Roberto Saviano : "Je veux briser la myopie face à la Méditerranée qui est devenue une fosse commune"

"Ce à quoi j’ai assisté au large de la côte libyenne défie la raison" explique Aris Messinis lors de son reportage en 2016. Rien n'a changé depuis. ©AFP - Aris Messinis
"Ce à quoi j’ai assisté au large de la côte libyenne défie la raison" explique Aris Messinis lors de son reportage en 2016. Rien n'a changé depuis. ©AFP - Aris Messinis
"Ce à quoi j’ai assisté au large de la côte libyenne défie la raison" explique Aris Messinis lors de son reportage en 2016. Rien n'a changé depuis. ©AFP - Aris Messinis
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Le journaliste italien vante la puissance du témoignage contre les fantasmes et les manipulations politiques à propos de ceux qui traversent la Méditerranée dans un geste désespéré.

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Témoigner,  écrit Roberto Saviano, c’est « apporter  avec son corps la preuve de ce qu’on affirme ». 

En  Mer, pas de taxis, du célèbre journaliste italien, est une ode au témoignage contre les fantasmes et les approximations. Saviano y répond à Luigi Di Maio, leader du Mouvement 5 étoiles, qui avait qualifié en 2017 de « taxis de la mer  » les navires affrétés par des ONG pour des opérations de sauvetage en Méditerranée, leur reprochant d’encourager le phénomène migratoire. 

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Le  livre est aussi le travail d’une figure du journalisme de gauche, qui croise le fer avec l'extrême-droite dans son pays et n’hésite pas à critiquer durement son gouvernement. C’est enfin une enquête sur les trajectoires des migrants, ces milliers d’anonymes aux destins terribles et à qui certains prêtent jusqu’à un projet de grand remplacement, et le rôle nouveau des ONG, entre les domaines du politique et de l’humanitaire.   

De la mafia à la Méditerranée

Avant d'écrire En  Mer, pas de taxis, Roberto Saviano a beaucoup travaillé sur les organisations mafieuses, dont il a notamment tiré son célèbre roman Gomorra (2006). Pour lui, les mafias se nourrissent de l'absence du droit, de la précarité du travail, de la solitude des gens et leur désespoir. 

La propagande populiste contre les migrants est en train de devenir une véritable arme dans les mains des organisations criminelles. Plus il y a de gens sans droit, plus ces derniers deviendront des soldats de la mafia. 

Quand on croit aux messages populistes, il faut se confronter à la réalité et je me suis dit que les mots n’étaient pas suffisants. Les témoignages vont plus loin que les preuves car témoigner c’est donner son corps entier. 

L'enjeu libyen

Roberto Saviano rappelle que beaucoup de jeunes migrants venus d'Afrique centrale arrivent en Libye où ils sont parfois séquestrés et torturés. Ceux qui souhaitent rentrer chez eux, ne peuvent alors plus repartir. 

L’Italie conclue des accords avec les miliciens libyens pour garder les migrants en Libye dans des camps de concentration, comme l’ONU les a appelés. L'objectif de tous ces accords est la gestion du pétrole. Quand on parle des migrants c’est finalement une façade. On finance les miliciens non pas pour arrêter les bateaux, mais pour pouvoir gérer le pétrole. 

Si nous sommes en Libye pour le pétrole, il faut le déclarer et alors on pourra aussi demander aux miliciens de fermer les camps de concentration et d’arrêter les tortures. Il ne faut pas faire semblant de ne pas être intéressé par le pétrole. Tant que ça ne sera pas dit, il y aura un voile qui cachera la vérité. 

Le rôle des ONG

En Italie, les ONG sont accusées de financer les passeurs de migrants en Méditerranée, donnant lieu à de nombreuses poursuites par la magistrature italienne. Pour autant, dans aucun des procès les liens entre les ONG et les passeurs n'ont pu être démontrés.

On accuse les ambulances mais pas ceux qui traitent avec les criminels. Si on enlève les ambulances, combien vont mourir sans témoin ? Si ces navires n’existaient pas, on ne pourrait pas savoir ce qu'il se passe. Quand une ONG est arrêtée, on ne sait pas combien de migrants meurent, faute d'avoir pu être sauvés. 

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