement en 2013 sur le site Oumma.com, en opposition au mariage pour tous, qui affirme notamment : « Si au nom du seul principe d'aimer, il devient légitime de s'arroger de nouveaux ‘droits’, qu'aurons-nous à répondre envers ceux qui souhaiteront la reconnaissance de l'inceste ou de la pédophilie ? » Si Rahni dément avoir soutenu cette pétition, il apparaît toujours parmi la liste des signataires…

Le cas Rahni divise

La tête de liste écolo dans le Roubaisis est-elle « un islamiste notoire », comme l'affirme un cadre de gauche de la ville ? Le cas Rahni divise. Certains voient en lui « un vrai militant investi, un mec sympa, des quartiers populaires », et sont tentés d'assimiler ses accointances avec des personnalités douteuses à de la naïveté. D'autres l'estiment aveuglé par son « aspiration à une double reconnaissance, comme citoyen et comme musulman ». La plupart ne sont pas dupes, et s'étonnent devant l'étrange tolérance des Verts à l'égard de ces multiples manifestations de communautarisme. Tous les témoins interrogés s'accordent au moins sur un élément : Ali Rahni est « obsédé par la question des discriminations », « ne parle que d'identité », il « tourne en boucle ».

Un tour sur le profil Twitter de l'intéressé suffit pour s'en convaincre : l'activité politique de l'écolo est entièrement dédiée à la lutte contre « l'islamophobie » (à grands coups de retweets de Marwan Muhammad, l'ancien directeur du CCIF) et le racisme. Nulle trace de messages ayant trait à la transition écologique ou à la lutte contre le néolibéralisme. « Son combat quotidien, c'est la victimisation des musulmans », soupire une figure de gauche roubaisienne. En octobre 2019, Rahni cosigne une tribune dans Libération, explicitant ses objectifs politiques : jugeant que « la laïcité peut être instrumentalisée à des fins racistes », le texte appelle à « faire de la lutte contre l'islamophobie une question centrale » à gauche. Début avril, Rahni figure parmi les signataires d'une pétition publiée sur le site Mediapart qualifiant la loi contre le séparatisme « d'attaque sans précédent contre les droits des musulmans et musulmanes à pratiquer librement leur religion ».

Gauche dispersée à Roubaix

A Roubaix, Rahni dispose d'un terrain de jeu idéal pour déployer sa rhétorique. Avec ses près de 100.000 habitants, la ville aux mille cheminées est l'une des villes les plus pauvres de France : 44,3% de la population vit sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage y dépasse les 30%. La sous-préfecture du Nord concentre également une forte population de culture ou de confession musulmane. Difficultés économiques, net recul de l'Etat et des services publics, ghettoïsation... le développement du communautarisme semble inévitable à Roubaix, y prenant parfois des formes dures : la ville a connu de nombreux départs en Syrie, parfois par familles entières, et l'une de ses sept mosquées prône un islam salafiste.

La situation est telle que le gouvernement a décidé de déployer l'une de ses « brigades de reconquête républicaine » dans la cité nordiste, après qu'un rapport a pointé une « tendance au repli communautaire ». C'est par ce contexte qu'une figure de gauche locale explique le succès de Tariq Ramadan à Roubaix : « Ce beau parleur est venu mettre de l'eau sur une terre déserte. Son idée de s'affirmer dans la société en tant que musulman, combinant aspiration à l'égalité et reconnaissance identitaire, a beaucoup pris ici. » Autre particularité de Roubaix, le rôle social et politique historiquement joué par la religion : les Jeunesses ouvrières chrétiennes y furent longtemps influentes, et le démocrate-chrétien André Diligent y fut maire entre 1983 et 1994. En 2011, en pleine révolution tunisienne, Ali Rahni invoquait d'ailleurs l'exemple de l'édile dans Libération : « Roubaix a été un laboratoire démocratique au temps d’André Diligent. C’était un démocrate chrétien. Pourquoi ne pas s’en inspirer pour bâtir une social-démocratie musulmane ? »

Un binôme pour LFI

Est-il bien raisonnable pour la gauche roubaisienne de choisir comme tête de liste un personnage dont la rhétorique semble parfois calquée sur celle des Frères musulmans ? Les Insoumis ont jugé que l'association avec le sulfureux Ali Rahni était une mauvaise idée, invoquant également la nécessité de maintenir une ligne laïque. Voilà qui démontre au passage qu'il peut exister un décalage entre les orientations du mouvement au niveau national et les convictions de ses militants de base…

D'après nos informations, LFI présentera finalement son propre binôme dans le canton de Roubaix-1 aux départementales, avec le soutien de Génération.s, la formation de Benoît Hamon. Quant au Parti Socialiste, il part également de son côté, avec un duo estampillé « Nord en commun »… un label normalement réservé aux alliances unissant le PS, le PCF et EELV. Sauf que les deux derniers partis formeront finalement une troisième liste de gauche dans le premier canton de Roubaix, avec Ali Rahni en tête de liste, comme prévu initialement. Dans La Voix du Nord, Karima Chouia, co-secrétaire des Verts dans le Roubaisis, s'agace face aux réserves des Insoumis et des socialistes : « Ce n’est pas à un partenaire de décider de nos candidats. Ali Rahni n’a jamais tenu de propos allant à l’encontre des valeurs sociales et écologiques que nous portons ». Contactés pour de plus amples explications, les écologistes roubaisiens n'ont pas donné suite, tandis qu'Ali Rahni a pour sa part refusé de s'exprimer.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne